C'est
une campagne inédite qui s’est déroulée en Algérie, car seulement cinq
des six candidats en lice ont tenu des meetings. Le président Abdelaziz
Bouteflika est très fatigué depuis son accident vasculaire cérébral
d'avril dernier et ne peut plus se déplacer. Sa campagne a été menée par
ses proches qui ont sillonné le pays, et cela a été très mal vécu par
les Algériens.
C’est en tout cas le sentiment de Khaoula Taleb
Ibrahimi. Elle est professeur de linguistique à l'université d'Alger II
et s'est mobilisée ces dernières semaines avec d'autres universitaires
pour demander un changement de système : « Ce que retiennent les
Algériens et qui les fait parler dans la rue, c’est cette situation
inédite d’un candidat qu’on ne voit pas et qui est porté par plusieurs
personnes qui se chargent de le vendre à la population. Les Algériens,
fiers comme ils sont, se sentent particulièrement humiliés. On n’a
jamais vu ça dans aucun pays. »
Une candidature remise en cause
Pour
la première fois aussi, la candidature du président sortant qui brigue
un quatrième mandat a été contestée ouvertement et avec violence, comme
si c'était la candidature de trop. A Bejaïa en Kabylie, un meeting a été
annulé à cause de violentes manifestations, à Metili près de Ghardaïa
où la situation est très tendue depuis des mois, les partisans du chef de l'Etat ont été accueillis à coups de pierre.
→ A (RE)LIRE : Algérie: nouvelle flambée de violence à Ghardaïa
Un comportement nouveau, explique Mourad Goumiri, professeur associé de sciences politiques à l'université d'Alger : « Beaucoup
de meetings sont annulés. Beaucoup ont donné lieu à des échauffourées
voire des affrontements. C’est la première fois où les gens sont très
mal accueillis, à coups de pierre. L’Algérie est vraiment divisée, ça,
c’est quelque chose de grave à mes yeux. Elle est divisée entre les
tenants du pouvoir et la population. Il y a toujours eu des frictions ou
des espèces de révoltes de palais, mais ça se passait en haut de la
société. Aujourd’hui, c’est descendu en bas et là, on voit des régions
entières se révolter, des régions entières rejeter ce système ».
Cette
violence a d'ailleurs entraîné des discours très durs de la part du
camp présidentiel. Les membres du mouvement Barakat, qui s'oppose à un
quatrième mandat, ont notamment été qualifiés de terroristes et de
fascistes par le pouvoir.
Dans le camp présidentiel, on a fait campagne sur un thème principal, la stabilité. « Bouteflika, c'est le choix de la stabilité pour le pays »,
c'est l'argument que ses partisans n'ont pas cessé de répéter. Lui-même
dans un communiqué a rappelé que c'est la paix qui a permis au pays de
se développer. Opter pour le changement, c'est ouvrir la porte au chaos,
et aux menaces qui planent sur le pays. C'est ce que sous-entendent les
partisans du chef de l'Etat.
Un discours battu en brèche par les
autres candidats, par les contestataires du quatrième mandat et aussi
par des personnalités d'ordinaire prudentes telles que l'ancien
président Liamine Zeroual. Sortant de sa réserve habituelle, ce dernier a
mis en cause la capacité physique du président à gouverner le pays. Il a
aussi vanté les mérites de l’alternance au pouvoir.
La
campagne est donc terminée depuis dimanche soir. Le scrutin a lieu et
l’on pronostique déjà une forte abstention. On sait que la participation
réelle est en général dans le pays de moins de 20 %, c'est ce que
disent les observateurs de la politique algérienne, et même certains
cadres du FLN. La quatrième candidature du président Bouteflika ne
devrait a priori pas drainer plus de foules que d'habitude.
Cela devrait être même le phénomène inverse selon Kamel Daoud, éditorialiste au Quotidien d'Oran : « Je
crois que l’abstention sera très importante et ma conviction est que la
fraude sur le taux de participation sera proportionnelle à cette
abstention. S’il y a fraude, elle sera sur le taux de participation. Et
cette abstention sera très importante pour cette fois-ci parce que les
Algériens se retrouvent grosso modo face à un faux choix, c’est-à-dire
soit choisir Bouteflika, soit on se pose la question de choisir "qui d’autre ?" Et la réaction première de beaucoup de gens, c’est de ne voter pour personne. »
Beaucoup
d'Algériens considèrent aujourd'hui que les jeux sont faits. Ce qui les
préoccupe, c'est surtout ce qui va se passer après le 17 avril.
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