Ne pas se tromper de diagnostic
par K. Selim
La
Libye s'enfonce chaque jour un peu plus dans le chaos. Les mystérieux raids aériens
- que personne n'attribue sérieusement au général Khalifa Haftar - ont eu un
effet aggravant dans la crise. L'âpre bataille pour le pouvoir ne fait que
durcir avec une assemblée sortante, le Conseil général national (CGN), qui a
repris du service alors que le nouveau Parlement qui siège à Tobrouk est accusé
par les milices de Fajr Libya de «trahison nationale». Que peuvent les pays
voisins de la Libye, réunis hier au Caire, devant une situation qui se dégrade
chaque jour un peu plus ?
D'abord
ne pas se tromper de diagnostic. Décrire, comme le font les médias occidentaux,
ce qui se passe en Libye comme une lutte entre islamistes et libéraux est une
grosse simplification. Les islamistes sont bien entendu une réalité en Libye,
les groupes radicaux et djihadistes aussi. Mais ils ne sont pas les seuls. Et
l'enjeu actuel en Libye n'est pas celui d'un Etat islamiste contre un Etat
libéral ou laïc. La situation est infiniment plus complexe et les pays voisins
doivent connaître suffisamment la réalité libyenne pour ne pas essayer de
construire des politiques à partir de ces simplifications, lesquelles sont
mises sur le marché pour des objectifs politiques ou, parfois, par pure paresse
intellectuelle.
En
Libye, l'idéologie est secondaire, il y a une bataille âpre pour le pouvoir
entre des clans organisés en milice. Les miliciens de Misrata sont alliés aux
islamistes mais ils ne sont pas réductibles à eux. Ils sont dans des jeux
d'alliances qui se tissent entre les différents groupes qui ne veulent une
renaissance de l'Etat libyen que s'ils le contrôlent. La «culture politique»
générale - et cela n'est pas une spécificité libyenne - est que la seule
manière de préserver ses intérêts et ses ambitions est d'avoir le pouvoir ou
d'y être associé. Le refus permanent d'accepter le désarmement traduit
parfaitement cette culture - héritée aussi de décennies de dictature - qui
entrave cette remise en route d'une vie institutionnelle.
La
Libye n'est pas entrée en transition après l'intervention occidentale, elle est
entrée en confrontation interne entre des clans et des tribus aspirant à
reprendre le rôle des Kadhafi. Ne pas se tromper de diagnostic est nécessaire
pour ne pas commettre des erreurs de grave amplitude. La complexité de la
situation et la multiplicité des acteurs interdisent d'envisager l'intervention
militaire dans ce pays. Cela ne fera qu'ajouter une puissance de feu dans une
poudrière ouverte. Les Occidentaux qui sont directement responsables du chaos
qui s'est installé en Libye ne l'envisagent pas. Les pays voisins n'ont,
objectivement, pas de raison non plus de l'envisager, ce qui ne veut pas dire
qu'ils ne doivent pas prendre des mesures pour se protéger.
Quel
serait d'ailleurs le but d'une opération militaire ? Occuper le pays, ville par
ville, route par route ? Toutes les armées de la région n'y suffiront pas.
L'Egypte pourrait être tentée de jouer un coup du côté des partisans de
l'indépendance de la Cyrénaïque mais c'est une option dangereuse. Aucun des
clans en compétition ne l'accepterait. Que faire face à la complexité ? Ne pas
simplifier d'abord. Cesser de se laisser submerger par l'amplification de la
«menace Daech» qui serait subitement devant toutes les portes. Se dire qu'une
partie des Libyens, comme les Algériens ou les Egyptiens, ne supporteraient pas
une occupation de leur pays par des troupes étrangères même celles «des Arabes
frères». Même si d'autres Libyens l'ont appelé de leurs vœux, cela ne la rend
pas plus légitime.
Cela
ne veut pas dire qu'il n'y a rien à faire. Il faut trouver le moyen de relancer
la négociation politique entre les Libyens et les aider à aller vers un
processus qui garantit et préserve les intérêts de tous. Cela est possible. La
Libye est un pays riche, sa population n'est pas nombreuse. Il y a de la marge
pour négocier un accord qui permette d'engager une transition pour la
reconstruction de l'Etat et de la nation libyenne. Cela n'a rien de
spectaculaire, mais c'est l'option la plus raisonnable. La seule raisonnable.
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