Afrique et démocratie
le 05.05.14
Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a mis en garde hier le
président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila, de
triturer la Constitution pour s’offrir un 3e mandat. Usant, certes, de
formules diplomatiques, John Kerry n’en a pas moins montré la ligne
rouge au jeune président Kabila, clairement tenté par un coup d’Etat
constitutionnel, comme l’ont fait beaucoup de dignitaires africains,
dont Abdelaziz Bouteflika. A 42 ans, dont 13 ans à la tête du Congo
qu’il a «hérité» de son père en 2001, Joseph Kabila pense avoir de
«beaux restes» pour garder son trône à Kinshasa au-delà de 2016. Mais il
doit faire sauter le verrou de la limitation de mandats conformément à
la Constitution. Pas sûr qu’il puisse y arriver comme l’a fait avant lui
le Camerounais Paul Biya.
Le propos de John Kerry sonne en tout cas comme un avertissement que
Kabila fils devrait prendre au sérieux, tout comme son «cousin germain»
du Congo Brazzaville, Denis Sassou Nguesso, le Rwandais Paul Kagame et
le Burundais Pierre Nkurunziza.
En Afrique, presque tous les pays s’appellent «république
démocratique». Mais ce vocable cache mal des régimes autocratiques qui,
très souvent installés par les anciennes puissances coloniales,
asservissent leurs peuples au nom des principes de Montesquieu. Ce sont,
à quelques exceptions près, des républiques désincarnées, où le pouvoir
est confisqué de force jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et dans certains
pays, la succession dynastique est érigée en dogme politique, défiant
les règles élémentaires du droit constitutionnel et des sciences
politiques.
Ce fut précisément le cas en RDC où Joseph Kabila a succédé au pied
levé à son père, Laurent, décédé, ou encore au Gabon où Ali Bongo a pris
«démocratiquement» le fauteuil de son père Omar qui s’était éteint en
2009.
Tout se passe comme si les peuples d’Afrique, qui ont été pillés et
colonisés des années durant, devaient continuer à se contenter d’un
ersatz de démocratie.
Au nom de la «Françafrique» et de la sauvegarde des intérêts vitaux des
anciennes puissances coloniales, l’Occident a fermé l’œil sur les
méfaits de ces apprentis dictateurs qui ont fait et font encore des
dégâts dans leurs pays. Que vaut la Constitution dans ces contrées
d’Afrique quand elle subit, à intervalles réguliers, des cures de
chirurgie esthétique pour la remettre au goût du potentat local ?
Que John Kerry invite son hôte à «respecter l’ordre constitutionnel» en
RDC est en soi une bonne chose. Mais rien ne dit que Washington joindra
le geste à la parole si le jeune Kabila tentait un coup de force. Qui
ne se souvient du discours mémorable du président Obama à Accra, en
2008, quand il avait pointé ces dirigeants «qui s’accrochent au pouvoir
au détriment de leurs peuples» (sic) ? On pourrait en dire autant de la
France qui garde la main sur toute l’Afrique francophone en s’appuyant
sur des Présidents mal élus, «recrutés» et installés par ses soins.
Le doute reste donc de mise quand on entend ces belles professions de
foi républicaines, fussent-elles prononcées par un haut responsable
américain. Parce que, jusqu’à preuve du contraire, les coups d’Etat
constitutionnels et les coups d’Etat tout court sont des éléments
constitutifs de la «démocratie» à l’africaine.
Hassan Moali
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