Charlie Hebdo : « Non, je ne suis pas Charlie. » Lettre ouverte au peuple français par Nina S.
Posté le Dimanche 11 janvier 2015
Depuis
le 7 janvier, des représentants auto-proclamés de la communauté
musulmane en France, ainsi que des individus voulant lui inculquer la
manière de penser la plus adéquate en ces jours de deuil, se sont
exprimés en mon nom. A tous ceux-là, je dis : « Not in my name. » En
vain, les discours continuent de fleurir pour faner aussitôt qu’on en
saisit le sens. Alors, fatiguée d’être assimilée aux mots des autres
dans lesquels je ne me reconnais pas, je prends la plume.
Née dans le Sud-Ouest de la France il y a
de cela vingt-cinq ans, je suis un pur produit de l’Enseignement laïc
et républicain ainsi que des Belles Lettres de la Pensée française.
Pourtant, je ne prendrai pas part au rassemblement national du dimanche
11 janvier.
Récapitulons : douze morts dans une
fusillade. Qui pourrait ne rien ressentir et ne pas éprouver de
tristesse pour les familles des victimes ? Personne de sensé, nous
sommes d’accord. Mais ce drame ne justifie pas tout et son contraire. Je
ne m’aventurerai pas ici dans la comparaison de cet événement aux
drames internationaux, je ne me permettrais pas de relativiser par la
souffrance ressentie par des familles aujourd’hui endeuillées. Je me
contenterai simplement de décrire les raisons de l’indignation qui
m’anime en tant que jeune femme française de confession musulmane se
sentant insultée par les voix scandalisées d’une nation qui ne comprend
pas sa position.
Voilà trois jours que le journalisme
français est en deuil. Je suis triste pour l’humain, mais je n’accepte
pas que l’on porte les idées des défunts journalistes comme un étendard
universel qui, s’il n’est pas soutenu par mes mains, me range dans le
« camp » des « mauvais ». L’idée du journalisme que se fait Charlie Hebdo
ne me correspond pas, et je suis ravie de vous apprendre que cela ne
fait pas de moi une extrémiste, contrairement à ce que les médias
laissent croire. L’Homme a la mémoire courte et a oublié que, depuis des
années, le journalisme est à l’agonie. Le métier se meurt parce que
l’émotion a remplacé l’information, le sensationnel a surpassé le
véridique. La vérité ne paie pas, la justesse non plus. Il faut du
choc : on réclame de l’extrême, que ce soit dans les larmes ou le rire.
Qui prend aujourd’hui du recul quand, face à son écran, ou à son
journal, des images choquantes et des phrases terrifiantes tournent en
boucle ? Quand la vulgarité s’érige comme maîtresse absolue de tout
humour qui veut être médiatisé ? Qui prend le temps d’en prendre, du
temps, et de refroidir son cœur pour mettre son esprit critique en
marche ? Au nom de ce dernier, je clame au et fort ce message : Non, je
ne suis pas, et je ne serai jamais Charlie.
Française, je suis musulmane et ouverte –
n’en déplaise aux sceptiques – au débat, aux échanges et à l’Autre,
quel qu’il soit. Je n’ai pas pour vocation d’imposer une religion à
quiconque. Au nom de ces valeurs qui sont miennes, je n’accepte pas
qu’un Homme puisse mourir pour ses idées, pour un dessin ou pour un avis
divergent sur notre sol. Mais je ne mélange pas mon Humanisme avec ce
que je considère comme une hypocrite mascarade autour de la liberté
d’expression. En effet, les valeurs incarnées et diffusées par ce
journal ne seront jamais, à mon sens, représentatives d’une liberté
d’expression digne d’une France qui respecte ses concitoyens. L’unité
nationale, d’accord, mais alors il faudra d’abord se mettre d’accord sur
la notion si controversée du vivre ensemble. Je suis profondément
française, et réellement choquée par un acte dément qui a fait du mal à
toute la nation. Mais d’aucuns prétendent que devenir Charlie est
nécessaire, que dis-je, OBLIGATOIRE pour diffuser une image positive et
défendre l’Islam, ou du moins pour se défendre d’appartenir à une pensée
terroriste et sanguinaire. Je ris à ces arguments creux. Donner une
image positive doit se faire en total accord avec soi, au quotidien,
dans les actes les plus simples. Pas dans la défense d’idées prônées qui
ne seront jamais miennes. Et je n’ai pas à me défendre d’appartenir à
quoi que ce soit, si les gens sont assez limités intellectuellement pour
faire des amalgames, qu’ils les fassent. Aussi, si défiler demain
revient à dire que je cautionne l’irrespect qui m’a été fait il y a de
cela huit années, alors c’est un argument de plus sur ma balance. Je ne
le cautionne pas, mais je ne cautionne pas non plus l’événement du 7
janvier. Si les gens ne savent pas faire cette différence, comme triste
est la France.
Ma position ferme se nourrit aussi du
respect que je porte à mes amis chrétiens, aux femmes – parce que les
caricaturistes y allaient d’un bon coup de crayon misogyne, n’en
déplaise à leur amie Caroline Fourest – ainsi qu’à toutes les personnes
ayant été insultées par ces dessins, bien que je ne sois pas pour leur
interdiction, mais pour la considération de la sensibilité du récepteur.
Cette marche n’a rien à voir avec la pure défense de la liberté
d’expression, et quand bien même elle ne serait destinée qu’à ça,
l’amalgame médiatique, et donc populaire, sera vite fait entre la
liberté d’expression et l’acceptation de caricatures irrespectueuses et
d’une ligne éditoriale immorale. Je ne donnerai pas mon aval en défilant
pour le droit de blesser autrui. Il ne faut pas interdire la liberté de
dire, écrire, dessiner, mais malheureusement la décence et l’empathie
n’existent plus de nos jours, les limites ne sont plus vues comme du
respect mais comme un carcan. À ceux qui s’empresseraient de sauter sur
l’occasion de me contredire, il va sans dire que je condamne tout autre
acteur social de la même manière : non, on ne rit pas de tout. Alors je
refuse de faire partie d’une marche qui, au nom d’une pseudo liberté,
scandera que tout peut-être bafoué. Au-delà des caricatures touchant
l’islam, la liberté s’arrête où commence le mal fait aux autres. Au-delà
même des religions, c’est ici d’Humanité dont il est question.
Caricaturer des femmes qui vivent une horreur et en rire, ça ne se fait
pas. À Charlie Hebdo je dirai donc : pas en mon nom. À ceux qui
trouveront ma pensée simpliste et quelque peu naïve je répondrai : si
je caricaturais l’assassinat et l’agonie sanglante de Charb et de ses
compères au nom de la liberté d’expression et du droit de rire de tout,
je n’ose même pas imaginer quel serait ma sentence sur la place
publique. Tiens, l’humour aurait donc des limites ? Qui les fixe si ce
n’est le tort qui est fait à la personne qui est heurtée par le message
diffusé ? Je me fiche de savoir que la satire est une tradition
française, le respect, lui, est censé être universel et une marque de
« civilisation »… Ces rassemblements pour Charlie Hebdo portent
donc des idéaux que je ne partage pas. De plus, ils ne sont pas juste
une manière de crier son refus du terrorisme mais, selon moi, une
acceptation du mépris social pour tout ce qui relève du Divin – qui est
selon moi une atteinte à la liberté de culte – en accordant une
légitimité morale aux caricatures ayant conduits les dessinateurs à leur
perte. Charlie Hebdo n’a jamais été le symbole de la liberté
d’expression en France. Et je refuse d’être de ceux qui l’aideront à
s’ériger en héros, martyr de cette liberté. Je garde en tête que celui
qui pense que ma présence à ce rassemblement est indispensable à ma
bonne conception de cette notion pense mal, parce qu’il me demande de
prouver mon patriotisme mais aussi que ma religion n’est pas « ça ».
Mais qu’ils le veuillent ou non, je n’ai pas à entrer dans leur rang
pour être à ma place. Alors non, je ne suis pas Charlie.
Je suis musulmane et française, je n’ai à
m’excuser ou à me désolidariser de rien. Je ne représente personne
d’autre que moi-même. Pourquoi, du jour au lendemain, devrais-je me
sentir obligée de porter la responsabilité et les conséquences d’un acte
qui n’est lié à moi ni de près, ni de loin ? C’est ce qui m’est
pourtant demandé, explicitement ou non, lorsqu’il est demandé aux
musulmans de France de défiler et d’être Charlie pour « contrer les
actes meurtriers ». Cet argument est insensé, et les mots de Tareq
Oubrou l’alimente : « Le silence des musulmans est mal compris par la
société française. Vous ne pouvez pas vous taire, sinon on vous verra
comme des complices. Vous n’avez pas le droit de vous taire » se
permet-il de nous dire. À cet homme m’intimant l’ordre de parler la
langue du politiquement correct, je répondrai qu’il est grand temps pour
la société, mais surtout pour les musulmans eux-mêmes, d’accepter que
nous sommes français, que nous aimons notre pays et que nous n’avons
rien à prouver à personne. Le jour où l’auto-culpabilisation et le
complexe du colonisé immigré auront disparus de nos rangs, les choses
évolueront sans doute. Pour l’heure, ma pensée respectueuse de tous et
anti-terroriste, je la défends tous les jours à ma manière et sans me
trahir. Je refuse de participer d’une manipulation émotionnelle qui,
même si je ne la cerne pas encore précisément, nous enserre déjà bien
fort. La surmédiatisation et l’exposition d’idées séparant les français
musulmans de la société française elle-même sont dangereuses. Elles
sous-tendent qu’ils sont, du fait de leur croyance, une catégorie
distincte ne faisant pas partie du Tout républicain. Aussi, à tous ceux
qui pensent que j’ai tort de penser que demander aux musulmans de France
de s’élever contre ce crime au nom de ce qu’ils « représentent » est
anormal, je dis : vous refusez le communautarisme en France, mais en
agissant de la sorte vous tombez dans son piège le plus grand :
l’exclusion par stigmatisation.
Sachez que l’individu le plus sage est
celui qui parvient à garder son calme au cœur de la tempête et de
l’orage nocturnes. Il sera le seul à réussir à reprendre la route vers
le refuge lumineux et parviendra à ramener l’accalmie. Soyons donc
celui-là…
Nina S., française d’expression libre
Enregistrer un commentaire