IRIB- Sixième Roi d'Arabie, Abdallah Ben Abdel Aziz, décédé jeudi à
90 ans des suites d'une lourde pathologie, laisse un Royaume en plein
désarroi, en pleine convulsion, sur fond d'une guerre de succession
entre les deux principaux clans de la dynastie wahhabite (le clan
Sideiry et le clan Al shammar), sur fond d'une désespérance de sa
jeunesse face aux taux élevé d'un chômage persistant, à l'arrière plan
d'un bras de fer énergétique avec les États Unis visant à assécher les
petits producteurs de pétrole de schiste, alors que les deux pays qui
ont longtemps fait office de sas de sécurité du royaume, le Yémen, dans
la décennie 1960 contre Nasser et l'Irak, dans la décennie 1980 contre
Saddam Hussein, échappe désormais au contrôle sunnite au bénéfice des
chiites, les rivaux historiques des sunnites dont la dynastie se veut le
fer de lance au niveau du Monde arabo-musulman.
Sans doute l'effet du hasard, qui n'en est pas moins révélateur,
l'annonce du décès du Roi a été annoncée, alors que le Yémen plongeait
dans le chaos à la suite de la démission collective du président
yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi de son gouvernement, sous les coups de
butoir de la milice chiite Ansar Allah et que Riyad se hâtait de dresser
un mur de 900 kilomètres à sa frontière avec l'Irak pour se protéger
d'une invasion par les djihadistes de l'état islamique autoproclamé.
Abdallah est le monarque qui aura exercé le plus long règne au sein de
la dynastie, d'abord en tant que prince héritier et chef de la garde
nationale, régentant le royaume en suppléance de son frère Fahd atteint
d'une lourde pathologie, (1995-12005), puis en tant que souverain
(2005-2015), soit vingt ans. A l'instar de son prédécesseur, l'homme
aura présidé aux destinées du Royaume, lourdement handicapé par la
maladie (une double pontage coronarien, doublé de troubles dorsaux et
d'un cancer au larynx), à une période charnière de l'histoire du Moyen
Orient, marquée notamment par l'invasion américaine de l'Irak (2003) et
la guerre de Syrie (2011), dix ans plus tard, deux pays se réclamant de
l'idéologie laïque baasiste, dont la destruction, le premier l'Irak, a
servi de matrice à l'ossature militaire de l'état islamique et le
second, la Syrie, à la prolifération du djihadisme dégénératif
erratique.
La construction de la «Grande Muraille» saoudienne a été décidée pour se
prémunir précisément du chaos que le Royaume, en partenariat avec les
autres pétromonarchies et leurs alliés occidentaux du pacte atlantiste
ont infligé aux deux pays se réclamant de l'idéologie laïque baasiste.
Le mur se composerait d'un mur et d'un fossé destinés à protéger le
royaume wahhabite des rebelles de l'organisation État islamique qui
contrôlent «une grande partie de la zone du côté irakien de la
frontière» et lorgnent «la conquête ultime de l'Arabie Saoudite, qui
renferme les deux mosquées saintes de La Mecque et Médine, leur objectif
essentiel.Salman, nouveau représentant du clan Sideiry au sein du
pouvoir
En application des prescriptions du Roi, Salman, représentant du clan
Sideiry, lui a succédé à la tête du Royaume. Agé de 79 ans, prince
héritier qu'il cumulait avec celui de ministre de la Défense, cet ancien
gouverneur de la province de Riyad pendant 48 ans, un faucon dans la
pure tradition wahhabite passe pour avoir supervisé la ventilation des
«dons» privés versés tant aux moudjahidines afghans lors de la guerre
anti soviétique d'Afghanistan, dans la décennie 1980, qu'aux
prédicateurs salafistes lors de la guerre de Syrie, dans la décennie
2010.
Souffrant de déficience mémorielle, le terme d'Alzheimer a été prononcé,
Salman sera secondé par le prince Moqren, ancien gouverneur de la
province de Médine.
Ancien chef du renseignement saoudien et proche d'Abdallah, Moqren, le
nouveau prince héritier, semble avoir pour tâche de déblayer la voie à
la venue au pouvoir du premier roi de la troisième génération en la
personne de Mout'eab Ibn Abdallah, 62 ans, le propre fils du roi défunt,
déjà en place en sa qualité de chef de la garde nationale saoudienne,
la garde prétorienne du régime composée de guerriers recrutés dans les
tribus du Royaume.
Acteur-clé au Moyen-Orient et premier exportateur mondial de pétrole
brut, le Roi Abdallah, prudent et prévoyant, a ainsi placé son fils
aîné, Mout'eb au poste stratégique de deuxième vice-président du
conseil, scellant l'ordre de succession au bénéfice de son fils, sans
possibilité d'en modifier l'ordre de succession. Son deuxième fils,
Mecha'al, a été nommé gouverneur de la région de la Mecque, la capitale
religieuse du royaume et son 3eme fils, Turki, gouverneur de Riyad, sa
capitale politique et financière. La fratrie Abdallah conserve dans son
giron la «Garde Nationale», traditionnelle contrepoids aux forces
régulières.
Ultime cadeau d'un roi octogénaire en phase crépusculaire de son règne,
le Roi Abdallah (88 ans) a couplé cette démarche en impulsant une
refonte de l'archaïque système éducatif saoudien, si préjudiciable à
l'image du Royaume, à l'image de l'Islam et à la stratégie de ses alliés
du bloc atlantiste. Fait sans précédent dans les annales du Royaume,
une dame, Haya Al Sahmary, a été nommée à une fonction d'autorité au
sein de la haute administration saoudienne, à la direction de la
formation, en tandem avec le Prince Khaled Ben Fayçal, le fils du défunt
Roi Fayçal, au poste de ministre de l'éducation, avec à la clé un
budget de plusieurs milliards de dollars pour mener à bien cette
opération.
Dans la foulée, Abdallah a discrètement évacué de la scène publique, le
Mufti As Cheikh, un authentique représentant de la fratrie de Mohamad
Abdel Wahhab, le fondateur du Wahhabisme, au profit d'un dignitaire
moins rigide.
Sous couvert de guerre contre le terrorisme, l'Arabie saoudite a par
ailleurs opéré un rapprochement tangible avec Israël, criminalisant la
confrérie des Frères Musulmans, renouant avec Mahmoud Abbas, dans une
tentative de renflouement de la question palestinienne, la grande
oubliée du «printemps arabe», en vue d'accompagner le règlement du
conflit israélo-arabe selon un schéma américain conférant un statut
minoré au futur état palestinien.
Au-delà des rivalités de voisinage et des conflits de préséance, la
diabolisation des Frères Musulmans, la matrice originelle d'Al Qaida et
de ses organisations dérivées, apparaît ainsi comme une grande opération
de blanchissement des turpitudes saoudiennes et de dédouanement de la
dynastie à son soutien à la nébuleuse du djihadisme erratique depuis son
apparition dans la décennie 1980 lors de la guerre anti soviétique
d'Afghanistan. Un parrainage qui a valu à l'Irak d'assumer, par
substitution, la fonction de victime sacrificielle d'un jeu de billard à
trois bandes, en 2003, en compensation au châtiment de l'Arabie saoudite
pour sa responsabilité dans les attentats du 11 septembre 2001 contre
les symboles de l'hyperpuissance américaine.
Soldant sans état d'âme l'ère Bandar, l'ancien patron de la nébuleuse
islamiste, la dynastie wahhabite pense avoir signifier aux rivaux du
Royaume, dans l'ordre subliminal, sur fond de négociations irano
américaines sur le nucléaire iranien, la permanence et la solidité du
Pacte de Quincy, en dépit des fritures dans les relations entre le
meilleur allié des États Unis dans le Monde arabe et le protecteur
d'Israël; en dépit des tentatives de rapprochement des États-Unis avec
l'Iran, l'ancien super gendarme du Golfe du temps de Chah et désormais
la bête noire de la dynastie wahhabite.L'Arabie saoudite, le grand
vaincu de la guerre de Syrie, au même titre que la France
Au delà des propos postmortem de circonstance vantant les qualités du
défunt roi, «défenseur de la paix » Stephen Harper-Canada), «grand homme
d'état dont l'action a profondément marqué l'histoire de son pays
(François Hollande-France), «dirigeant sincère et courageux» (Barack
Obama- Etats Unis), l'Arabie saoudite passera dans les annales de la
décennie 2010 comme le grand vaincu de la guerre de Syrie, au même titre
que la France, dont les dérapages se sont répercutés sur son national
par de sanglants attentats terroristes (Mohamad Merah 2012, Mehdi
Nemmouche 2014, les frères Kouachi (contre Charlie Hebdo en 2015).
Le Gardien des Lieux Saints de l'Islam a certes financé la promotion de
l'Islam à travers le monde, mais son prosélytisme religieux tous azimut
s'est souvent confondu avec une instrumentalisation politique de la
religion comme arme de combat contre les ennemis de l'Amérique,
notamment l'athéisme communiste, au détriment des intérêts stratégiques
du Monde arabe.
Le chef de file de l'Islam sunnite a porté le fer aux quatre coins de la
planète pour le compte de son protecteur américain, mais le bailleur de
fonds des équipées militaires américaines dans le tiers monde -de
l'Afghanistan au Nicaragua, à l'Irak et à la Syrie- n'est jamais parvenu
à libérer l'unique Haut Lieu Saint de l'islam sous occupation
étrangère, la Mosquée d'al Aqsa de Jérusalem, au point que son
leadership est désormais concurrencé par le nouveau venu sur la scène
diplomatique régionale la Turquie et sa posture néo ottomane.
Le protégé de l'Amérique, auteur de deux plans de paix pour le proche
orient, n'a jamais réussi à faire entériner par son protecteur américain
et son partenaire israélien les propositions visant à régler le conflit
israélo palestinien, ni à prévenir l'annexion rampante de Jérusalem, ni
la judaïsation de la 3eme ville sainte de l'Islam, pas plus qu'il n'a
pu éviter le basculement des grandes capitales arabes hors de la sphère
sunnite, dans le giron adverse: Jérusalem sous occupation israélienne,
Damas sous contrôle alaouite et Bagdad enfin sous partage kurdo Chiite.
Le plus riche pays arabe, membre de plein droit du G20, le directoire
financier de la planète, a dilapidé une part de sa fortune à
d'extravagantes réalisations de prestige et à la satisfaction
d'invraisemblables caprices de prince, sans jamais songé à affecter sa
puissance financière au redressement économique arabe ou au renforcement
de son potentiel militaire, bridant au passage toute contestation,
entraînant dans son sillage le monde arabe vers sa vassalisation à
l'ordre américain.
La dynastie wahhabite, détournant les Arabes et les Musulmans de leur
principal champ de bataille, la Palestine, dans de furieux combats en
Afghanistan, n'a jamais tiré un coup de feu contre Israël, au point que
le meilleur allié arabe des Etats Unis apparaît, rétrospectivement,
comme le principal bénéficiaire des coups de butoir israélien contre le
noyau dur du monde arabe, et Israël, comme le meilleur allié objectif de
la monarchie saoudienne.
Ce royaume quasi centenaire est par excellence un pays de passe droit,
gouverné par six monarques (Abdel Aziz, Saoud, Faysal, Khaled, Fahd,
Abdallah). Mais, à une période charnière de l'histoire du monde arabe, à
l'ère de l'optronique, de la balistique, du combat disséminé et de la
furtivité de basse tension, aucun des six monarques n'était détenteur
d'un diplôme universitaire, tous formatés dans le même moule de la
formation bédouine et de l'école coranique, à l'instar des autres
pétromonarchies gérontocratiques du Golfe, soit le tiers des membres de
la Ligue arabe et les deux tiers de la richesse nationale arabe, alors
que la théocratie voisine iranienne a, d'ores et déjà, accédé au statut
de puissance du seuil nucléaire.
Malgré les turbulences, la famille Al Saoud a réussi à sauvegarder son
trône, mais plongé la zone dans une sinistrose quand Israël sinistrait
la zone.Une illustration caricaturale de la réalité paralytique arabe.
Le roi est nu, la monarchie saoudienne sur la défensive: La dynastie
wahhabite, maître d'oeuvre sous l'égide américaine de l'islamisme
politique, apparaît rétrospectivement, au regard de l'histoire, au même
titre que le colonel Mouammar al Kadhafi de Libye comme l'un des
principaux fossoyeurs du nationalisme arabe et de la soumission du monde
arabe à l'ordre américain.
90 ans après la constitution du royaume, le bilan est sans ambiguïté et
ne souffre aucune circonstance atténuante à en juger par la
décomposition du monde arabe, sa mise sous tutelle américaine avec le
déploiement d'une demi douzaine de bases militaires dans l'espace arabe
(Arabie saoudite, Bahreïn, Jordanie, Koweït, Oman, Qatar), la subversion
meurtrière qui secoue périodiquement le Royaume, les dérives de ses
anciens sujets dont le plus illustre disciple n'est autre que
l'animateur de la plus importante organisation clandestine
trans-nationale de l'intégrisme musulman, Oussama Ben Laden, auparavant
serviteur dévoué de la politique saoudo américaine dans la sphère
musulmane.
Plus grave, allié inconditionnel et résolu des Etats-Unis, le bailleur
de fonds de toutes ses équipées dans la zone, même au delà en Amérique
latine et en Afrique, hors de la sphère de la sécurité nationale arabe,
l'Arabie Saoudite aura été de surcroît la caution morale et politique du
principal partenaire stratégique du principal ennemi des Arabes,
Israël, le propagateur zélé d'une politique qui a abouti,
paradoxalement, à la judaïsation rampante de la quasi totalité de
l'ancien territoire de la Palestine du mandat britannique en
contradiction avec les voeux d'un des plus éminents monarques saoudiens,
le Roi Fayçal, assassiné en 1975, avant de réaliser son souhait de
prier à la Mosquée libérée d'Al-Aqsa de Jérusalem.
Plus que tout autre, l'Arabie Saoudite aura illustré jusqu'à la
caricature la réalité paralytique arabe dont elle assume une lourde part
de responsabilité avec un monarque (le Roi Fahd) hémiplégique pendant
une décennie de 1995 jusqu'à sa mort en 2005, à la mobilité réduite, à
la lucidité aléatoire, sous assistance sanitaire permanente animée par
une cohorte de médecins, régnant sur un pays clé de l'échiquier régional
à un moment charnière du basculement géostratégique planétaire avec la
collusion frontale de l'hyper puissance américaine avec les deux plus
importants foyers de percussion de la stratégie régionale saoudienne,
l'Afghanistan et l'Irak, les deux anciens alliés de l'axe saoudo
américain.
Un scénario identique s'est reproduit quinze ans plus tard, en 2009,
avec le prince héritier le prince Sultan Ben Abdel Aziz, désertant son
poste de ministre de la défense et le royaume pour une convalescence
prolongée au Maroc de plus d'un an exerçant ses lourdes responsabilités
de prince héritier, vice premier ministre, ministre de la défense et
inspecteur général des forces armées royales, de manière fantomatique
dans une zone particulièrement tourmentée en plein bras de fer américano
iranien sur le dossier nucléaire iranien.
L'Arabie avait tout pourtant pour être heureuse et son bilan se
promettait radieux : Deux incomparables atouts naturels, La Mecque et
Médine, les deux Hauts Lieux saints de l'Islam, référence spirituelle
absolue d'une communauté de croyants de 1,5 milliards de fidèles de la
deuxième religion du monde par son importance, le pétrole, moteur de
l'économie internationale dont elle détient le principal gisement
énergétique du monde, une immense superficie qui fait de ce pays de 2,5
millions de km2, un quasi-continent de taille comparable à l'Europe
occidentale (France Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), une
faible densité démographique (20 millions d'habitants), enfin, dernier
et non le moindre atout : le bouclier américain mis en place par le
Pacte de Quincy, dissuasif contre toute remise en cause interne, toute
intervention étrangère, toute critique internationale.
A l'ombre des drones et des Awacs américains, les avions radars
électronique à long rayon d'action dont l'Arabie était le seul pays au
monde à en abriter hors du territoire des Etats-Unis, le Royaume
wahhabite pouvait prospérer sans limite, dans une quiétude que
n'altéraient ni la réclusion féminine, jugée outrageusement scandaleuse
partout ailleurs dans le monde, ni la ségrégation raciale ou religieuse,
ni les abus de domesticité, qui alimentaient les chroniques mondaines
de la presse occidentale avide de scandales, ni les vexations
répétitives d'une institution unique au monde, la redoutable police
religieuse (Al-Moutawa'a), aussi puissante que sectaire.
En toute impunité, le souverain pouvait à loisir se livrer à
d'invraisemblables passe-droits criminels tel l'enlèvement du plus
célèbre opposant saoudien, Nasser Al-Saïd, mystérieusement disparu en
1979 à Beyrouth. L'opposition anti-monarchique soutiendra que l'homme
réfugié à Beyrouth a été enlevé par les services saoudiens avec l'aide
de groupements palestiniens à la faveur de l'anarchie ambiante régnant
dans la capitale libanaise en pleine guerre inter factionnelle, embarqué
de force à bord d'un avion militaire saoudien et jeté par dessus bord
au dessus du désert saoudien. Si l'opposition saoudienne n'a jamais pu
fonder de manière formelle cette accusation, force est toutefois de
convenir que nul, depuis 26 ans, n'a pu retrouver sa trace.
Pays rigoriste, l'Arabie a fait du Coran, son arme absolue et du
prosélytisme religieux son vecteur d'influence diplomatique, véritable
rente de situation stérilisant tout débat interne, au point que le pays
aura sombré pendant un demi siècle dans le «degré zéro de la culture».
Le Royaume a ainsi consacré durant la décennie 1980-1990 près d'un
milliard de dollars à l'entretien de trente mille (30.000) lieux de
culte et aux quatre vingt dix (90) universités théologiques et facultés
théologiques, record mondial absolu par rapport à sa densité
démographique, faisant du pays un fief intégriste. Un des temps forts du
rituel diplomatique de la dynastie wahhabite, le pèlerinage de la
Mecque, vaste rassemblement humain annuel de près de deux millions de
personnes, constituait le moment idéal pour les dignitaires saoudiens de
déployer des trésors de générosité au service de la Foi, pour
d'incommensurables retombées politiques au bénéfice du Roi. Sur le plan
profane, le pèlerinage de Riyad constituait pour les dirigeants
occidentaux un rituel comparable par son importance au pèlerinage de la
Mecque pour les Musulmans. En plus lucratif.
L'Arabie Saoudite qui aura effectivement fertilisé son désert, se
dotera, à la faveur du boom pétrolier générateur de «pétrodollars»,
dotée d'infrastructures sans rapport avec les besoins réels du pays, à
la grande satisfaction des quémandeurs de toute sorte, dans une
politique dilapidatrice relevant tout à la fois de l'ostentation, du
clientélisme politique et de la corruption. A croire que les lourds
investissements, notamment dans le domaine militaire, n'étaient stimulés
parfois, non pas tant par les impératifs de sécurité, mais par la
perspective alléchante des commissions et rétro commissions. A l'indice
mondial de la corruption, l'Arabie Saoudite se situait hors classement. A
croire que les surfacturations tenaient lieu de «police d'assurance
tous risques» contre d'éventuelles tentatives de déstabilisation, de
rétribution déguisée pour un zélé protecteur, une sorte de mercenariat
officieux avant terme.
Dans la foulée de la première guerre contre l'Irak, l'Arabie a ainsi
consacré en 1992 et 1993, vingt neuf milliards de dollars pour sa
défense contre 26,5 milliards à l'éducation nationale, une somme
équivalent, compte tenu de sa faible densité démographique (12,3
millions de nationaux) et de la faiblesse numérique de ses forces armées
(200.000 entre armée régulière et garde nationale), à une dépense
moyenne de 75 millions dollars par an pour chaque militaire, et, à
l'échelle du pays, un million de dollars par an par habitant, proportion
inégalée partout ailleurs dans le monde. Gigantisme et morgue vont de
pair dans le royaume, dans ce qui apparaît comme une sorte de démarche
de compensation face à une abdication de souveraineté envers les
Américains.
Au delà des apparences, le Royaume, jamais colonisé, constitue, en fait,
une grande prison dorée pour une dynastie à la marge de manoeuvre
réduite envers ses tuteurs américains et pour une population en état de
crainte révérencieuse envers ses vigiles wahhabites, grands
dispensateurs des bienfaits au Royaume. Unique entreprise familiale au
monde à siéger aux Nations Unies, la dynastie wahhabite aura versé dans
toutes les licences cautionnant au passage de stupéfiants trafics,
allant même, du moins certains des membres de l'entourage royal comme ce
fut le cas dans le narcotrafic saoudien en France, jusqu'à
réquisitionner des appareils de la flotte aérienne royale pour le
transport de la drogue colombienne. Un trafic rocambolesque qui paraît
quelque peu en décalage avec les enseignements rigoristes que le pouvoir
saoudien dispense et qui explique une part de son discrédit.
Anomalie exorbitante, à l'origine du divorce entre la dynastie wahhabite
et son ancien serviteur, Oussama Ben Laden, la présence des troupes
américaines sur le sol du royaume, ainsi que les dérives mercantiles que
la contribution militaire occidentale a donné lieu lors de la première
guerre du Golfe, consécutive à l'invasion du Koweït par l'Irak (Août
1990-Janvier 1991). Au faite de sa gloire, Oussama Ben Laden avait
proposé au Roi Fahd d'Arabie de bouter les Irakiens hors du Koweït avec
le seul concours des Moudjahidine, mais la proposition du vainqueur de
l'Armée Rouge en Afghanistan a été accueillie sans enthousiasme par les
dirigeants saoudiens effrayés qu'ils étaient qu'un de leurs sujets
disposa de la capacité de lever des troupes d'une telle importance pour
combattre l'Irak, à l'époque au sommet de sa puissance.
Le Roi Fahd a décliné l'offre de Ben Laden, lui préférant une
proposition américaine plus coûteuse et contraignante à terme, mais qui
avait l'appréciable avantage de sauver la face des Saoudiens dans la
mesure où la présence des troupes occidentales avaient aussi pour
fonction de masquer l'impéritie et la corruption de l'armée saoudienne
en présentant la guerre contre l'Irak comme une opération de police
internationale menée par une coalition avec la caution des Nations
Unies. Mais, par un effet de pendule, la présence massive de près de
cinq cent mille (500.000) soldats occidentaux sur le sol saoudien, dont
soixante mille soldats américains de confession juive, à proximité des
Lieux Saints de l'Islam, fait sans précédent dans l'histoire, a été
perçue par une large fraction de la population arabe et musulmane comme
une profanation d'un sanctuaire dont la dynastie wahhabite a en principe
le devoir de garde et de protection.
Elle a été ressentie aussi comme la marque de la collusion du "Gardien
des Lieux Saints" avec les oppresseurs des Musulmans et servi de
justificatif à la rupture de bon nombre de formations islamistes avec le
Royaume saoudien, leur bailleur de fonds. Pour prix du concours
américain, l'Arabie saoudite a déboursé la coquette somme de cinquante
milliards de dollars à titre de contribution à l'effort de guerre, dont
dix sept milliards de dollars au titre de prime de débarquement sur le
sol saoudien en prélude aux frappes anti-irakiennes... Autrement dit, la
monarchie saoudienne aura débloqué cinquante milliards de dollars à
l'Amérique pour l'autoriser à accentuer son emprise sur le Royaume et à
camoufler la corruption régnante.
Le Général Khaled Ben Sultan, (57 ans), propre fils du ministre de la
défense, abusivement auto proclamé commandant en chef de la coalition
internationale anti-irakienne, alors qu'il n'était en réalité que
l'interface saoudien du véritable commandant américain, le général
Norman Schwarzkopf, a réussi, dans ces circonstances dramatiques pour
son pays, le tour de force, de prélever près de trois milliards de
dollars au titre de commissions sur les transactions sur l'équipement et
le ravitaillement des troupes de la coalition estimée à l'époque à
500.000 soldats de 26 nationalités. Une telle ponction, exorbitante, et à
certains égards indécente au regard des enjeux de l'époque et de la
contribution réclamée par des tiers pour la défense du territoire
national, aurait été passible partout ailleurs d'une comparution
immédiate devant la cour martiale. Elle n'a donné lieu à aucun rappel à
l'ordre familial, tout juste une discrète mise à l'écart provisoire de
l'indélicat, qui s'est traduite pour l'exilé milliardaire de Londres par
le rachat du journal «Al-Hayat». Une prime à la prévarication en
quelque sorte.
Ce Royaume des trois silences «ne pas parler, ne pas voir, ne pas
entendre», avait affecté à sa magnificence les plumes les plus réputées
du monde arabe, édifiant, en un temps record, et avec l'aide des
capitales occidentales, un complexe multimédia, se hissant en l'espace
d'une décennie au rang d'un géant de la communication, à l'égal des
conglomérats occidentaux, dans une stratégie offensive dont le but non
avoué était d'aseptiser les ondes de toute pollution anti-saoudienne, en
vue de faire pièce à la contamination révolutionnaire dans la sphère
musulmane préjudiciable à son leadership. Le plus grand marché de
consommation du monde arabe avec des investissements publicitaires de
l'ordre d'un milliard de dollars par an, (Chiffre de 1995), l'Arabie
saoudite a favorisé la libéralisation du consommateur, au détriment du
citoyen, et l'uniformisation de ses désirs et de ses repères
institutionnels par la consommation. Avec des conséquences dramatiques
sur sa démographie qui affiche le chiffre record de dix pour cent (10%)
d'obèses et de diabétiques et un taux élevé de harcèlement sexuel de
l'ordre de 68 pour cent parmi les couches cultivées de la population,
dont 17,32 pour cent de nature incestueuse, et 20 pour cent sur les
enfants.
Au delà de cette surcharge pondérale, l'empire médiatique saoudien, pour
performant qu'il ait été, cachait toutefois de sérieuses lézardes. Le
plus grand diffuseur de son et d'images de l'hémisphère sud s'est
trouvé, de par son monopole de fait, son plus grand censeur. Signe
patent de l'échec de la stratégie médiatique saoudienne se révèle dans
le succès de ses jeunes concurrents, notamment la chaîne transfrontière
du Qatar «Al-Jazira» et le quotidien pan arabe de Londres «Al-Qods
al-Arabi», dont le prestige sous la direction du journaliste palestinien
Abdel Bari Atwane, au sein de l'élite intellectuelle arabe, a surpassé
de loin tous les médias pro saoudiens, tous vecteurs et toute
périodicité confondus.
Fausse bonne idée donc que ce pacte de Quincy. En confortant la dynastie
wahhabite dans son impunité et son faux sentiment de quiétude et de
supériorité, il l'a hypothéqué politiquement. Conclu en février 1945 sur
le croiseur américain Quincy entre le président démocrate Franklin
Roosevelt et le fondateur de la dynastie saoudienne, le Roi Abdel Aziz
Al-Saoud, «The Quincy Agreement » est une parfaite illustration de
l'alliance contre nature entre une puissance qui se veut la plus grande
démocratie libérale du monde et une dynastie qui se revendique comme la
plus rigoriste monarchie théocratique du monde. En contrepartie de la
protection inconditionnelle de l'Arabie saoudite, considérée comme
relevant des «intérêts vitaux» de l'Amérique, les Wahhabites ont garanti
le ravitaillement énergétique américain à prix compétitif.
Ce pacte a assuré la stabilité du ravitaillement énergétique mondiale et
la prospérité économique occidentale, parfois au détriment des intérêts
des autres producteurs, sans pour autant donner satisfaction aux
revendications légitimes arabes notamment à propos de la question
palestinienne, encore moins aux aspirations démocratiques des peuples
arabes. En application de ce pacte, qui a donné lieu aux plus
invraisemblables dérives, l'Amérique a assumé un rôle étymologiquement
rétrograde, en négation avec les valeurs qu'elle professe, mais en
conformité avec les souhaits de son protégé saoudien.
Parangon de la démocratie et du libéralisme dans le monde, elle s'est
posée en «parrain» du royaume le plus hermétique de la planète,
s'opposant aux expériences de modernisation et de démocratisation du
tiers-monde, comme ce fut le cas en Iran, en 1953, lors de la
nationalisation des installations pétrolières par le dirigeant
nationaliste Mohammad Mossadegh, en Egypte, en 1967, contre le chef de
file du nationalisme arabe Gamal Abdel Nasser, ou encore dans le pré
carré des puissances occidentales: l'Afrique et l'Amérique latine.
Au paroxysme du conflit israélo-arabe alors qu'Israël entreprenait le
détournement des eaux du Jourdain pour anticiper ses besoins
hydrauliques futurs, l'Arabie se livrait à une opération de diversion en
tentant de déstabiliser la jeune équipe baasiste de Syrie fraîchement
parvenue au pouvoir en 1966. Les révélations d'un des conjurés, le
Colonel Salim Hatoum, sur une contribution royale saoudienne de l'ordre
d'un million de dollar à cette opération de déstabilisation de la Syrie,
en pleine ébullition nationaliste consécutive au détournement des eaux
du Jourdain, entraînera l'éviction de Saoud au profit de son frère cadet
Fayçal au trône d'Arabie, sans que cette sanction ne mette un terme à
ses pratiques.
Enivrée par sa promotion au rang de puissance régionale à la suite de la
chute de la monarchie iranienne, le Royaume, récidiviste, fondera en
1979 avec la France, l'Egypte et le Maroc, le «Safari club», se donnant
ainsi l'illusion de «jouer dans la cour des grands», non sur le champ de
la confrontation israélo-arabe, mais à des milliers de kilomètres de
là, non pour la récupération des Lieux Saints de l'Islam, mais pour le
maintien au pouvoir d'un des dictateurs les plus corrompus de la planète
le Zaïrois Mobutu, agent attitré des Américains dans la zone centrale
de l'Afrique, en butte à la subversion interne.
Si le Royaume a brandi «l'arme du pétrole » en 1973 contre les pays
occidentaux soutenant Israël en guerre contre l'Egypte et la Syrie, il
n'a pour autant jamais privé les Etats-Unis, pourtant principal soutien
de l'Etat Hébreu, du ravitaillement pétrolier nécessaire au corps
expéditionnaire américain dans ses opérations de guerre contre le
Vietnam du Nord communiste.
Mieux, dans les années 1980, au plus fort de la rivalité
soviéto-américaine consécutive à la perte du Vietnam (1975) et de
l'invasion soviétique en Afghanistan, l'Arabie saoudite apportera son
soutien matériel et financier à la plus grande opération de
déstabilisation d'un régime socialiste, situé au delà des océans, dans
la lointaine Amérique latine, le Nicaragua du régime sandiniste de
Daniel Ortega, dans l'unique souci de complaire à son complice
américain. L'affaire des «contras», qui mettra en oeuvre la plus grande
opération de toxicomanie de masse de la communauté noire de Los Angeles à
la faveur du trafic du Crack (drogue à charge démentielle), débouchera
sur le plus grand scandale politico financier de l'ère Reagan
(1980-1988), «l'Irangate» et le châtiment de deux fusibles subalternes,
un officier supérieur américain le lieutenant colonel Oliver North et un
richissime intermédiaire saoudien de renom Adnane Kashoogi, jeter en
pâture pour calmer la vindicte populaire.
Afghanistan, Irak, Syrie........ des guerres meurtrières aux coûts
faramineux de l'ordre de trois mille milliards de dollars, pour gommer
toute trace de coopération souterraine saoudo américaine, aux points de
percussion de la confrontation soviéto-américaine au plus fort de la
guerre froide ont entrainé la fin d'un monde unipolaire, le déclassement
des Etats Unis au profit de la Chine au titre de première puissance
économique du Monde et la fin de son unilatéralisme, plaçant du coup
l'Arabie saoudite sur la défensive. Décidément le pacte de Quincy, aura
été une fausse bonne idée en ce que l'Arabie saoudite, ce royaume des
ténèbres aura place l'Islam en otage du wahhabisme.
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