Des lauréats qui ne manquent pas d’allure: Rached
Ghannouchi, le chef du parti islamiste tunisien An Nahda, longtemps la
bête noire des Occidentaux, Waddah Khanfar, l’ancien directeur islamiste
de la chaine Al-Jazeera, et interlocuteur des services de
renseignements américains ainsi que Waël Al-Ghoneim, responsable pour
l'Égypte du moteur de recherche américain Google, amplificateur du
soulèvement populaire égyptien place Tahrir.
Parmi les «100 plus grands intellectuels» honorés
cette année-là, figuraient une brochette de belliciste à tout crin: Dick
Cheney, ancien vice-président de George Bush jr, un des artisans de
l’invasion de l’Irak, de même que Condoleezza Rice, secrétaire d'État de
George Bush, le sénateur John Mac Cain, le président français Nicolas
Sarkozy, le couple Bill et Hilary Clinton, le ministre de la Défense de
Bush jr et de Barack Obama, Robert Gates, le Premier ministre turc Recep
Teyyeb Erdogan et l’incontournable Bernard-Henri Lévy.
Et sur le plan arabe, outre les trois personnalités
précitées, ont figuré l’ancien Directeur de l’agence atomique de Vienne
Mohamed Baradéï et le politologue palestinien Moustapha Barghouti, que
nous aurions souhaité être distingué par un autre aréopage que Freedom
House ou Global Voice Project.
Avec mention spéciale pour Ghannouchi «l’un des plus
grands intellectuels de l’année 2011». Rached Ghannouchi, il est vrai,
avait mis à profit son séjour aux Etats-Unis pour rendre visite au
«Washington Institute for Near East Policy», très influent think tank
fondé en 1985 par M. Martin Indyk, auparavant chargé de recherche à
l’American Israel Public Affairs Committee ou AIPAC, le lobby israélien
le plus puissant et le plus influent aux Etats-Unis. Le chef islamiste,
longtemps couvé médiatiquement par la Chaine Al Jazeera, a pris soin de
rassurer le lobby pro-israélien quant à l’article que lui-même avait
proposé d’inclure dans la constitution tunisienne concernant le refus du
gouvernement de collaborer avec Israël.
En trente ans d’exil, cet ancien nassérien modulera
sa pensée politique en fonction de la conjoncture, épousant l’ensemble
du spectre idéologique arabe au gré de la fortune politique des
dirigeants, optant tour à tour, pour le nassérisme égyptien, devenant
par la suite adepte de l’ayatollah Ruhollah Khomeiny (Iran), puis de
Hassan Al Tourabi (Soudan), pour jeter ensuite son dévolu sur le turc
Reccep Tayeb Erdogan, avant de se stabiliser sur le Qatar, soit sept
mutations, une moyenne d’une mutation tous les quatre ans. Du grand art
qui justifie a posteriori le constat du journaliste égyptien Mohamad
Tohima «Les Frères Musulmans, des maitres dans l’art du camouflage et du
contorsionnement mercuriel», article paru dans le journal libanais «Al
Akhbar» en date du 1er octobre 2011 reprenant une tribune de Mohamad
Tohima, directeur du quotidien égyptien «Al Hourriya». Du grand art. En
attendant la prochaine culbute. La prochaine chute?
Quant au 2ème lauréat, Waddah Khanfar, son parcours
résume à lui seul la confusion mentale arabe et la duplicité du Qatar.
Ancien journaliste de la chaine gouvernementale américaine «Voice of
America», ce palestinien natif de Djénine, en Cisjordanie occupée, était
parent par alliance de l’ancien Premier ministre jordanien Wasfi Tall,
surnommé le «boucher d’Amman» pour sa répression des Palestiniens lors
du septembre noir jordanien (1970), dont il a épouse la nièce. Cet
Islamiste notoire était aussi un interlocuteur des services de
renseignements de l’US Army. Une opacité typique du comportement du
Qatar.
Deux reproches ont pesé sur sa gestion de huit ans à
la tête d’Al Jazeera (2003-2011): sa volonté d’imposer un code
vestimentaire ultra-strict aux présentatrices de la chaine, en
conformité avec l’orthodoxie musulmane la plus rigoureuse, ce qui a
entrainé la démission de cinq journalistes femmes, ainsi que sa
publication des documents confidentiels sur les pourparlers
israélo-palestiniens «The Palestine Paper», discréditant les
négociateurs palestiniens; ce qui a conduit le chef des négociateurs
palestiniens, Saeb Oureikate, à réclamer sa démission, de même que
l’Arabie saoudite effrayée par la crainte que la large couverture des
soulèvements arabes par la chaîne du Qatar n’ait des répercussions sur
la stabilité des pétro-monarchies.
Propulsé à la direction de la chaîne Al-Jazeera par
son ami libyen, Mohammad Jibril. Il sera remercié de la chaîne, en 2011,
au terme de l’épisode libyen, mais gratifié de la distinction
américaine. Maigre consolation. L’homme a quitté la scène publique, avec
de substantielles indemnités, sans bruits, emportant avec lui ses
secrets et sa part d’ombre, les raisons de sa gloire et de sa disgrâce.
Quant au troisième larron BHL
Sur la centaine de pages des documents consultés,
sauf erreur ou omission, pas une seule fois le nom du roman enquêteur,
Bernard-Henry Lévy, n’a été mentionné. Ah les mortifications de
l’ego.Echevelé, livide au milieu des tempêtes, le touriste de guerre a
poursuivi sa quête incompressible du Graal, sautillant de Benghazi à la
Syrie au secours de la liberté défendant le Monde Arabe, brandissant ses
méfaits qu’il confondait avec des trophées, réussissant le tour de
force d’instaurer la Charia en Libye, provoquant la talibanisation de la
zone sahélienne par l’implosion de la Libye.
Point n’est pourtant besoin de boussole. Un arabe ou
un musulman, voire tout citoyen du monde un tant soit peu patriote, doit
se ranger impérativement dans le camp adverse à celui de Bernard-Henry
Lévy, le fer de lance médiatique de la stratégie israélo-atlantiste dans
la sphère arabo-musulmane. Songeons à la guerre anti-soviétique
d’Afghanistan (1980-1989) et à la mystification des «combattants de la
liberté» magnifiés par BHL, qui aura opéré le plus grand détournement du
combat arabe de la Palestine vers Kaboul avec les désastreuses
conséquences qui en découlent encore de nos jours, au niveau de son
excroissance djihadique et de ses dérives erratiques (lire: BHL ou comment se rendre ridicule), ainsi que son dernier exploit: Harangué les foules de Kiev, sous cadrage des vétérans de l’armée israélienne.
Selon le site israélien alyaexpress-news.com, ce
groupe de 35 combattants armés et cagoulés de la place Maidan, était
dirigé par 4 anciens officiers de l’armée israéliennes. Ces anciens
officiers ont dès le début des événements rejoint le mouvement aux côtés
du parti de la Liberté (Svoboda), bien que celui-ci ait la réputation
d’être violemment antisémite. La présence d’unités israéliennes avait
été signalée dans des événements similaires en Géorgie, aussi bien lors
de la «révolution des roses» (2003) que lors de la guerre contre
l’Ossétie du Sud (2008), où, en parfait synchronisme, BHL avait harangué
les foules depuis son hôtel de Tbilissi, à plusieurs kms du champ de
bataille.
En trois ans, deux des principaux libérateurs de la
Libye, Les Etats-Unis et la France, ont été la cible d’attentats de
représailles, et, sur fond de sanglants règlement de compte entre
factions rivales, de pillages du gigantesque arsenal libyen, le Sahel a
muté en zone de non droit absolu, fragilisant considérablement le pré
carré africain de la France, alors que, parallèlement, les maîtres
d’œuvre de la contre révolution arabe sombraient dans la guerre
intestine, menaçant de paralysie le Conseil de coopération du Golfe, la
seule instance de coopération régionale arabe encore en activité.
Fait sans précédent dans les annales
pétro-monarchiques, l’Arabie saoudite a en effet placé le vendredi 7
mars, les Frères musulmans, une organisation qu’elle a longtemps couvé
sur les listes des «organisations terroristes. Une décision qui traduit
le degré de virulence de l’épreuve de force engagée entre l’Arabie
saoudite et le Qatar à propos de la confrérie.
Dans ce qui apparait comme une grande opération de
blanchissement de ses turpitudes et de dédouanement à son soutien à la
nébuleuse du djihadisme erratique depuis son apparition dans la décennie
1980 lors de la guerre anti-soviétique d’Afghanistan, l’Arabie a
associé à cette liste l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), le
Front Al-Nusra, les rebelles chiites zaïdites dits Houthis du Yémen et
naturellement……. le Hezbollah Libanais.
En pointe dans le combat tant contre la Libye que
contre la Syrie, ce syndicat des pétro-monarchies du Golfe, sous haute
protection militaire occidentale, parait devoir réduire sa voilure, non
seulement en raison de la guerre entre les frères ennemis du wahhabisme,
mais aussi du fait du souci du 6eme membre, le Sultanat d’Oman, de se
maintenir à l’écart de ce conflit fratricide, cherchant auprès de l’Iran
un contrepoids à la prééminence du duo saoudo-qatariote au sein de
cette organisation.
Répudier la servilité à l’égard des Etats-Unis,
bannir le dogmatisme régressif sous couvert de rigueur exégétique,
concilier Islam et diversité, en un mot conjuguer Islam et modernité
…Tel était le formidable défi que les Frères Musulmans se devaient de
relever à leur accession au pouvoir et non de mener une politique
revancharde contreproductive, qui a conduit directement en prison leur
chef de file égyptien et débouché sur la désintégration morale du Hamas,
unique mouvement de libération national de l’Islam sunnite, dans un
retour retentissant à la case départ.
La satisfaction légitime de la chute d’un dictateur
ne saurait occulter le gâchis stratégique provoqué par l’effondrement
d’un pays à la jonction du Machreq et du Maghreb et son placement sous
la coupe de l’OTAN, le plus implacable adversaire des aspirations
nationales du Monde arabe. Acte stratégique majeur comparable par son
ampleur à l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, le changement de
régime politique en Libye, sous les coups de butoirs des occidentaux,
était destiné au premier chef à neutraliser les effets positifs du
«printemps arabe» en ce qu’il devait accréditer l’idée que l’alliance
atlantique constituait le gendarme absolu des revendications
démocratiques des peuples arabes.
Aucune intervention occidentale à l’encontre du Monde
arabe, même la plus louable, n’est jamais totalement innocente, tant
perdurent les effets corrosifs des actions passées et vivace le souvenir
de leurs méfaits. Et l’intervention en Libye n’échappe pas à la règle
en ce qu’elle ne cible qu’un régime républicain, à l’exclusion de toute
monarchie, les exonérant de leurs turpitudes et de l’impérieuse
nécessité de changement.
L’histoire retiendra que la révolution libyenne aura
été «la première révolution assistée par ordinateur» et le meurtre
libératoire de l’ancien bourreau l’objet d’une assistance à distance. La
fin de Kadhafi est la fin d’une longue lévitation politique en même
temps que d’une illusion lyrique.Les Libyens vont devoir purger le
cauchemar qui a peuplé leur subconscient et leur inconscient et apporter
la démonstration qu’ils ne constituent pas un peuple d’assistés
permanents.Le combat contre la dictature ne saurait être sélectif. La
démocratie du Tomahawk a affranchi le djihadisme erratique et projeté
dans l’arène la foultitude des paumés de l’islam takfiriste. Le sommeil
de la raison a engendré des monstres.
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