La si douce «wantoutrisation»
par Kamel Daoud
Demain
c'était hier. Difficile de trouver le sujet du jour un 17 juin. Et pour deux
raisons. La première est que c'est difficile de savoir comment va finir ce jour
et si la nuit sera brève ou très longue. En gros, faute d'autres emportements
halalisés, le pays était braqué sur le match d'hier. Il faut lire la chronique
comme si vous êtes en train de la lire à 14 h presque : vous êtes là, le soleil
a un index long qui cherche la tête nue de l'imprudent piéton. Un minaret
appelle, la voix lasse, à rejoindre le Ciel. Du sable tente de monter vers le
nuage puis retombe faute de vent solidaire. Le ciel est gris mais chaud comme
un bain ouvert jusqu'au étoiles. Tout est dans les yeux. La wantoutrisation
(magnifique trouvaille d'un collègue) frappe durement l'esprit du pays à chaque
cycle. Une idée malsaine traverse la tête : mis à part l'équipe pour ce mondial
encore, tout est 100% algérien. Le drapeau, les supporters, l'hymne et le tic
tac du temps et les avions et l'argent. Sauf les joueurs. On a fini par
comprendre : il vaut mieux importer une équipe que d'attendre qu'elle émerge
ici. Un chroniqueur collègue a parlé même d'une équipe de France B pour
l'équipe nationale. Il n'a pas tort même si cela agace un peu. On n'est plus en
82. Le bon de commande a remplacé l'épopée de la décolonisation. Dans deux ans,
l'attaquant algérien se nommera Dang Xian ould Khelifa. Mais ce n'est qu'une
idée, un vieux classique de la jérémiade algérienne. A 15 h, il fallait bien se
rendre au Brésil et à l'évidence : on va regarder. Il n'y a rien d'autre à
faire : la wantourtrisation a ceci de tentant qu'elle est unanime et
confortable. Pour deux heures, rien n'est joué d'avance. On est quand même les
enfants des élections gagnées avant le vote, des listes qui fuitent, du pays
sans enjeux et sans suspens depuis la date de l'indépendance. Sauf là, au foot
où s'annulent, à la fois, en même temps, la prière et le silence, l'enjeu et le
jeu, le destin et le hasard, l'envie et la peur. La wantoutrisation rend bête
mais rend vivant. Sous son règne bref, on se réapproprie la rue et l'espace
public, on suspend la haine de soi et la méfiance envers l'Autre et on se
congratule ou on attend. Le match est le prétexte. Le chroniqueur se souvient
qu'il y a quelques années, les Algériens sont sortis fêter la joie avant le
match. De peur de ne pas pouvoir le faire après. Et donc de rater une occasion.
Tragique réflexe glorieux.
En
gros, la wantoutrisatioin est un produit dérivé, lointainement, à faibles
doses, en réminiscence, du 5 Juillet 62. Moment utopique que l'on tente de
retrouver une génération après l'autre. Les uns dans le foot. Les autres dans
une circoncision. Les derniers dans leur tête et dans la nostalgie. Presque 17
heures. D'hier bien sur. La wantoutrisation devient une sorte d'angoisse tiède
chez beaucoup. Le pays se vide et s'en va. Cela va commencer ou va finir.
D'ailleurs le commerce des drapeaux a été hésitant cette fois : il a attendu la
dernière minute. Le drapeau est beau, mais l'argent est sincère. C'est la
chronique d'hier : froide, décousue, inutile presque, dépassée. Comme nous
tous.
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