Pas
en mon nom, ou #notinmyname, lit-on sur Twitter. La formule lancée, le
10 septembre, par l’Active Change Foundation, basée en Grande-Bretagne,
cherche à répondre aux crimes de l’Etat islamique (EI). Le succès est
immédiat. Mais, après l’ignoble assassinat d’Hervé Gourdel par un
groupuscule lié à cette organisation, une partie de la presse s’emballe.
Le Figaro n’a pas hésité à lancer sur son site un sondage dont la
question était : « Assassinat d’Hervé Gourdel : estimez-vous suffisante
la condamnation des musulmans de France ? » INVITÉS À S’EXPRIMER POUR SE DÉSOLIDARISER Pour
démontrer leur indignation, les musulmans sont donc (fermement) invités
à s’exprimer pour se désolidariser de cet islam barbare. L’initiative
britannique est sans doute louable, mais la lecture journalistique qui
en est faite révèle les mécanismes d’assignation identitaire qui sont à
l’œuvre dans nos sociétés. Pourtant, le 27 août, l’Union mondiale des
oulémas, spécialisés dans l’exégèse religieuse, rejoignait les voix
d’autres érudits musulmans à travers le monde pour condamner les actes «
criminels » de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. Un positionnement
clair, mais qui a échappé à de nombreux médias. En France, la
mobilisation est au rendez-vous, avec, d’une part, l’Appel de Paris,
signé le 9 septembre par des hauts responsables musulmans en solidarité
avec les chrétiens d’Orient, et l’Appel des musulmans de France, publié
le 25 septembre par un collectif sur le site du Figaro pour dire leur
émotion après la mort d’Hervé Gourdel. Pour autant, chaque musulman
doit-il rappeler explicitement son rejet de crimes dont il n’est ni
responsable ni solidaire ? Ne soyons pas dupes. Cette injonction
sous-entend qu’il existerait bel et bien un lien entre l’EI et les
musulmans. Ainsi, les musulmans absents du rassemblement organisé par la
Mosquée de Paris, le 26 septembre, sont-ils complices ? Photographies postées sur Twitter de participants à la campagne anti-islamistes « Not in my name » (« pas en mon nom »). | DR RACISME INSIDIEUX Non,
sauf à postuler que tout musulman est coupable a priori. Son
individualité serait alors niée au profit du collectif « musulman ».
Nous assistons à une banalisation d’une culpabilité ontologique qui
exprime un racisme insidieux et décomplexé. Tout comme « l’antisémitisme
combat la supposée perversité radicale et raciale des juifs » comme le
dit Edgar Morin, l’islamophobie combat la prétendue barbarie radicale et
raciale des musulmans. Le pamphlet d’Edouard Drumont La France
juive, écrit en 1886, dénonçait le danger que les juifs représentaient
pour la société française. Aujourd’hui, dans notre pays, le juif a été
remplacé par le musulman. Il ne s’agit pas d’introduire une concurrence
nauséabonde entre minorités. Mais plutôt de tirer les leçons d’un passé
qui ne passe pas. #Notinmyname vient paradoxalement apporter une
caution morale aux actions actuelles et passées commises ça et là par
les puissances coalisées. On ne retient que la dimension religieuse de
ce conflit, et l’on ignore les autres causes à l’œuvre, qu’elles soient
économiques, géographiques, démographiques, voire impérialistes. Les
musulmans se doivent de montrer qu’ils ont intégré les principes
civilisationnels occidentaux. Cette campagne s’inscrit dans ce
rapport inégal, où l’un est dit « civilisé » tandis que l’autre doit
dissoudre le soupçon qui pèse sur lui. A l’heure où la parole et les
actes islamophobes connaissent une rapide croissance en France, les
Français musulmans seraient responsables de leur propre sort. Ce n’est
plus aux racistes qu’il revient de lutter contre les catégorisations et
les raccourcis qu’ils opèrent, mais aux « racisés » eux-mêmes de montrer
plus que jamais « patte blanche ».
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