L’éventualité
d’une enquête de la CPI sur les actions tant des FDI que du Hamas à
Gaza est devenue le champ d’une bataille politique à hauts risques. La Cour pénale internationale a constamment évité d’ouvrir une
enquête sur les présumés crimes de guerre à Gaza suite aux pressions
occidentales, américaines et autres, affirment d’anciens fonctionnaires
de justice et des avocats. Ces derniers jours, l’éventualité d’une enquête de la CPI sur les
actions tant des Forces de défense israéliennes que du Hamas à Gaza est
devenue le champ d’une bataille politique à hauts risques et une
question clé dans la négociation pour un cessez-le-feu lors des
entretiens au Caire. Mais la question de savoir si la CPI pouvait, ou
devait, ouvrir une enquête a aussi divisé la Cour de La Haye elle-même. Une enquête de la CPI pourrait avoir un impact considérable. Il ne
s’agirait pas seulement d’examiner les présumés crimes de guerre commis
par l’armée israélienne, le Hamas et d’autres militants islamistes au
cours des récents combats à Gaza qui ont fait environ 2000 morts, dont
des femmes et des enfants. Il s’agirait aussi d’aborder la question des
colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, et pour
lesquelles la direction israélienne serait tenue responsable. La charte fondatrice de la CPI, le Statut de Rome de 1998, définit
comme crime de guerre « le transfert, direct ou indirect, par une
puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le
territoire qu’elle occupe » (article 8.2.a.viii). Est également en jeu l’avenir de la CPI elle-même, une expérience de
justice internationale qui occupe une position fragile, sans aucune
superpuissance pour la soutenir. La Russie, la Chine et l’Inde ont
refusé d’y adhérer. Les États-Unis et Israël ont signé le Statut en 2000
mais ont retiré leur signature par la suite. Certains avocats internationaux affirment qu’en essayant de se
dérober à une enquête, la CPI ne se porte pas à la hauteur des idéaux
exprimés dans le Statut de Rome, selon lesquels « les crimes les plus
graves qui touchent la communauté internationale ne sauraient rester
impunis. » (préambule) John Dugard, professeur de droit international à l’université de
Leiden, aux Pays-Bas, et depuis longtemps critique du bilan d’Israël en
matière de droits de l’homme, a dit : « Je pense que la procureure
pourrait facilement faire valoir son autorité. La loi est un choix. Il y
a confrontation d’arguments juridiques, mais elle devrait se pencher
sur le préambule du statut de la CPI qui stipule que l’objet de la Cour
est de lutter contre l’impunité ». Dans un échange de lettres au cours des derniers jours, les avocats
assistant les Palestiniens ont insisté sur le fait que la procureure de
la CPI, Fatou Bensouda, a toute l’autorité judiciaire dont elle a besoin
pour lancer une enquête, sur la base de la requête palestinienne en
2009. Cependant, Bensouda insiste pour qu’il y ait une nouvelle
déclaration palestinienne, ce qui requerrait de parvenir à un consensus,
insaisissable, au sein des factions politiques comme le Hamas, qui
seraient elles-mêmes soumises à l’enquête aux côtés du gouvernement
israélien. Il existe une forte pression américaine et israélienne sur le
dirigeant palestinien, Mahmoud Abbas, pour ne pas poursuivre pour une
enquête de la CPI. La pression occidentale sur la CPI pour qu’elle reste à l’écart du
problème a provoqué de profondes divisions au sein même du bureau de la
procureure. Selon certains anciens fonctionnaires, les Palestiniens ont
été induits en erreur en 2009 en croyant que la requête pour une enquête
pour crimes de guerre – à la suite de l’offensive israélienne contre
Gaza, baptisée Plomb durci – resterait recevable dans l’attente de la
confirmation de l’État en devenir. Cette confirmation est venue en
novembre 2012 quand l’Assemblée générale des Nations-Unies a décerné à
la Palestine le statut d’État observateur non membre, mais l’enquête n’a
pas été lancée. Bensouda, au départ, semblait ouverte à l’examen de la requête
palestinienne en instance, mais l’année suivante, elle publiait une
déclaration controversée disant que le vote de l’AG de l’ONU ne
changeait en rien l’ « invalidité juridique » de la requête de 2009. Luis Moreno Ocampo, procureur à l’époque de la déclaration
palestinienne de 2009, a soutenu Bensouda, écrivant dans un courriel au
Guardian : « Si la Palestine veut accepter l’autorité de la Cour, elle
doit présenter une nouvelle déclaration. » Mais un autre fonctionnaire du bureau de la procureure de la CPI, qui
a traité la déclaration palestinienne, est fortement en désaccord. «
Ils essaient de se cacher derrière un jargon juridique pour dissimuler
ce qui est une décision politique, pour échapper à la compétence et ne
pas être impliqués, » dit ce fonctionnaire. Pour Dugard, Bensouda a été sous une forte pression des États-Unis et
de leurs alliés européens. « Pour elle, c’est un choix difficile et
elle n’est pas prête à le faire, » a-t-il soutenu. « Mais cela affecte
la crédibilité de la CPI. Les Africains se plaignent qu’elle n’hésite
pas à ouvrir une enquête sur leur continent ». Il a fallu trois ans à Moreno Ocampo pour prendre une décision sur le
statut de la requête palestinienne de 2009, durant lesquels il a subi
les pressions des USA et d’Israël pour qu’il se tienne à l’écart. Selon
un livre sur la CPI, publié cette année, les dirigeants américains ont
prévenu la procureure que l’avenir de la Cour était en jeu. Selon le livre, Justice sommaire : la Cour pénale internationale dans
un monde de politiques de pouvoir, de David Bosco, les Américains ont
suggéré qu’une enquête de la Palestine « pourrait avoir un poids
politique trop lourd pour l’institution. Ils ont clairement indiqué que
donner suite à un tel dossier serait un rude coup pour l’institution ». Même si les USA ne participent pas au financement de la CPI, « la
prodigieuse puissance diplomatique, économique et militaire de
Washington peut être une aide énorme à la Cour si elle est déployée
périodiquement pour soutenir la tâche de la Cour » écrit Bosco, maître
assistant en politique internationale à l’université américaine. Dans son livre, Bosco rapporte que les dirigeants israéliens ont eu
plusieurs réunions, non rendues publiques, avec Moreno Ocampo à La Haye,
notamment dans un dîner à la résidence de l’ambassadeur israélien, pour
faire pression contre une enquête. Un ancien fonctionnaire de la CPI qui s’est occupé du dossier
palestinien a dit : « Il a été clair dès le début que Moreno Ocampo ne
voulait pas être impliqué. Il a dit que les Palestiniens n’étaient pas
vraiment prêts à lancer une enquête, mais qu’il était clair qu’ils
étaient sérieux. Ils ont envoyé une délégation avec deux ministres,
assistés d’avocats, en août 2010 et qui sont restés deux jours pour
débattre de leur requête. Mais Moreno Ocampo était conscient que toute
implication contrarierait ses efforts pour se rapprocher des États-Unis
». Moreno Ocamp a nié avoir été influencé par des pressions américaines.
« Je suis resté très ferme sur le traitement de cette question,
impartial, mais tout en respectant les limites légales », écrit-il dans
un courriel de dimanche. « J’ai entendu tous les arguments. J’ai reçu
plusieurs professeurs d’Oxford qui ont développé des arguments
différents et très souvent contradictoires, et j’ai conclu que le
processus devait… d’abord aller devant les Nations-Unies. Lesquelles
doivent décider quelle entité doit être considérée comme un État ». Et d’ajouter : « La Palestine a utilisé la menace d’accepter
l’autorité de la Cour pour négocier avec Israël. Quelqu’un a dit que si
vous avez neuf ennemis autour de vous, et une seule balle, vous ne tirez
pas, vous essayez d’utiliser votre balle pour créer un effet de levier
». Une porte-parole de son successeur Fatou Bensouda, a rejeté les
allégations de partialité dans le choix des enquêtes par la procureure. «
La CPI est guidée par le Statut de Rome et rien d’autre », a-t-elle
affirmé. « Les règles strictes qui concernent son autorité, le lieu et
le moment où la CPI peut intervenir, ne doivent pas être délibérément
dénaturées… Les considérations géographiques et politiques n’entreront
jamais dans toute prise de décision par le bureau. » L’avocat français représentant les Palestiniens, Gilles Devers, fait
valoir qu’il appartient à la Chambre préliminaire de la Cour, et non à
son procureur, de se prononcer sur la question de l’autorité de la Cour
dans les territoires palestiniens. Devers indique que les négociations
se poursuivent au sein des parties palestiniennes sur l’opportunité de
déposer une nouvelle requête pour une enquête, même si lui pense que sur
le plan juridique ce n’est pas nécessaire. Finalement, dit-il, le
résultat sera déterminé politiquement. « Il y a une pression énorme pour ne pas procéder à une enquête.
Cette pression s’est exercée sur le Fatah et sur le Hamas, mais aussi
sur le bureau de la procureure, » dit Devers. « Dans les deux cas, elle
prend la forme de menaces aux aides financières, pour la Palestine et
pour la Cour pénale internationale ».
Parmi les plus grands contributeurs au budget de la CPI, on trouve le
Royaume-Uni et la France, l’un et l’autre ont cherché à persuader les
Palestiniens de renoncer à une enquête pour crimes de guerre.
Julian Borger, The Guardian, 18 août 2014 Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine (www.agencemediapalestine.fr
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