Pogrom à Gaza : Netanyahou a ouvert la boite de Pandore
dimanche 24 août 2014
David Hearst
La campagne israélienne de bombardements à Gaza a mis le
Hamas au premier plan de la cause palestinienne, créant par le fait une
nouvelle réalité qui va poser des problèmes à Israël.
- Israël tue les
Palestiniens, puis, comble de la cruauté, bombarde les cortèges
funéraires.. Ici un Palestinien pleure sur le corps de l’un des trois
hommes assassinés dans un cimetière, après une attaque militaire
israélienne sur la ville de Gaza, le 21 août 2014 - Photo : AFP/Ali
Hassan
Si Benyamin Netanyahou n’avait pas décidé de prendre comme prétexte
le meurtre des trois colons pour lancer un pogrom contre le Hamas en
Cisjordanie et ensuite attaquer Gaza, le statu quo qui était éminemment
favorable à Israël tiendrait toujours.
Le gouvernement d’unité Fatah-Hamas n’aurait été uni que sur le
papier et il serait passé d’une crise à l’autre sous l’égide de Mahmoud
Abbas. Les salaires des 50 000 fonctionnaires de Gaza n’auraient pas été
payés. Le Hamas serait toujours contenu dans une petite boîte appelée
Gaza, sans argent et sans accès au monde extérieur, avec une frontière
égyptienne encore plus hermétique que la frontière israélienne.
La campagne de 46 jours semble avoir changé beaucoup de choses. Elle a
réunifié - au moins temporairement - les factions palestiniennes bien
plus solidement qu’aucun pourparlers à Doha* n’aurait pu le rêver.
Mahmoud Abbas a dû changer de position et passer de la condamnation des
tirs de roquettes du Hamas à l’exigence qu’il soit mis fin au siège.
Même s’il est, sans doute, personnellement fort contrarié du rejet de la
proposition égyptienne, il est obligé, tout comme l’Égypte, de se
rapprocher des positions de la résistance. Il ne peut pas faire
autrement.
La campagne israélienne de bombardements à Gaza a mis le Hamas au
premier plan de la cause palestinienne et lui a assuré une place à la
table des dirigeants de l’OLP. Et à l’intérieur du Hamas, l’attaque a
donné plus d’influence au Brigades Ezzedine al-Qassam. Tuer leurs
familles a eu, une fois de plus, l’effet opposé à l’effet escompté.
Personne ne peut dire, et personne ne dit à Gaza, que les combattants se
terraient lâchement dans les tunnels pendant que les civils se
prenaient les bombes parce que ce sont leurs civils, leurs femmes et
leurs enfants qui ont été les premières victimes.
Abu Ubaydah, le porte parole des Brigades al-Qassam, a ordonné
impérieusement jeudi à la délégation palestinienne de quitter le Caire
et les pourparlers qu’il a qualifiés de danse avec des démons, après la
tentative d’assassinat de Mohammed Deif, le chef de la branche armée.
Le ton qu’il a employé en dit long. Voilà les Brigades al-Qassam qui
disent, non seulement au reste du Hamas mais aux autres groupes de la
délégation ce qu’ils doivent faire. Ils n’ont jamais fait une
déclaration politique aussi forte précédemment. Cela montre au moins
leur assurance.
L’autre signe que l’attaque contre Gaza fait des vagues politiques,
ce sont les efforts de l’Europe et des États-Unis pour y mettre fin. Il y
a deux semaines, les 28 ministres des Affaires Étrangères de l’Union
Européenne ont appelé au désarmement de toutes les factions de Gaza, en
ligne avec la position d’Israël, en en faisant la condition pour
participer aux pourparlers en vue d’un accord définitif. Désormais, ils
ont compris que la démilitarisation est impossible et ils proposent une
solution plus réaliste, à savoir une discussion sur la manière
d’empêcher le réarmement. Un projet de résolution de l’ONU préparé par 3
pays européens, la Grande Bretagne, la France et l’Allemagne, ne
reprend même pas le mot lui-même.
Netanyahou n’est pas prêt de convaincre l’aile droite de son cabinet,
donc tout ceci est pour l’instant lettre morte. Mais plus la campagne
se prolonge, plus elle aura des conséquence négatives pour Israël. Soit
il lancera une autre offensive, peut-être plus meurtrière encore, au
coeur de la ville de Gaza, comme l’armée israélienne en a fait la
menace. Soit il va falloir qu’il se fasse à l’idée de mettre fin au
siège. C’est un vrai choix d’Hobson**. Israël est coincé. Le Hamas a
réussi à le piéger. Netanyahou n’a jamais voulu une longue guerre et
certainement pas une guerre où les tirs de roquette du Hamas augmentent
avec le temps au lieu de diminuer.
Le troisième round du conflit a débuté par une chasse aux trophées.
Netanyahou espérait que la tête de Deif lui permettrait de crier
victoire. Mais même si Israël avait réussi à assassiner Deif, cela
n’aurait rien changé. Comme le montre la biographie de Deif, il a
commencé en lançant des pierres et il est devenu le commandant de ce qui
est désormais une petite armée avec son propre arsenal de roquettes.
D’autres suivront son exemple.
Les funérailles des trois leaders des Brigades al-Qassam abattus par
la frappe aérienne suivante ont rassemblé à Rafah des milliers de
jeunes Palestiniens qui criaient vengeance. Chaque fois qu’Israël
assassine une génération de leaders du Hamas, une plus efficace encore
la remplace. L’armée du Hamas se renforce à chaque fois.
Mais il n’y a pas que les jeunes de Palestine qui sont
irrésistiblement attirés par la cause de la Résistance, elle attire
aussi les sunnites de tout le monde arabe. C’est une chose qu’Israël
devrait prendre au sérieux. Obtenir le soutien de l’Égypte, de l’Arabie
Saoudite et des Émirats Arabes Unis a pu paraître très malin à Israël
sur le court terme. Ces pays soutenaient déjà discrètement Israël et
l’agression contre Gaza n’a fait que révéler leur soutien au grand jour.
Mais sur le long et moyen terme, on peut douter que leur soutien soit
de quelque secours à un pays entouré de pays arabes sunnites. Parce que
l’agression israélienne a replacé la cause palestinienne au cœur du
conflit qui déchire le monde arabe. Les monarchies du Golfe et les
dictatures militaires qui ont donné leur aval à Israël pour attaquer le
Hamas, sont les régimes mêmes qui ont financé et fomenté les révolutions
contre les Printemps Arabes. La cause nationaliste palestinienne contre
l’occupation est assimilée à la lutte contre les dictatures soutenues
par l’Occident.
Les brigades Qassam sont un symbole de résistance qui dépasse largement Rafah. Elles inspirent aussi la jeunesse égyptienne.
Netanyahu avait-il conscience de ce qu’il allait déclencher en
lançant son offensive ? Sand doute pas, mais la situation a changé et il
va falloir qu’il prenne ces changements en compte s’il veut s’en
sortir. Gaza est devenue sa boîte de Pandore.
Notes :
* http://www.lematin.ma/express/2014/...
** Le Choix d’Hobson est un choix apparemment libre qui n’est pas vraiment un choix du tout : http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas...
* David Hearst est rédacteur en chef de Middle East
Eye. Il est éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The
Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé
pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du
bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de
rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein
du journal The Scotsman.
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