Les
partis du pouvoir, comme le RND et le FLN, «s'inquiètent» des prises de positions
«anticipatives» des opposants au sujet du «processus de réformes» du président
Bouteflika. Que l'opposition «doute», comme le regrette Abdelkader Bensalah,
secrétaire général du RND, n'a pourtant rien de surprenant. Après tout, dans
toutes ses variantes, cette opposition connaît comment le mot «consensus» a été
détourné de manière constante par le pouvoir pour imposer sa seule vision.
Pourquoi le FLN et le RND éprouvent-ils le besoin de «convaincre» l'opposition,
d'en appeler à son sens patriotique et à faire primer «l'intérêt supérieur» du
pays ? Probablement parce qu'on leur a demandé de le faire, sans plus. En
théorie, l'Algérie a connu une élection présidentielle qui a renouvelé la
légitimité du pouvoir et qui le dispense de trop s'inquiéter d'une défection,
très probable, d'une bonne partie de l'opposition. En théorie toujours, une
élection est censée traduire un «consensus» au sein de la population qui permet
au pouvoir d'agir, de réformer et d'appliquer sa politique. Ce souci d'avoir
les opposants avec soi -ou dans sa poche- n'est pas une nouveauté. Il fait
partie des démarches manœuvrières habituelles des tenants d'un système qui aime
être à la fois le pouvoir et l'opposition. C'est ce qui explique qu'en Algérie,
le pouvoir s'empare régulièrement des thématiques et des revendications de
l'opposition pour les vider de leur substance politique. L'exemple le plus
éloquent dans ce domaine a été celui de la «réconciliation nationale» qui a été
utilisée, non pour tirer des enseignements importants et passer à une autre
étape politique, mais pour préserver un statuquo par essence régressif. A la
pratique, cette stratégie d'appropriation et de dévitalisation des thèmes
oppositionnels a fini par discréditer toutes les offres politiques. Les mots
n'ayant plus de sens, le discours présumé politique tourne à vide. Même ceux
qui essaient, à chaque fois, de donner une «chance» à la démarche du pouvoir
sont perplexes. En Algérie, la Constitution est un décor, elle n'est pas une
astreinte pour les tenants du pouvoir. On la change quand on veut, on l'ignore
en général. Après la Constitution de févier 1989, très clairement inscrite dans
un optimisme démocratique, les amendements et révisions introduits en 1996 et
par la suite sous les mandats de Bouteflika, n'ont fait que consacrer la
régression autoritaire. On a commencé à créer, sous Zeroual, une seconde
chambre avec un tiers de sénateurs désignés pour surveiller et limiter le poids
de l'APN. Cette réduction du poids de l'APN a été «compensée» par
l'introduction de la limitation des mandats présidentiels. Cette petite avancée
a été balayée par la suite et la perte du poids de l'APN est devenue totale
avec la disparition «de fait» avant que cela ne soit fait «de jure» du chef de
gouvernement. De quoi voudrait parler le pouvoir aujourd'hui ? De la limitation
des mandats, du rôle du Parlement, de l'irresponsabilité de fait de l'exécutif
qui n'a de comptes à rendre qu'à lui-même ? C'est-à-dire des limitations à la
souveraineté populaire, de l'absence de séparation du pouvoir, de l'absence de
reddition de comptes... Son vrai problème est que ce va-et-vient sur le texte
constitutionnel a bien réussi : personne en Algérie ne croit qu'un changement
de Constitution peut aller dans le sens d'une démocratisation. Dans ce domaine
et dans la foulée des évènements d'Octobre 88 et de l'existence d'une «poche
réformatrice» au sein du système, la Constitution de février 1989 reste
inégalable, elle est le seul moment où un texte fondamental prenait du sens.
Aujourd'hui, une révision de la Constitution a pour but, dans le meilleur des
cas, de résoudre des problèmes internes du régime, pas ceux de l'Algérie. Le
pouvoir algérien peut se targuer d'une réussite : il a profondément discrédité
la politique. Il a convaincu les Algériens qu'il ne faut jamais croire ce qui
se dit publiquement et de ne pas chercher d'objectifs «nobles» chez ceux qui
font de la politique. Les opposants les plus irréductibles se sont retrouvés
enserrés dans cette action systématique de discréditation de la politique
assimilée, au mieux, à des stratégies personnelles pour accéder à la mangeoire
de la rente. Parler de l'Algérie, de son avenir et des graves difficultés qui
l'attendent avec l'épuisement de la rente sont des sujets graves qu'il est
devenu difficile d'évoquer «sérieusement» en raison de la dévitalisation de la
scène politique et sa transformation en un jeu de folklore. La «réussite» est
telle que de très nombreux Algériens continuent de percevoir le jeu politique
autorisé par le pouvoir comme un remake sans humour de l'indémodable Carnaval
Fi Dachra.
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