C’est
fait, Gazprom s’est mis d’accord avec Pékin en trouvant un consensus
dont le prix final annoncé, 400 milliards de dollars, a en fait bouclé,
en l’espace de seulement quelques jours, tout un cycle de négociations
étalé sur dix ans.
Il faut remercier Washington et Bruxelles dont
les sanctions ont eu un effet quelque peu faustien : « Je suis une
partie de cette force qui, éternellement, veut le mal, et qui,
éternellement, accomplit le bien ». Sauf que cette fois, il s’agit d’un
accomplissement accidentel puisque la Russie a su déjouer les pièges qui
lui avaient été tendus en s’évertuant à en tirer profit. Un tournant
sans précédent.
La problématique gazière efficacement résolue, il
ne faut pas oublier que Moscou a aussi beaucoup gagné sur le plan
géopolitique puisque, primo, l’UE et ipso facto les USA perdent un
levier de pression crucial sur une Russie qui même partiellement coupée
de ses anciens partenaires européens en a trouvé d’autres sur le
continent asiatique. Secundo, comme il s’agit d’un contrat devant
prendre effet en 2018 pour 30 ans, il est clair qu’il ouvre la voie à
une coopération bien plus large et notamment assez serrée sur le plan
militaire.
Pour y voir plus clair, il convient de replacer dans un contexte plus conceptuel la signature du contrat Miller/Jiping.
Le
monde serait en passe de se « multipolariser » via la diversification
de ses alliances économiques. Dans le cas de l’alliance sino-russe,
plusieurs projets prometteurs et initiatives de taille sont à relever :
-
Moscou et Pékin projettent l’abandon du dollar comme monnaie d’échanges
dans la région asiatique (cf. « Contre-offensive russe sur le front
oriental, article de Manlio Dinucci publié sur le Réseau Voltaire).
Cette décision fera considérablement remonter le yuan dont la Chine
compte faire dans quelques années une monnaie de réserve mondiale. Si on
suppose que le FMI ne voudra pas subir de réformes conformes à la
réalisation de ce projet – et il est clair qu’il ne le voudra pas – il y
aura toujours pour alternative la Banque de développement des BRICS
dont le rôle sera automatiquement renforcé.
- La Russie va à son
tour s’inspirer de « Union Pay », système de paiement chinois qui n’est
devancé que par les cartes de crédit Visa. Rappelons que suite aux
sanctions US, Visa et Mastercard avaient coupé leurs services aux
clients de la banque Rossia.
- Suite aux manœuvres aéronavales
otaniennes effectuées aux Philippines, la Chine et la Russie prévoient
des exercices conjoints en mer de Chine méridionale. Il s’agit bien
entendu d’un début de coopération militaire accentuant davantage encore
les limites de l’OTAN. A noter que la Chine profitera bientôt des
chasseurs Su-35, des sous-marins de type Lada et des systèmes de défense
antiaérienne russes.
- La CICA (Conférence sur les mesures
d’interaction et de renforcement de la confiance en Asie), fondée à
l’initiative du Kazakhstan en 2006, tend à étendre sa part d’influence
jusqu’à muer, le moment propice, en une organisation internationale
coopérative. Telle est en tout cas l’intention exprimée par le
Vice-ministre des Affaires étrangères chinois qui inclut tacitement les
BRICS dans l’élaboration de son programme de sécurité.
Cette mise au point effectuée, je donne la parole à M. Bruno Drweski,
géopolitologue, directeur de publication de la revue « La Pensée
Libre».
La Voix de la Russie: «
Pensez-vous que l’on assiste, suite à la signature du traité entre
Gazprom et Pékin, à la création d’un bloc est-européen-asiatique ?
Bruno Drweski. L’idée
de voir dans cette alliance un « bloc » est probablement erronée dans
la mesure où la notion de « bloc » a des origines occidentales,
étasuniennes plus concrètement. Je pense donc que le rapprochement
russo-chinois a pour objectif de s’extraire de cette logique rigide en
essayant d’établir des liens de coopération ou même des accords
d’alliance stratégique entre différents pays refusant cette logique de
bloc.
La VdlR.
Parlant de coopération, que pensez-vous des manœuvres sino-russes qui
devraient se tenir dans la mer de Chine méridionale ? Suffiront-elles à
casser l’unipolarisme américain ?
Bruno Drweski. J’estime
que ces manœuvres sont très importantes. C’est un signal adressé avant
tout aux USA mais qui vise aussi à ce que les pays d’Asie, en
particulier le Japon et le Vietnam, comprennent que les USA préfèrent
garder leurs distances et que par conséquent une coopération entre
voisins serait bien plus judicieuse. Ce signal devrait aller au-delà du
monde oriental en s’adressant à des pays comme l’Inde éventuellement
tentés de se rapprocher des USA. Ces facteurs démontrent bien que c’est
un monde de plus en plus multipolaire qui se met en place et que les
puissances en question ont bien compris qu’elles devraient désormais
renforcer leur coopération militaire vu que la majeure partie des
guerres entamées durant ces vingt dernières années venaient de l’OTAN.
La VdlR. Concernant la Route de la Soie. Comment est-ce que la Russie pourra techniquement aider la Chine à rétablir cette « Route » ?
Bruno Drweski. La
Russie a évidemment une grosse part d’influence sur l’Eurasie. Je pense
que nous assistons progressivement à une reconstruction des axes de
coopération dans tout l’ensemble eurasiatique au sens large du terme.
Cette idée de « Route de la Soie » qui tient à une
appellation symbolique a pour objectif de consolider lesdites
coopérations. On sait qu’elle aboutit sur la Méditerranée du côté de la
Syrie et là encore on relève une situation de tension d’envergure
internationale qui fait que les visées militaire, géopolitique et
économique s’y recoupent. Finalement, ce qui est important dans le
rapprochement entre la Russie et la Chine, c’est sans doute le fait que
nous ayons des réseaux de coopération économique qui échappent à la
dictature du dollar et d’une économie à bout de souffle. Je pense à ce
que le Président Poutine avait proposé aux pays européens en parlant de
coopération de Lisbonne à Vancouver. C’est là qu’il a des perspectives,
la Route de Soie allant bien plus loin que le Moyen-Orient, la Chine et
la Russie. Je pense que c’est l’ensemble des pays de l’Eurasie et de la
Méditerranée qui seront amenés à coopérer … en tout cas, c’est un signe
qu’on leur envoie ».
Françoise Compoint
Voix de la Russie
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