Et si Dante avait vécu en Algérie ?
par Moncef Wafi
«
Les endroits les plus sombres de l'enfer sont réservés aux indécis qui restent neutres
en temps de crise morale», L'enfer de Dante. Une citation qui n'a jamais eu
autant de vérité qu'en ces temps de démission collective où l'intérêt personnel
prend le pas sur les autres valeurs. Ce qui se passe en Algérie et dans le
monde répond aveuglément à cette obsession d'individualisme primaire et
d'égoïsme patenté qui a supplanté le devoir national et les obligations
contractuelles.
Depuis
quelques années, le pays regorge d'une faune d'individus avides, prêts à tout
pour une fortune, un poste ou une promotion sociale. Des hommes et des femmes
sortis du ventre de la voracité capables de vendre le pays pour une carte de
séjour à l'étranger et un compte en banque offshore. Si l'honnêteté absolue
n'existe que dans les contes, le minimum syndical est de servir lorsqu'on
s'installe à table. Des gestionnaires coupables ont mené le pays vers le
précipice, raflant à bout de bras l'argent du peuple, faisant de l'incompétence
leur seul bagage intellectuel.
En
ces temps de crise morale, se taire équivaut à devenir complice du crime, quel
qu'il soit, mais en Algérie, dénoncer est devenu un acte très risqué aux
conséquences insoupçonnables. Beaucoup d'exemples à citer et des dossiers à
exhumer pour comprendre que le devoir civique se conjugue avec un retour de
manivelle aussi inattendu qu'implacable. De témoin, on a été vite assimilé au
coupable dans l'affaire et pris à partie par les vrais criminels, forts de
leurs appuis dans l'Administration. De dénonciateur, on passe au box des
accusés, à répondre de son devoir de citoyen, à essayer de se justifier et
d'expliquer qu'on a agi par acquit de conscience.
L'affaire
Mellouk est la parfaite illustration de ce cas de figure où le devoir est
supplanté par l'obligation de réserve, celle de fermer les yeux et laisser
faire le plus fort. Mellouk, dont le dossier est toujours d'actualité, a subi
de plein fouet la riposte de l'Administration après avoir crié au scandale :
celui des magistrats faussaires. Depuis, l'homme a vécu l'enfer, son
antichambre et ses options. Traîné dans la boue, déshonoré, menacé dans son
intégrité physique, il a tenu tête à ses pourfendeurs. On a voulu faire de lui
un exemple, un cas d'école pour prévenir tous les justiciers amateurs. Le message
est clair, sans ambages : regardez ce qui arrive lorsqu'on se mêle des affaires
des puissants. Mais voilà, il existe et il existera toujours des hommes
au-dessus de tout soupçon qui n'ont pas voulu rester dans cette partie sombre
de l'enfer promise par Dante aux indécis. Ils ont osé renverser l'ordre établi
et dénoncer haut et fort le crime dont ils ont été témoins.
Malheureusement,
ces gens sont peu, très peu dans un pays où pour bénéficier de son droit on
doit payer la dime. Le cas de l'arbitre assistant Bitam est également assez
significatif. Déclaré coupable d'hérésie, il a été sacrifié sur l'autel de
l'omerta. Voulant dénoncer l'incurie qui habite le monde de l'arbitrage, il a
été tout simplement radié du corps arbitral alors qu'on lui promet par ailleurs
la potence. Pourquoi ? Parce qu'il a simplement voulu dénoncer un fait établi
accepté comme tel par tous les acteurs du monde sportif. Mellouk, Bitam, ils
sont, on présume, beaucoup d'anonymes à revendiquer le droit à la parole pour
que justice soit faite.
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