Algérie:Sortir de la mentalité de rentier
Garantir une école publique de qualité, rendre la politique économique
plus transparente, laisser la culture et l’armée exister en dehors de la
politique... Pour que l’Algérie soit le pays puissant qu’elle aspire à
devenir, de nombreux dossiers doivent être classés prioritaires.
Les économistes, le FMI, le directeur de la Banque d’Algérie… Tout le
monde a fait passer le message : le modèle économique algérien, basé à
98% sur les recettes des hydrocarbures, n’est plus soutenable. Et la
question n’est plus de savoir si les ressources vont se tarir à moyen ou
à long termes, si la découverte de nouveaux gisements importants est
envisageable, si le seuil de 100 dollars le baril de brent, structurel,
restera élevé, mais d’admettre qu’il y a urgence à amorcer une nouvelle
politique économique, non plus fondée sur la rente, mais sur la
production et que c’est encore possible sans que le coût social soit
trop important.
«Nous avons une fenêtre d’opportunités et nous savons par où commencer,
argumente Abdelkrim Boudra, porte-parole du collectif Nabni (Notre
Algérie bâtie sur de nouvelles idées). Nous avons un matelas financier
qui permet d’introduire des réformes de manière graduelle. Il faut en
extraire une partie et la placer dans un fonds souverain, pour qu’elle
soit utilisable au moment où l’Etat aura besoin de financer une école ou
un hôpital, par exemple.» Et si les institutions jouent le jeu de la
transparence et de la redevabilité, le citoyen, responsabilisé, sera
tout à fait capable d’accepter le coût social de ces réformes.
Les décideurs ont-ils pris conscience de l’enjeu ? Dans le discours,
oui. Quasi tous les ministères ont demandé à leurs départements de
définir les projets à caractère «prioritaire» pour leur octroyer des
budgets retirés d’autres projets secondaires. Quant aux walis, ils ont
reçu des instructions pour réduire leurs dépenses de fonctionnement :
les frais des missions officielles, les primes des heures
supplémentaires, les frais de transport et les budgets alloués aux
séminaires. Dans les faits, rien ne suit vraiment. La dernière loi de
finances, adoptée fin 2013, qui aurait dû refléter de nouveaux signes de
prudence budgétaire, indique même que «la gabegie continue», pour
reprendre les termes de Mourad Goumiri.
Le président de l’Association des universitaires algériens pour la
promotion des études de sécurité nationale a, par exemple, dénoncé la
distribution aux wilayas d’enveloppes de plusieurs milliards de dinars
par l’ex-Premier ministre, Abdelmalek Sellal, des deniers publics
provenant d’une «caisse noire budgétaire» créée à partir du premier
mandat, sous le nom de «Fonds national de péréquation», instrument
destiné à l’origine à amortir les fluctuations intempestives du marché
international des hydrocarbures. Or, c’est justement dans de telles
actions que se profile aussi la faillite du système. C’est un des points
sur lesquels insiste Nabni : rien n’est plus dangereux qu’une équation
rente-déficit de gouvernance. En parallèle de la relance d’une économie
productive, l’Etat devra donc aussi réfléchir à l’utilisation qu’il fait
de ses économies.
Pour l’instant, les économistes sont tous d’accord pour dire que
l’utilisation qui est faite du Fonds de régulation des recettes, le bas
de laine de l’Algérie, n’est pas bonne. Ce compte spécial du Trésor est
une «arnaque constitutionnelle», car «il ne “descend“ pas à
l’Assemblée !, rappelle un consultant financier privé qui dénonce sa
gestion par simple décret de l’exécutif. Le seul budget, dont débattent
les députés et les sénateurs, est celui fondé sur un baril à 39 dollars,
alors que son prix réel est de plus de 100 dollars ! Une espèce
d’énorme esbroufe budgétaire !»
Les économistes sont aussi unanimes à dire que si les ressources
financières doivent profiter à la population grâce aux transferts
sociaux, leur proportion (selon le Trésor public, elles ont augmenté de
près de 25% entre 2006 et 2012 et représentent un cinquième du budget de
l’Etat et un tiers du PIB) et la façon dont ils sont distribués doivent
être revues. L’Algérie ne fait pas exception à une règle qui touche
tous les pays : 20% des plus riches bénéficient, toujours selon la
Banque mondiale, six fois plus des subventions que les pauvres.
Soutenir le prix du carburant permet surtout d’aider les propriétaires
de véhicules, c’est-à-dire essentiellement la classe moyenne et
supérieure. Au lieu de favoriser le développement industriel, fournir de
la nourriture, de l’eau ou de l’énergie à un prix raisonnable, les
aides débouchent sur plus de corruption, de surconsommation ou de
contrebande. «Nous ne faisons pas non plus exception à l’opacité des
administrations publiques qui caractérise la majorité des pays en
développement, ajoute l’économiste Abdelhak Lamiri et PDG de l’Institut
supérieur international de management, à Alger.
Les transferts sociaux pourraient permettre d’aider 25 millions
d’Algériens à dépasser le seuil de pauvreté. Mais pour cela, il faudrait
que les frais de gestion des différents programmes ne dépassent pas les
10% du coût de ces programmes. Or, c’est là ou réside l’opacité. Il
nous faut donc introduire un système de gestion par objectifs des
différentes administrations sociales. Sinon on continuera à remplir les
tonneaux des Danaïdes.»
Mélanie Matarese
Enregistrer un commentaire