Un pays qui échappe à ses enfants
par K. Selim
Nouri
al-Maliki a fait de la résistance, mais il a été poussé sans ménagement vers la
sortie. Il a beau être celui qui dirige la première force parlementaire du
pays, il n'a pas été désigné pour former le nouveau gouvernement. Le président
Fouad Massoum a en effet chargé, hier, Haïdar al-Abadi de former le nouveau
gouvernement dans un contexte de crise politique généralisée. Al-Maliki avait
invoqué son droit constitutionnel d'être désigné à cette charge. Mais l'aspect
juridique, solide, qu'il a mis en avant n'a pas pesé dans la balance.
Aussi
bien la hiérarchie chiite - et notamment al-Sistani - que les Etats-Unis
voulaient en finir avec un homme dont l'action à la tête du gouvernement a été
calamiteuse. Son sectarisme en a fait le plus puissant agent recruteur des
djihadistes de «l'Etat islamique» dont les forces ont grossi, démesurément,
avec l'apport des forces tribales mais également des anciens des services
secrets et de l'armée de la période de Saddam Hussein. Les Etats-Unis qui l'ont
pendant longtemps soutenu à bout de bras l'ont lâché irrémédiablement et ont
apporté ostensiblement leur appui à la décision du président Fouad Massoum de
ne pas s'embarrasser du respect des formes.
La
Cour fédérale a annoncé que contrairement à ce qu'ont affirmé les pro-Maliki,
elle ne s'était pas prononcée sur la plainte qu'il avait déposée contre le
président Massoum pour non-respect de la règle sur la désignation du Premier
ministre. On est bien devant un artifice. La Cour fédérale n'a pas dit ce que
prévoit la loi fondamentale, elle a choisi de ne pas répondre. Elle a ouvert
ainsi la voie à ce que les partisans de Maliki qualifieront de «coup d'Etat».
On est bien en tout cas devant une décision politique qui dépasse ouvertement
les règles. Certains objecteront d'ailleurs que l'Irak n'a plus d'Etat et que
la question du respect des règles est devenue bien accessoire devant l'ampleur
de la crise.
La
question est de savoir quelle sera la réaction d'al-Maliki et de ses partisans.
Est-ce qu'ils vont s'accommoder de ce qu'ils considèrent déjà comme un «coup de
force» ? C'est ce que leur demandent les Américains et presque tout le monde.
Al-Maliki qui a réussi aussi à se faire détester aussi par les chiites - qui ne
peuvent ignorer les dégâts de sa politique sectaire - a montré des velléités de
résister. Cela ne fera qu'accentuer un peu plus la crise d'un Irak en état de
délitement avancé. Et il ne faut pas s'illusionner, si la non-reconduction
d'al-Maliki est juridiquement anormale mais politiquement logique, elle ne va
pas miraculeusement mettre le pays dans un cycle vertueux.
L'idée
d'un gouvernement d'union nationale paraît une option raisonnable. Mais sa
faisabilité après l'accumulation des crises et des haines sectaires paraît
moins probante. «Le pays est entre vos mains», a déclaré le président irakien
au nouveau Premier ministre désigné. Sauf que justement le pays n'est plus
entre les mains des Irakiens depuis que leur Etat a été liquidé sur un ukase de
Bremer. Al-Maliki a montré au cours de sa gouvernance qu'il était «petit» mais
le mal causé par sa politique est grand. Le pays échappe largement aux
Irakiens.
La
prémonition du poète défunt Abdel-Amir Jarras s'est réalisée au-delà de son
imagination. «Nous nous sommes réveillés une fois / Et nous n'avons pas trouvé
le pays. Il nous a été dit : Le pays a ramassé toutes ses affaires, Il les a
rassemblées arbre par arbre, Fleuve par fleuve, Et il est parti au loin.
Nombreux sont les pays qui ne trouvent pas de lieux. Nombreux sont les pays qui
songent à fuir de la carte».
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