ELWATAN-ALHABIB
vendredi 16 mai 2014
 
La politique du carnaval
 
 
 
 
par K. Selim
Les partis du pouvoir, comme le RND et le FLN, «s'inquiètent» des prises de positions «anticipatives» des opposants au sujet du «processus de réformes» du président Bouteflika. Que l'opposition «doute», comme le regrette Abdelkader Bensalah, secrétaire général du RND, n'a pourtant rien de surprenant. Après tout, dans toutes ses variantes, cette opposition connaît comment le mot «consensus» a été détourné de manière constante par le pouvoir pour imposer sa seule vision. Pourquoi le FLN et le RND éprouvent-ils le besoin de «convaincre» l'opposition, d'en appeler à son sens patriotique et à faire primer «l'intérêt supérieur» du pays ? Probablement parce qu'on leur a demandé de le faire, sans plus. En théorie, l'Algérie a connu une élection présidentielle qui a renouvelé la légitimité du pouvoir et qui le dispense de trop s'inquiéter d'une défection, très probable, d'une bonne partie de l'opposition. En théorie toujours, une élection est censée traduire un «consensus» au sein de la population qui permet au pouvoir d'agir, de réformer et d'appliquer sa politique. Ce souci d'avoir les opposants avec soi -ou dans sa poche- n'est pas une nouveauté. Il fait partie des démarches manœuvrières habituelles des tenants d'un système qui aime être à la fois le pouvoir et l'opposition. C'est ce qui explique qu'en Algérie, le pouvoir s'empare régulièrement des thématiques et des revendications de l'opposition pour les vider de leur substance politique. L'exemple le plus éloquent dans ce domaine a été celui de la «réconciliation nationale» qui a été utilisée, non pour tirer des enseignements importants et passer à une autre étape politique, mais pour préserver un statuquo par essence régressif. A la pratique, cette stratégie d'appropriation et de dévitalisation des thèmes oppositionnels a fini par discréditer toutes les offres politiques. Les mots n'ayant plus de sens, le discours présumé politique tourne à vide. Même ceux qui essaient, à chaque fois, de donner une «chance» à la démarche du pouvoir sont perplexes. En Algérie, la Constitution est un décor, elle n'est pas une astreinte pour les tenants du pouvoir. On la change quand on veut, on l'ignore en général. Après la Constitution de févier 1989, très clairement inscrite dans un optimisme démocratique, les amendements et révisions introduits en 1996 et par la suite sous les mandats de Bouteflika, n'ont fait que consacrer la régression autoritaire. On a commencé à créer, sous Zeroual, une seconde chambre avec un tiers de sénateurs désignés pour surveiller et limiter le poids de l'APN. Cette réduction du poids de l'APN a été «compensée» par l'introduction de la limitation des mandats présidentiels. Cette petite avancée a été balayée par la suite et la perte du poids de l'APN est devenue totale avec la disparition «de fait» avant que cela ne soit fait «de jure» du chef de gouvernement. De quoi voudrait parler le pouvoir aujourd'hui ? De la limitation des mandats, du rôle du Parlement, de l'irresponsabilité de fait de l'exécutif qui n'a de comptes à rendre qu'à lui-même ? C'est-à-dire des limitations à la souveraineté populaire, de l'absence de séparation du pouvoir, de l'absence de reddition de comptes... Son vrai problème est que ce va-et-vient sur le texte constitutionnel a bien réussi : personne en Algérie ne croit qu'un changement de Constitution peut aller dans le sens d'une démocratisation. Dans ce domaine et dans la foulée des évènements d'Octobre 88 et de l'existence d'une «poche réformatrice» au sein du système, la Constitution de février 1989 reste inégalable, elle est le seul moment où un texte fondamental prenait du sens. Aujourd'hui, une révision de la Constitution a pour but, dans le meilleur des cas, de résoudre des problèmes internes du régime, pas ceux de l'Algérie. Le pouvoir algérien peut se targuer d'une réussite : il a profondément discrédité la politique. Il a convaincu les Algériens qu'il ne faut jamais croire ce qui se dit publiquement et de ne pas chercher d'objectifs «nobles» chez ceux qui font de la politique. Les opposants les plus irréductibles se sont retrouvés enserrés dans cette action systématique de discréditation de la politique assimilée, au mieux, à des stratégies personnelles pour accéder à la mangeoire de la rente. Parler de l'Algérie, de son avenir et des graves difficultés qui l'attendent avec l'épuisement de la rente sont des sujets graves qu'il est devenu difficile d'évoquer «sérieusement» en raison de la dévitalisation de la scène politique et sa transformation en un jeu de folklore. La «réussite» est telle que de très nombreux Algériens continuent de percevoir le jeu politique autorisé par le pouvoir comme un remake sans humour de l'indémodable Carnaval Fi Dachra.
 
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