Par Jean-pierre Filiu
Le « respect » exprimé publiquement par Eric Zemmour envers les terroristes de Daech entre en résonance avec la pire propagande jihadiste.
Je n’avais jamais lu Eric Zemmour avant le 7 octobre 2016. Les débats sur l’islam en France ne m’intéressent en effet qu’en fonction de la compétence, au moins minimale, de ceux qui y participent. Je n’avais donc jamais lu Zemmour et je ne nourrissais dès lors aucune opinion à son endroit. Il ne me fascinait pas, il ne m’irritait pas. En un mot comme en cent, il m’était indifférent.
Ce 7 octobre, j’apprends par voie de presse qu’une enquête préliminaire pour« apologie du terrorisme » a été ouverte contre Eric Zemmour, après plainte déposée au parquet de Paris par des familles des victimes des attentats du 13 novembre 2015 et par SOS-Racisme. Plutôt que de me contenter de la citation reprise en boucle par les médias, je me reporte à l’entretien lui-même, publié par le mensuel Causeur.
Déjà le titre me sidère : « Entre la France et l’islam, les musulmans doivent choisir ».Remplacez « islam » par n’importe quelle orientation religieuse, politique ou sexuelle et imaginez l’énormité du propos. Mais, non, dès qu’il s’agit d’islam, tous les amalgames sont permis, à commencer par le plus insidieux d’entre eux : celui de réduire les musulmans à n’être que des « musulmans », une fois pour toutes, et non pas aussi des femmes ou des hommes, des vieux ou des jeunes, des hétérosexuels ou des gays, des riches ou des pauvres, des ouvriers ou des retraités, je vous épargne la suite de la liste.
Après avoir affirmé « ne pas prendre les jihadistes pour des abrutis ou des fous », Zemmour déclare : « je respecte les gens qui meurent pour ce qu’ils croient – ce dont nous ne sommes plus capables ». Il ajoute : « Quand des gens agissent parce qu’ils pensent que leurs morts le leur demandent, il y a quelque chose de respectable ». Un respect aussi réitéré, ce n’est pas un effet de manche, c’est un engagement, que l’auteur de ces propos assume d’ailleurs, exprimant depuis de vagues « regrets », sans rien amender de son « respect ».
Je ne m’appesantirai pas sur un tel « respect », au cœur d’une controverse dont Zemmour se réjouit peut-être, en pleine campagne de promotion de son dernier ouvrage. Je ne commenterai pas sa terrible dénonciation d’une « cinquième colonne » sur le territoire français. Je préfère revenir sur ce membre de phrase proprement stupéfiant : « des gens agissent parce qu’ils pensent que leurs morts le leur demandent », ces « gens » étant les assassins du Bataclan, de Charlie, de l’Hypercacher, de Nice et d’ailleurs.
Cela fait une trentaine d’années que j’essaie de suivre du moins loin possible le phénomène jihadiste et, quelles que soient mes fonctions successives, jamais je n’ai croisé des « gens » qui agiraient « parce qu’ils pensent que leurs morts le leur demandent ». Il y a toujours un donneur d’ordres qui « demande » et, n’en déplaise à Zemmour, ce donneur d’ordres est bel et bien vivant. Dans le cas des récents carnages en France, il est lié à la Syrie, voire s’y trouve physiquement, comme l’énigmatique « Abou Ahmad » le 13 novembre 2015, ou le très médiatique Rachid Kassim des tentatives avortées de ces dernières semaines.
En revanche, la propagande de Daech, le bien mal-nommé « Etat islamique », regorge d’invocations des morts tombés aux mains « des Juifs et des Croisés », ainsi qu’elle stigmatise nos sociétés et nos gouvernements. Est-ce à cela que Zemmour fait référence ? Reprend-il vraiment à son compte le mythe des « représailles jihadistes » face à une supposée « agression » occidentale ? A-t-il si profondément intériorisé les fantasmes de Daech qu’il est devenu incapable de faire la part de la réalité et de la mise en scène ?
Je laisse Zemmour avec ses « morts qui demandent » je ne sais quoi à des bourreaux que lui-même se targue de « respecter ». Les morts qui appellent pour moi le respect sont ceux tombés sous la terreur de Daech, et non leurs assassins. Devoir expliciter une telle évidence morale et citoyenne est déjà en soi, avouons-le, une douleur. Et on gardera ouverte la question de savoir à qui va le « respect » de Zemmour dans l’attentat heureusement déjoué à Leipzig : au terroriste, qui a fini par se pendre dans sa cellule ; ou aux trois réfugiés syriens qui l’avaient neutralisé et livré à la police ?
Enregistrer un commentaire