ELWATAN-ALHABIB
vendredi 19 février 2016
 
Syrie: l'inavouable accord russo-américain par Denis Sieffert (Politis)

L’inavouable accord russo-américain

Il faut bien en finir avec cette guerre civile sans issue, fût-ce par le bas, le très bas même, avec l’écrasement de l’insurrection.
Entre la guerre et le lâche abandon, existe-t-il un chemin ? C’est la question que l’on peut une nouvelle fois se poser à propos de la Syrie. Alors que l’aviation russe est en train d’écraser l’insurrection sous un déluge de bombes au nord d’Alep, le silence des grandes capitales est assourdissant. Sauf à s’inquiéter de l’afflux de nouveaux migrants en Europe. Tout juste a-t-on entendu quelques jérémiades onusiennes sur le « torpillage » des négociations de Genève par Vladimir Poutine. C’est bien le moins que l’on puisse dire. Doit-on pour autant entonner le refrain bien connu de la « lâcheté de la communauté internationale » ? C’est une figure classique du désarroi, mais qui n’est pas sans risque. Car il faut dire ce que serait le « courage ». Et la réponse n’est pas commode. En face de deux pouvoirs, celui de Moscou et celui de Damas, qui n’ont aucune limite dans l’exercice de la violence, et qui sont prêts à exterminer des populations entières pour arriver à leurs fins, on n’imagine a priori pas d’autres ripostes que la guerre.
Fort heureusement, nul n’est disposé à se lancer dans cette aventure. Sans doute aurait-il été possible, un temps, d’équiper les rebelles en armes anti-aériennes. Cela aurait pu être fait en 2013, lorsque Bachar Al-Assad a franchi la fameuse « ligne rouge » du recours aux armes chimiques. Cela n’a pas été fait, notamment parce que les Occidentaux craignaient que ces armes tombent entre les mains de jihadistes. Une autre solution aurait été de créer une zone d’exclusion aérienne. Mais l’ONU s’est contentée d’exiger le démantèlement de l’arsenal chimique de Damas. Ce que le régime syrien a immédiatement interprété comme un encouragement à lâcher en grand nombre des fûts de TNT sur la population.
Les amateurs de paradoxes noteront que c’est précisément parce que les plus modérés n’ont pas été aidés que les jihadistes, ceux du Front Al-Nosra en particulier, ont gagné en influence au sein de la rébellion.
À vouloir éviter les jihadistes, on n’a fait que les renforcer. Mais nous n’en sommes plus là aujourd’hui.
Depuis que Vladimir Poutine a commencé à mettre en œuvre au-dessus de Homs et de la province d’Alep une stratégie de la terre brûlée qui rappelle furieusement celle par laquelle il avait anéanti Grozny en 1999, la donne a changé.
L’inertie occidentale ne relève plus de la « lâcheté », ni même de l’impossibilité, mais d’un choix délibéré. Les États-Unis et les Européens ont fait de la guerre contre Daech, à l’autre extrémité du pays, leur priorité. Et les attentats ont attiré nos regards vers cet autre front, plus à l’est. Mais, la vérité est sans doute plus cruelle encore. Il semble surtout que Washington se soit rallié à Moscou. Puisqu’il faut bien en finir avec cette guerre civile sans issue, sortons-en, fût-ce par le bas, le très bas même, avec l’écrasement de l’insurrection et, accessoirement, des populations civiles.
Certes, le spectacle est peu ragoûtant, mais États-Unis et Union européenne ne sont pas directement impliqués dans le carnage, et Vladimir Poutine fait ça très bien. Il recueille même les louanges de John Kerry, le secrétaire d’État américain, qui juge que la diplomatie russe a des « idées constructives »… « Constructif », un étrange adjectif pour accompagner le fracas des bombes ! Les « idées », on en jugera ce jeudi à Munich lors du nouveau rendez-vous du groupe mal nommé « de soutien à la Syrie ». Mais on les devine déjà. Il s’agira pour Moscou d’imposer la candidature de Bachar Al-Assad à la présidentielle programmée pour 2017 en échange d’un cessez-le-feu observé à sa convenance. Mauvais calcul évidemment. Comment envisager que ce personnage, même « réélu », puisse être un jour réintégré dans la communauté internationale comme si de rien n’était ?
Comment imaginer que ce pays exsangue, vidé de la moitié de sa population, comptant par centaines de milliers ses morts, ses blessés, ses suppliciés, va se remettre à marcher comme un seul homme, droit derrière son dictateur ? Que le territoire démantelé va se reconstituer ? Que les Kurdes vont renoncer à une revendication historique tout près aujourd’hui de devenir réalité ? Et croit-on que la rébellion défaite ne va pas resurgir sous d’autres formes en confirmant cette loi du Moyen-Orient selon laquelle l’écrasement d’une opposition démocratique profite toujours aux mouvements les plus violents ? Espère-t-on que les quatre millions de Syriens qui ont fui la guerre civile vont faire demi-tour pour regagner leurs maisons en ruines ? Cela fait beaucoup d’illusions. Et un terreau de plus pour le terrorisme international !
Accessoirement, on s’étonnera aussi que les bombardements russes n’aient pas donné lieu dans nos régions à des mobilisations de la société civile. Sans doute les opinions publiques ont-elles été victimes de l’amalgame entre la rébellion et Daech. Sans doute le parrainage par l’Arabie saoudite de certaines factions rebelles a-t-il semé le trouble. Le peuple en a été oublié. Mais il y a peut-être d’autres causes à cette atonie. Que n’aurait-on dit si les bombes qui pleuvent sur Alep avaient été américaines ? On aurait hurlé, et avec raison. Aujourd’hui, rien. Quelques vestiges de nostalgie post-stalinienne seraient-ils à l’origine d’une certaine indulgence à l’égard de Poutine ? À moins que ce soit de l’anti-américanisme, en l’occurrence bien mal placé. Mais c’est déjà un autre débat.
Denis Sieffert éditorialiste à "Politis"
Denis Sieffert éditorialiste à "Politis"
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]