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Entretien
transcrit par Selma Kasmi
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dimanche 9 novembre 2014 18:14
Pr Omar Aktouf sur RadioM: "Le gaz de schiste est
la prochaine bulle financière américaine !" (Audio-Vidéo)
Pour
Omar Aktouf, le gaz de schiste n’est pas la solution pour rallonger la
durée de vie des réserves algériennes d'hydrocarbures.
Omar Aktouf, professeur titulaire en Management
à HEC Montréal, explore le modèle américain d’exploitation du gaz de
schiste, explique pourquoi il n’est pas soutenable, aux Etats-Unis même.
Alors de là à l’amener en Algérie… (entretien RadioM).
RadioM. Le modèle nord-américain est le
modèle gagnant, que l’on oppose à chaque fois que les réserves sur
l’exploitation du gaz de schiste sont émises. Vous vivez en Amérique du
Nord, est-ce vraiment un modèle gagnant ?
Omar Aktouf : Le modèle
nord-américain est un effet d’annonce, il ne marche pas aussi bien qu’on
le dit. Le gaz de schiste est rentable à très court terme. Pendant les
quelques premiers mois, un puits de gaz de schiste peut payer les
investissements et générer quelques profits, mais au bout d’un an, le
taux de récupération d’un puits de gaz schiste perd jusqu’à 90 %. Il
faudrait alors creuser un autre puits. Or creuser un puits de gaz de
schiste tous les ans, c’est énorme. Les grandes firmes multinationales
Exxon, Haliburton, ou GSP Energy creusent environ 1.000 puits par an,
ce qui coûte entre 12 et 15 milliards de dollars. Si on multiplie ce
chiffre par l’ensemble des exploitations en USA, on va obtenir
l’équivalent de ce que l’on a dépensé pour sauver la planète de la crise
de 2008.
Pourtant, l’arrivée des hydrocarbures
non conventionnels a permis aux Etats-Unis de devenir autonomes en
matière de gaz, ce qui a eu des impacts sur le marché mondial. De plus,
leur niveau de production de pétrole a atteint au mois d’octobre 2014
celui de la Russie. Spectaculaire tout de même ?
C’est effectivement spectaculaire mais de court
terme. C’était d’ailleurs inscrit dans leur stratégie qui consistait à
aller très vite dans la production, et j’ignore s’ils savaient ce qu’ils
faisaient à ce propos. En effet, lorsque nous lisons les revues
spécialisées en pétrole, à l’instar de Petroleum Review ou Nature,
on déduit que cette industrie accélérée n’est, en réalité, qu’une bulle
financière et spéculative, un effet d’annonce pour dire au monde entier
qu’on a le gaz de schiste, et cela nous permettra de récupérer 3, 4, et
même 5% d’huile, chose, qui permettra d’équilibrer les pertes de gaz de
schiste qui viennent du mode d’exploitation, de production, et de
l’acheminement de ce gaz non conventionnel. Des processus de production
qui sont infiniment plus chers que ceux du conventionnel.
Vous voulez dire que ce modèle
économique du non-conventionnel est une supercherie, qu’il s’est soutenu
par des subventions, des crédits ?
Le modèle économique du non-conventionnel tient
par des crédits d’impôts. Les entreprises qui se sont lancées dedans
(Les américaines Haliburton, Exxon, et les européennes Royal Dutch
Shell, GB Energy, etc.) disent qu’elles sont dans le rouge et qu’elles
sont obligées de fonctionner sur crédits d’impôts: des subventions et
sur un effet d’annonce, à court terme. Ils ont pu mettre sur le marché
des quantités de gaz supplémentaires qui ont suffi pour faire baisser le
prix du charbon et, par conséquent, le prix de l’électricité qu’on
produit encore avec beaucoup de charbon aux Etats-Unis. Cela a restauré
une compétitivité de court terme et permis de gagner la paix sociale
dans un contexte de crise.
Vous diriez donc que le premier obstacle devant l’exploitation du gaz de schiste est de type économique ?
Tout à fait. C’est totalement différent de
creuser un puits conventionnel et un autre dans le schiste. Dans le
conventionnel, on creuse un puits de manière verticale, dans le non-
conventionnel, on creuse un puits verticalement, puis horizontalement,
sur un ou deux km minimum, de façon beaucoup plus profonde. Pour le
conventionnel, on creuse à 2.000 à 3.000 mètres de profondeur, tandis
que pour le non-conventionnel, il faudrait aller de 3.000 à 10.000
mètres pour, soi-disant, ne pas contaminer la nappe phréatique, qui
finira par être contaminée. Quand on creuse à l’horizontal après avoir
creusé à la verticale, on produit beaucoup plus de coups sur les roches
que dans les puits conventionnels. En plus, il faudrait injecter de
l’eau à très haute pression, entre 500 et 900 produits chimiques
différents dont on ignore les entités (toxiques, meurtriers,
cancérigènes). En Pennsylvanie par exemple, on a assisté à la perte de
la couverture végétale et du bétail. L’eau courante est devenue toxique.
En Arkansas, la nappe phréatique a été contaminée. Il faudrait rajouter
à cela les effets de sismicité induite, provoqués par la fracturation
des roches : une petite explosion dans le tuyau horizontal chaque 10,
20, 15 cm, rend la roche plus perméable et provoque des effets sismiques
sur toutes les roches environnements. Cela s’étend sur des centaines de
mètres, voire des kilomètres, ce qui fait que les roches qui étaient
imperméables deviennent perméables. C’est ainsi qu’on a pu observer en
Arkansas, par exemple, des tremblements de terre 4 à 5 sur l’échelle
Richter. De ces effets sismiques s’échappe le gaz méthane des roches
poreuses. Ce gaz méthane, comme on le sait, est 10 fois plus producteur
d’effet de serre que le carbone.
L’intégralité de l’entretien en vidéo : http://bit.ly/1ucvDGJ
En dépit de toutes ces nuisances, le
gaz de schiste est perçu comme un succès aux USA. L’écosystème
économique américain a profité de ce gaz non conventionnel, c’est ce qui
a permis de soutenir un tel modèle?
C’est juste, mais la question, maintenant, est
de savoir jusqu’à quand on va continuer à le soutenir. C’est une des
stratégies qu’on leur prête. Les Etats-Unis attendent l’ouverture
d’autres marchés du gaz de schiste dans le monde pour les subventionner,
car ils ont la maîtrise et la technologie. Tout autre pays qui aura
envie de se lancer dans l’industrie du schiste aura besoin du
savoir-faire américain en priorité, et les USA pensent subventionner la
technologie des marchés du schiste. Cette technologie exige des coûts
faramineux. Pour le jet de l’eau par exemple, il faudrait entre 10 et 20
mille litres pour creuser un puits de schiste contrairement à un puits
conventionnel. C’est énorme ! Une personne consomme 1 mètre cube d’eau
en moyenne dans les pays développés. 20 milles mètres cubes, représente
donc l’équivalent de la consommation de 20.000 personnes ! En Algérie,
cette quantité d’eau représentera l’équivalent de la consommation de
100.000 personnes. Où est-ce qu’on veut aller chercher toute cette eau ?
Surtout s’il faut aller creuser un puits supplémentaire tous les ans.
Que pensez-vous quand vous écoutez les
partisans du gaz du schiste dire qu’il faudrait maintenir une veille
technologique car peut-être sur les 20 prochaines années, il y aura de
nouvelles méthodes de fracturation de la roche ?
On est là dans le « peut-être », car la
technologie dans ce domaine-là est le grand trou noir. On ne sait pas.
Tout ce qu’on sait est qu’il faut fracturer ces roches, les rendre
perméables alors que la nature les a faites imperméables, les rendre
poreuses alors que la nature les a faites non poreuses. Il faut
absolument injecter du sable, des billes de métal, etc., pour maintenir
les fissures ouvertes. En plus des dissolvants, des diluants, des
produits chimiques etc. Quelles technologies va-t-on inventer ? On parle
d’hélium, de chauffer les roches par arc magnétique, mais ça reste de
simples hypothèses.
Mais il y a 25 ans, par exemple, on ne
pensait pas pouvoir faire de l’off-shore en profondeur, ni utiliser la
banquise de l’Arctique pour extraire du pétrole...
Tout a fait, mais cela ne veut pas dire qu’on
maîtrise ce qu’on fait. Regardez les dégâts naturels comme ceux causés
qui dans le Golfe du Mexique (la plateforme Deepwater Horizon de BP qui a
explosé en avril 2010, NDLR). Je vous assure qu’aujourd’hui, on ne sait
absolument pas comment pallier à ces dégâts. On n’arrive même pas à
contenir le pétrole dans de l’eau dans les profondeurs. On joue avec le
feu.
Qu’est-ce que vous pensez en écoutant
le Ministre de l’Energie dire que le gaz de schiste sera l’alternative
pouvant permettre de rallonger la durée de vie des réserves énergétiques
algériennes ?
Dans l’état actuel des choses, c’est un pari fou, dangereux. Et je dirais même à la limite criminel.
Vous attendez-vous à ce que le modèle nord-américain de gaz de schiste s’écroule dans les prochaines années ?
Il s’est déjà écroulé. Il est déjà en faillite.
Il y a quelques mois, le patron d’Exxon était devant une commission
sénatoriale ; il pleurait et disait : « Nous sommes dans le rouge, on
est fini ». Il a même utilisé l’expression, « On a bouffé nos
chemises ». Si Exxon dit en avoir bouffé sa chemise avec le gaz de
schiste, que ferions-nous alors ?
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