L’abstention, le plus grand parti du pays
Cette élection du 17 avril restera dans l’histoire comme le scrutin de l’absurde.
La journée a bizarrement commencé avec un homme parti d’un bureau de
vote, une urne sous le bras, à Béjaïa. Plus tard, comme si de rien
n’était, le chef de l’Etat, qui n’était pas apparu en public depuis mai
2012, est sorti de chez lui en fauteuil roulant pour se rendre au bureau
de vote. Toute la journée, des émeutes ont secoué la Kabylie : à
Béjaïa, des jeunes ont brûlé des pneus et coupé la route nationale dans
la nuit de mercredi à jeudi. A Tizi Ouzou, des affrontements ont éclaté
entre manifestants et forces de l’ordre.
A Bouira, des bureaux de vote ont été saccagés. En fin de journée, un
bilan relevait une soixantaine de blessés. Pendant que la télévision
officielle diffusait des images d’Algériens en train de courir pour
aller voter, se félicitant de la «convivialité» et de la «sérénité» dans
laquelle se tenait le scrutin, la police et la gendarmerie déployaient
plus de 260 000 hommes dans tout le pays, appuyés par une couverture
aérienne.La journée s’est finalement terminée dans un déluge de taux de
participation donnés par des QG de candidats, des médias, des
magistrats, sans qu’un seul taux officiel ne soit encore annoncé depuis
celui de 17h : 37,04%. Enfin, à 22h40, le verdict est tombé : 51,70%.
Soit bien moins qu’en 2009 où il était de 74,11%. Et déjà, dans la
soirée, les partisans du président Bouteflika commençaient à défiler
dans les rues d’Alger pour fêter la victoire. Le FLN s’est quant à lui
félicité de l’affluence qui «dénote de la grande prise de conscience par
le peuple de l’ampleur de la responsabilité qui lui incombe et dont il a
toujours été à la hauteur». Si le chiffre a mis tant de temps à tomber,
c’est qu’il résume tout l’enjeu de la présidentielle. «L’abstention,
qu’elle procède d’une indifférence ou d’une attitude immotivée, dénote
une propension délibérée à vouloir demeurer en marge de la nation»,
avait prévenu Bouteflika. Pendant toute la campagne, les représentants
du président sortant avaient lourdement insisté sur «la nécessité de
voter au nom de la stabilité».
Au regard du peu d’intérêt pour les meetings, une participation massive
n’était pas gagnée. Le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs décidé, en
fin d’après-midi, de prolonger l’ouverture des bureaux de vote d’une
heure. «La participation est le seul véritable enjeu de cette élection,
explique le politologue Mourad Goumiri, président de l’Association des
universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité
nationale. Elle est importante pour la suite des événements : un taux
faible fragiliserait le clan au pouvoir, alors qu’avec un taux élevé, il
pourrait négocier au mieux ses intérêts dans la transition qui va se
préparer.»
Avant même que les scores des candidats ne soient connus et que le taux
d’abstention soit réel ou truqué, le grand vainqueur est déjà connu :
l’abstention. Et les premiers à s’en réjouir sont les partisans du Front
du boycott. «Depuis 1997, le plus grand parti du pays est celui des
abstentionnistes, rappelle la politologue Louisa Aït Hammadouche. La
particularité de ce scrutin est que le boycott a été mené de façon
organisée, par une alliance hétérogène qui a permis de fédérer un
électorat plus large vers l’abstention. Tant que les élections resteront
pluralistes mais non concurrentielles, un grand nombre d’Algériens
considèreront que voter est inutile.»
Adlène Meddi, Mélanie Matarese
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