L'Algérie vue de Paris: la «banalisation silencieuse»
par Kamel Daoud
Lieu Paris et ciel gris. Il est difficile de regarder la
France sans penser à l'Algérie. Et d'aller en Algérie sans traîner la France en
lunettes et longues-vues. Sujet du jour ? Ce que une célèbre animatrice TV a
résumé au chroniqueur avant-hier : «La banalisation silencieuse du cas
algérien». Comprendre ce silence immense et consensuel dans les médias français
après le 17 avril. Après nos élections uniques au monde, les plus singulières
depuis l'élection de l'empereur romain Claude. Les médias français semblent
s'être contentés d'un devoir de critique, sans la tradition de l'effet de loupe
sur un pays du monde «arabe» où les dictatures tombent ou renaissent
inexplicablement. On est venu, on a parlé puis on est parti et il n'y a rien à
dire. En gros, l'Algérie n'est pas intéressante. Et c'est vrai du point de vue
médiatique. Les vies politiques des pays, autant que leurs révolutions, ont des
esthétiques et des attraits. La politique algérienne est d'une décevante
obscurité et d'une routine qui n'attirent plus personne : le régime joue et y
gagne toujours. Ce n'est pas un match, mais repassage de chemise froissée.
Autant s'occuper de la Birmanie ou du Congo. Donc, l'Algérie, en France des
médias, ne vend et n'intéresse pas. Grand coup de maître des nôtres qui ont
réussi à banaliser la plus singulière élection au monde. Au point de la rendre
invisible, «normale» comme diraient les Algériens, standard, admissible même.
Des cercles d'Algériens, dans le pays ou en Europe, tentent tant bien que mal
d'attirer l'attention sur ce qui s'y passe ou ne passe pas, rien n'y fait. Pour
le moment. Et c'est une réussite du pouvoir chez nous : obtenir le deal de «je
vous aide, vous regardez ailleurs».
Car, pour beaucoup d'Algériens, la position tiède et
désintéressée des médias français, malgré le rush durant les élections, est
l'expression d'une sourde et ténébreuse alliance d'intérêts aux plus hauts
sommets.
Il y a complicité et la propension à croire l'occulte et à
soupçonner le pire sert d'engrais à cette théorie du complot franco-algérien
sur le dos des Algériens. L'Europe a besoin d'une Algérie stable, d'une
sécurité de l'approvisionnement et a été refroidie par le «printemps arabe» et
cherche de gros contrats et n'aime pas irriter un gros client. Ce genre
d'explications est désormais du domaine public et les Algériens y croient
fermement. Hollande aime Bouteflika et le soutient. Les deux roulent en deux
roues, avait dessiné le HIC, le caricaturiste d'El Watan. Et leurs deux pays
sont en panne et cherchent du sens et des explications.
Donc, vue de Paris, l'Algérie n'intéresse pas le marché
éditorial. Sauf quand elle fait la guerre, veut la refaire ou s'en souvient à
sa manière polémique. Autrement, rien. C'est soit la bataille d'Alger, soit
rien à Alger.
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