Des signes sur des vengeances après le 17
par Kamel Daoud
Si Bouteflika gagne, y aura-t-il répression contre tout ce
monde qui lui a dit non, qui s'est moqué de lui, qui l'a insulté ou qui lui a
signifié le « dégage » par mille manières, lui et surtout ses hommes ? C'est la
question du jour, deux jours avant le vote. Une peur est là. Dans certains
espaces, la rétorsion a déjà commencé : pas de pages de pub, des instructions à
l'ANEP pour ne plus donner l'argent du peuple aux journaux, des hommes
d'affaires ont pris peur et valise et regardent avec inquiétude l'avenir ne
sachant s'ils ont payé suffisamment ou s'il vont le payer, lourdement. Dans
certaines rédactions, on parle de crainte. Certaines personnalités s'agacent
des surveillances grossières. Des leaders s'interrogent. Des militants sont
sous pressions énormes.
Il y a peur parce qu'il y a des raisons.
On devine qu'avec la réélection de Bouteflika, c'est une
nouvelle forme de pouvoir occulte qui va s'installer et s'affirmer. Et, comme
de coutume, ces centres de décision, avec un Président formel faible, vont
avoir le pouvoir sans la responsabilité. C'est à dire qu'ils vont bénéficier de
l'impunité et de sa férocité automatique. On va punir. Par excès de zèle. De
bas en haut. Pour plaire, purifier, réinstaller le nouvel ordre et le
consolider. Cela peut se faire doucement, d'abord par mesures de rétorsions
financières sur les grands groupes récalcitrants. Par harcèlement, par
étouffement des libertés acquises depuis des décennies. Par mesures, lois et
réglementations. On devine que Bouteflika est lui-même l'habitant unique de sa
bulle et que, autour, des cercles se sont construits, avec quelque Khalifa bis,
des proches et des fidèles. Qui ne vont pas pardonner et dont la mission, pour
se maintenir dans les cercles de décision, serait d'aller vers le pire, le
punitif pour mieux être coté. Cet air hautain, méprisant, insultant qu'ont eu
de nombreux « délégués » du candidat « unique » n'est peut-être que
l'expression très soft d'une pensée profonde et de lendemains durs pour ceux
qui ont osé braver l'interdit ou ont protesté.
La campagne est allée trop loin dans la division, la
stigmatisation, les pressions honteuses sur des organisations, les méthodes et
l'invective et la menace pour qu'elle puisse se résorber en mauvais souvenir.
Elle a accentué le divorce des Algériens et a accentué leur division et elle
annonce des lendemains pénibles. Certains pensent que si on peut réélire un
Bouteflika sans qu'il bouge un bras, et que si on peut acheter la moitié de ce
peuple et convaincre les autres avec une vieille photo, il n'y a plus de limite
et il ne sert à rien de s'embarrasser de politesse, désormais, pour punir,
frapper ou domestiquer. D'ailleurs, cela commence déjà. Même avant les
résultats. Et cela fait peur car, ainsi, c'est un cycle qui est enclenché. Et
on sait où il mène. Et au prix le plus lourd. Dommage pour ce pays appelé,
encore une fois, au douloureux effort d'une décolonisation.
Enregistrer un commentaire