Le nouvel ordre du fratrimoine
par Kamel Daoud
Les grandes leçons des dernières élections nous viennent peu
à peu. Un pays a changé. Ou est poussé dans le dos pour le faire. On a compris
que la presse algérienne va mal désormais. Piégée entre gloire des années 90 et
servilité des années 2000 puis logique de meute ou de moutons en 2014. On a
compris que les centres de décision se sont déplacés du mythe du cabinet noir
aux clubs des Khalifa associés derrière la chaise qui roule et le frère qui
surveille.
D'autres leçons délivrées à domicile par l'affaire du 17
avril ? Oui. Un peuple c'est une adresse pas une réalité. Un drapeau est un
timbre mais avec une enveloppe vide. Pour un hymen, appelez Cheb Khaled.
Après le 17 et avec le 17, on a compris que l'argent a
investi plus lourdement les alliances et la puissance et qu'un milliard vaut
plus, pour faire un coup d'Etat, qu'un régiment et une brigade de blindés. Un
Tahar Zbiri est aujourd'hui un capitaine d'industrie vassal et pas un colonel
illuminé. L'Algérie a changé: le lobby n'est pas politique mais financier. Khalifa way of
life.
Après le 17, l'intellectuel lutteur doit comprendre qu'il
faut changer ce peuple et pas lutter contre un régime. Le régime est
alimentaire est c'est plus difficile que de lutter contre un régime seulement
idéologique. Manger empêche de bouger et on ne peut pas libérer un peuple qui
ne veut pas être libre et qui vous attaque quand vous le lui proposez. D'autres
leçons ? Oui. La liberté de l'audiovisuel ne nous sert à rien si c'est pour des
chaînes tv de lapidation et pour encourager le lynchage et la diffamation ou
servir de rabatteur pour les élections.
Certains ont compris qu'il faut partir. Et d'autre qu'il
faut attendre. Ou ne plus rien attendre. C'est selon. Beaucoup de choses ont
été prouvées : on peut se faire élire sans se présenter et avoir le pouvoir
sans avoir le pouvoir de bouger une lèvre. Ou régner et murmurer. La leçon est
qu'il n'y a pas de limite. Ni de règle. Ni de loi. On peut rester sans bouger
et emprunter sans rembourser. Le pays est vaste et il n'a pas de frontière dans
la tête et dans les habitudes et dans le compte en banque. Tout à un prix.
Désormais aussi le monde du patronat algérien a changé. Il se soumet à la
poutinisation ambiante. Le monde des désœuvrés se sent mieux et dans son droit.
Le monde de la presse a peur ou remue de la queue comme un chien qui bave. La
carte du pays se redessine, change, se recompose en fonction de ce nouvel
ordre. C'est le fratrimoine. Après le patrimoine de l'histoire nationale et le
patrimoine tombe dans le déni. Le fratrimoine c'est la propriété des frères au
nom des frères. Une sorte de lien latéral ascendant. Un ordre de puissance et
de pouvoirs. Un Mi-chemin entre la monarchie et le collégial. A creuser, cette
piste. Le tout pour dire que cette date est l'un des grands moments de rupture
dans la psychologie de l'Algérien. Il y'a eu la prise de conscience que la
France coloniale n'acceptera jamais que la logique des armes comme négociation
après 1945. Il y a eu le 17 avril. Et il y a eu ce moment où l'émir Abd El
Kader a abandonné son cheval et a pris la chaloupe. Des moments où l'histoire
algérienne a démarré. Ou s'est totalement arrêtée.
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