ELWATAN-ALHABIB
samedi 26 avril 2014
 
La terrible et triste vie de Hadj Moussa
 
 
 
 
par Kamel Daoud
Y a-il une vie après le 17 avril ? On ne sait pas. Les trois quarts du pays sont encore titubants, errants et tournant en rond. On ne sait pas quoi faire. Il n'y a pas, dans les livres d'histoire, un chapitre sur le «comment décoloniser son pays des siens et de soi-même ?». En gros, du point de vue de la fable philosophique, c'est pénible: on est obligé de voyager vers l'endroit où on se trouve déjà. Les deux points, d'arrivée et de départ, ont le même nom. On scrute vainement la différence ou la possible homonymie, mais sans trouver la faille optique. Du coup, on sent qu'on y est et on sent qu'on n'y arrive pas encore. On sait qu'il faut partir mais on sait que c'est déjà fait. On dessine son rêve mais il a les traits de son cauchemar. On va ailleurs, dans les autres pays mais c'est pour, enfin, vivre son pays comme étant à soi ou derrière soi.

C'est cette identité fantastique entre le point de départ et la station d'arrivée qui donne cette impression pénible de bouger mais sur place. D'être en 2014, mais en 1962, en même temps du temps. De marcher mais de tourner. D'aller mais sans jamais arriver. Plusieurs générations mais avec les mêmes castings: un régime, quelques peuples, plusieurs matraques. Cela vous donne l'impression de ne servir à rien mais de servir à quelque chose. Vous luttez mais vous savez que c'est inutile. Vous savez que c'est inutile, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de lutter contre l'adversité et l'humiliation. Vous attendez un train mais vous y êtes déjà. Il a le bruit d'un moteur et l'immobilité d'un paysage qui ne bouge pas.

La vie après le 17 avril ? En gros, c'est un vendredi 18 qui va durer longtemps. On y a le corps ballant, le bras autour de la lune, la bouche sèche et des envies de déplier la mer pour y chercher de nouvelles dates et des calendriers inattendus. On ne croit plus en rien mais on est dans une gare de départ. On se dit que ce pays ne sert à rien, qu'il faut partir mais on n'arrive pas à bouger, la Bolivie étant un effort, plus qu'une destination. Et, sourdement, vient à l'esprit une intuition: ce n'est que passager. L'humiliation qu'on a subie ne durera pas plus d'une année. Ce qu'on n'a pas réussi à obtenir, le temps nous l'apportera. Allah votera. On démarrera. On ira. Le nom de la gare de départ est celui-là même de notre destination, mais il y a une différence: dans la couleur de la peinture, dans la position d'éclairage, dans l'heure ou le climat. En fait, on peut encore espérer un pays, possible. Mais si peu, si ténu, si mince qu'on ne veut pas ouvrir les yeux. Pour signifier le surplace, les Algériens emploient le proverbe de «Hadj Moussa, Moussa Hadj». Très juste. Sauf que dans les deux cas, on s'attarde peu sur la vie terrible de ces deux jumeaux dont l'un est un vieux élu, et l'autre un jeune qui va naître. L'un est né de l'autre mais c'est l'autre qui va céder la place. Moussa vaincra le régime et traversera les eaux et le désert. Est-ce qu'il y a une vie après le 17 avril ? la question ne se pose pas pour nous. Mais pour eux.


 
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