Le maréchal Sissi a-t-il dit que son armée est
capable d'envahir l'Algérie en «trois jours» ? Sa «campagne électorale» a bien
sûr rapidement démenti l'information évitant ainsi un incident diplomatique
avec l'Algérie. Mais au-delà de ce démenti, repris par l'agence APS dans un
message évident de refus des complications, il y a dans d'autres propos, non
démentis et assumés, du maréchal sur «l'éradication totale» des Frères
musulmans l'expression de l'ivresse qu'accompagne le pouvoir absolu.
Le maréchal Sissi est bien dans un nuage. Même quand
il affirme qu'après son élection à la présidence l'armée ne jouera «aucun rôle»,
il faut le prendre au premier degré. L'armée, c'est lui et donc il peut se
permettre de dire qu'elle ne jouera aucun rôle. Tout comme il peut dire que
l'Etat, c'est lui. Et que le peuple, c'est lui. Et que l'avenir, c'est lui et
lui seul. Aucune exagération, aucune énormité n'est épargnée à une Egypte qui
baigne dans un climat généralisé de haine et de délation. Le maréchal ne parle
pas en «candidat à la présidentielle», mais en homme qui a déjà tous les
pouvoirs. L'élection présidentielle n'est qu'une «régularisation» formelle. Car
personne ne doute, pas même le lièvre Hamdeen Sabahi, que le maréchal Sissi est
déjà le nouveau «raïs» et probablement pour aussi longtemps que lui permettront
ses artères.
Les espoirs démocratiques sont définitivement remisés
au placard par une dictature assurée du soutien des élites et des médias. Les
journalistes sont au garde-à-vous. La haine entretenue contre les Frères
musulmans soudainement dépouillés de leur qualité d'Egyptiens voire d'humains
va très loin. Il n'existe plus d'espace pour rappeler au maréchal le principe
de réalité. Lui, va «éliminer» les Frères musulmans du pays. Aussi simplement
que cela est dit. A la question du journaliste flagorneur : «Il n'y aura rien
qui ressemble aux Frères musulmans sous votre présidence ?», la réponse est
tranchante : «Oui, c'est cela». Ce sont au moins «trois millions» d'Egyptiens,
sans compter leurs parents et amis, qui sont ainsi promis à des formes variées
d'extinction. La répression est déjà en marche et la justice en a donné une
illustration caricaturale avec des condamnations de mort de masse expéditives.
Dans une orchestration grossière mais apparemment
efficace d'un culte de la personnalité, les médias et les élites perdent tout
sens critique. Les Frères musulmans maintiennent malgré une répression féroce
une contestation politique pacifique. Aucune preuve sérieuse n'a été apportée
par le pouvoir en place qu'ils sont responsables des actes terroristes qui se
sont accrus en Egypte depuis le coup d'Etat contre le président Mohamed Morsi.
Mais le choix d'aller vers l'éradication totale des Frères musulmans est, au
contraire, la meilleure façon de renforcer les courants radicaux qui, eux,
étaient contre l'action politique. Les propos du maréchal Sissi - et déjà raïs -
ne montrent aucune inflexion de la démarche purement sécuritaire vers une
approche politique.
Dans l'ivresse du pouvoir qui semble l'affecter, il
n'a pas l'air de mesurer l'impact d'un basculement d'une partie, même minime,
des membres des Frères musulmans dans la violence. On voit bien qu'une guerre à
outrance est engagée par le pouvoir mais personne, en Egypte, ne semble se
poser la question de savoir où cela peut mener Sous la casquette du maréchal,
l'Egypte semble avoir dangereusement cessé de penser aux graves risques
encourus en raison du choix de l'éradication.
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