Beaux textes, terne réalité
par M.Saadoune
Discuter
de la Constitution revient toujours en Algérie à évoquer des beaux principes
dont la finalité est de rester dans le marbre avec une fonction purement
ornementale. Les principes sont tellement jolis qu'ils ne sont presque pas
discutables. Qui pourrait ouvertement rejeter «l'alternance démocratique» ?
Même le pouvoir algérien prétend qu'on est depuis 1999 dans «l'alternance
démocratique» et qu'il organise régulièrement des élections «libres et honnêtes»
pour la consacrer. Qui peut aussi s'insurger que l'on fasse de la lutte contre
la corruption et l'accaparement du bien public une obligation constitutionnelle
? Tout le monde applaudira des deux mains, même ceux dont le nom figure dans la
liste des «wanted» de la justice algérienne et d'Interpol. On a même l'idée
d'un retour à la limitation des mandats comme si le régime avait décidé qu'il
ne s'est rien passé en 2008 ! Mais la limitation des mandats, c'est bien aussi.
Qui peut s'opposer à une disposition salutaire ? Dans le projet soumis on s'est
même «offert» la notion de «liberté de conscience» inscrite de haute lutte et
après d'âpres négociations avec un parti islamiste majoritaire dans la
Constitution tunisienne. Cet emprunt tout comme les beaux principes énoncés
dans le projet de révision constitutionnelle ne vont pas pour autant aligner
l'Algérie sur les progrès démocratiques indéniables, même s'ils restent
fragilisés par une situation économique difficile, de la Tunisie. Pourquoi ?
Parce que la Tunisie sous Ben Ali avait aussi des textes avec de beaux
principes. La fameuse déclaration accompagnant le coup d'Etat médical du 7
novembre 1987 mené par Ben Ali contre Habib Bourguiba soulignait que les temps
modernes ne pouvaient «souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à
la tête de l'Etat desquelles le peuple se trouve exclu». Les Tunisiens, malgré
ces jolis mots et une Constitution intégrant ces belles promesses, ont continué
à «souffrir» de la présidence à vie et de la succession automatique à la tête
de l'Etat ! Il aura fallu attendre 23 ans et un grand mouvement de rue pour que
les choses changent. La Constitution tunisienne d'aujourd'hui, malgré des
imperfections relevées par des juristes, a du sens, car elle n'est pas
«octroyée» mais «négociée», âprement et avec des partenaires égaux. Le
«chantier» de la révision de la Constitution, confié à Ahmed Ouyahia, même s'il
se veut ouvert sur les discussions hormis les constantes nationales, reste dans
la tradition de l'octroi. Pour continuer dans la comparaison tunisienne, on est
encore dans la logique de Ben Ali. On est loin de la Tunisie post-Ben Ali où
les constituants, représentant les différents courants politiques, ont négocié
mot par mot le texte constitutionnel. La vigilance des forces politiques
tunisiennes qui paraissaient, vu de l'extérieur, chipoter sur les virgules,
s'explique : le texte constitutionnel est engageant, il organise les
institutions, crée des contraintes pour le pouvoir exécutif, affirme les droits
des citoyens. On n'est plus dans un texte ornemental mais dans une loi
fondamentale qui structure «réellement» la vie publique. La Tunisie est passée
dans une autre dimension politique qui rend la Constitution «signifiante». Il
faut admettre, pour rester dans la comparaison, que l'Algérie est encore dans
le temps révolu de la Tunisie d'avant la fuite de Ben Ali.
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