C'est
ce que pense le chroniqueur : il faut changer le peuple avant de changer le
régime. Cela heurte, apparemment, l'angélisme ambiant qui place le peuple sur
un piédestal tout en refusant de lui serrer la main ou en l'insultant quand il
grille le feu rouge et jette ses ordures par les balcons d'immeubles. Le «peuple»
est victime, enseigne le manuel de l'opposition en vrac. Le «peuple» est
spolié, digne, héroïque et glorieux. Oui, parfois, pas souvent. Un peuple,
pense le chroniqueur, n'existe pas toujours. De temps à autre. Temps de volonté
suivi d'époques d'affaissement. La grande conclusion du chroniqueur après ces
dernières présidentielles semble avoir choqué et heurté des romantismes
généreux mais naïfs. On lui a rappelé la profession de foi de l'Opposant
Typique, on a parlé de mépris et de choix de lâcheté, on a évoqué avec
romantisme ce peuple trahi par ses élites. Autant de vieux clichés fatigants,
qui jamais n'ont apporté démocratie et bonheur, n'ont jamais dérangé le régime
qui sait les ignorer et qui jamais ne changeront le pays ni le mèneront vers la
lucidité et la responsabilité.
La
liberté de critiquer et de penser et de se révolter, on vous l'accorde quand
vous parlez de régime et des Bouteflika (s), mais pas quand vous tournez votre
droit d'exigence vers votre personne, les vôtres et les gens autour de vous.
Là, limite. La dictature de la bienséance interdit que l'on dise que les
Algériens sont responsables de leur sort, de leur saleté, de leur environnement
dégradé, de leurs actes d'incivisme et d'intolérance. Là, non. L'ancienne
tradition de gauche et le populisme émotionnel interdisent que l'on parle des
Algériens et de leur responsabilité individuelle. La règle est de parler de ces
abstractions commodes que sont le régime et le peuple. L'un voleur, l'autre
victime tendre et malheureuse, portrait de la veuve, qu'il s'agit de défendre.
Et l'église du romantisme opposant en Algérie est sans appel : si vous
critiquez les gens, vous êtes pour le régime, la France, la trahison ou le sang
bleu. Absoudre les gens de leur responsabilité individuelle semble être un
confort que l'on défend âprement. Et critiquer le régime abstrait, comme s'il
est né sur la lune, est un exercice audacieux. Misères et myopie des temps
modernes.
Pour
le chroniqueur, si le régime tient jusqu'à aujourd'hui, gagne des élections par
procuration, c'est parce qu'il est voté, élu et soutenu malgré les fraudes.
C'est parce que les gens, beaucoup, s'accommodent non seulement de l'argent
qu'il donne, mais du confort qu'il apporte. Beaucoup, trop, d'Algériens pensent
que le régime est nécessaire, qu'il a raison, qu'il est l'ordre. Beaucoup
trouvent leur bonheur dans la soumission, dans la dévoration et dans la
corruption. Rares ceux qui pensent aux générations de demain ou à l'intérêt
collectif. C'est cette équation qu'il faut changer, cette responsabilité qu'il
faut assumer et démontrer. Continuer à parler de peuple victime et
d'intellectuel traître est une facilité désormais agaçante. Ce qu'il faut
changer, c'est ce peuple, ces gens. Expliquer qu'est-ce qu'une démission et
qu'est-ce qu'une constitution. Démontrer que créer de l'emploi est mieux que de
multiplier les mosquées. Que travailler est un devoir. Que l'effort est une
gloire. Que le civisme n'est pas une naïveté. Ce que je peux changer, je le
vois autour de moi et pas seulement dans le portrait de Bouteflika et sans
frères et leurs serviteurs. Ce régime ne tient debout, même assis, que parce
que les gens autour de chacun ne sont pas conscients, sont démissionnaires ou
sont égoïstes.
Faire
tomber un régime ? Oui. Mais je préfère élever un peuple, si je le peux, vers
ses idéaux. Lui proposer mes mots et ma voix et mon témoignage, pas ma
complicité obséquieuse.
Fatigué
donc que l'on me parle de peuple. Moi, je ne vois que des Algériens. Enfants du
régime et ses géniteurs. Oui ! D'ailleurs, un régime n'est que le produit
dérivé d'un peuple. Quand un peuple est assis, son Président peut être roi même
en chaise roulante.
L'issue
est dans la responsabilité et la lucidité. Il faut d'abord l'humilité de
s'avouer vaincu et de s'interroger pourquoi et de regarder ce qu'il y a autour
de soi et pas seulement autour de sa tête.
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