Zbigniew Brzezinski,le Méphisto de l’Amérique,
par Komnen Becirovic
IRIB-Que n'a-t-on pu voir et entendre à la télévision, écouter sur les ondes
ou lire dans les journaux sur la soif de la liberté et de la justice
du peuple ukrainien, sur son ardent désir de s'affranchir de la tutelle
esclavagiste russe et de rejoindre l'Union européenne et l'Otan, sur le
caractère spontané et démocrate des manifestations de Kiev, sur
l'ingérence des Russes dans les affaires d'Ukraine et sur la complète
innocence et la loyauté des Occidentaux, sur le scrutin frauduleux et la
victoire volée à l'opposition lors des élections présidentielles dans
ce pays en novembre-décembre 2004 ! On eût dit que le sort du monde
était suspendu à l'arrivée à la tête de l'Ukraine de Victor Iouchtchenko
à la figure mystérieusement ravagée par l'acné, promu soudain
chevalier, sinon martyr de la démocratie.Or la gigantesque farce orange
de Kiev, relayée par les médias du monde entier, avait été ourdie, mise
en scène et financée par les Etats-Unis d'Amérique qui continuent sans
relâche de tisser leur vaste conspiration contre la Russie, en lançant
des campagnes médiatiques calomnieuses à son encontre, en l'encerclant
de bases militaires par le biais de l'élargissement de l'Otan, en
dressant les peuples de l'ex-espace soviétique contre elle, en se
livrant au travail de sape et en organisant la subversion économique et
autre à l'intérieur d'elle-même. Le but évident en est de déstabiliser
et d'affaiblir la Russie, avant de pouvoir la soumettre, s'emparer de
ses richesses, la démembrer et l'effacer de la carte du monde.Il suffit,
qui en douterait encore, de rouvrir le livre, écrit il y a huit ans,
par le géopolitologue, apôtre du Nouvel ordre mondial américain,
Zbigniew Brzezinski, Le Grand échiquier où il développe les idées de la
mise en faillite géostratégique de la Russie dans les ex-républiques
soviétiques et dans l'ensemble de l'Eurasie. C'est ce ressortissant
polonais, naturalisé américain, qui, en tant que conseiller du président
Jimmy Carter de 1977 à 1981, conçut le piège islamiste afghan aux
Russes, sans se douter que le mal islamiste ne tarderait pas à se
retourner contre l'Amérique, mais qui devait hâter néanmoins
l'écroulement de l'Union soviétique. Le jeu donc en valait la chandelle
et Brzezinski ne manquera pas de s'en vanter notamment dans une célèbre
interview au Nouvel Observateur du 15 janvier 1998.Il devint ainsi le
principal inspirateur de la politique hégémonique des Etats-Unis avec
des résultats aussi spectaculaires que la guerre contre les Serbes que
fit sa fervente disciple Madeleine Korbel Albright et la contribution
qu'elle apporta à l'expansion de l'OTAN à l'Est en vue de la conquête de
l'Eurasie.Cependant l'emprise des talibans sur l'Afghanistan qu'il
fallait tenter de renverser au prix d'une terrible guerre, l'émergence
de l'hydre Al-Qaïda du sein du monde islamique avec l'apocalypse sur
Manhattan, le 11 septembre 2001, ainsi que d'autres actions terroristes,
l'enlisement de la puissance américaine en Irak, le spectre des
nouvelles guerres qui se profile contre l'Iran, la Syrie, la Corée du
Nord et même contre la Russie, enfin l'antiaméricanisme universel,
constituent autant de fruits monstrueux de la doctrine coupable de
Brzezinski, qu'il se peut bien que ce grand gourou de la domination de
l'Amérique sur le monde, se révèle l'artisan de sa perdition, son
mauvais esprit, son Méphisto.Sa haine à la fois atavique, rationnelle et
froide de la Russie, qui n'a d'égal que celle dont furent animés les
idéologues nazis envers ce pays, s'est manifestée en particulier au
sujet de l'Ukraine dont il prône le détachement et l'éloignement de la
sphère russe, afin d'en finir à jamais avec les ambitions impériales de
Moscou : " L'indépendance de l'Ukraine modifie la nature même de l'État
russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante sur l'échiquier
eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l'Ukraine, la Russie cesse
d'être un empire en Eurasie. Et quand bien même elle s'efforcerait de
recouvrer un tel statut, le centre de gravité en serait alors déplacé,
et cet empire pour l'essentiel asiatique serait voué à la faiblesse,
entraîné dans des conflits permanents avec ses vassaux agités d'Asie
centrale. " Et plus loin : " Sans l'Ukraine et ses cinquante deux
millions de " frères slaves ", toute tentative de la restauration
impériale commandée par Moscou est vouée à rencontrer la résistance
prolongée de populations devenues très sourcilleuses sur la question de
leur identité nationale et religieuse." Pour revenir ainsi sur nombre de
pages de façon quasi obsessionnelle, en dénonçant le droit divin de la
Russie sur l'Ukraine, en allant jusqu'à contester le lien organique qui
lie les deux pays, en cautionnant la création artificielle de l'Ukraine
dans ses limites actuelles par les bolcheviks obsédés de combattre la
fameuse hégémonie grand-russe, en plaidant pour la souveraineté de
l'Ukraine sur la presqu'île de la Crimée donnée en cadeau à cette
république par Khrouchtchev en 1954, en se félicitant du refus
systématique des dirigeants ukrainiens d'une union naturelle avec la
Russie et la Biélorussie. Par contre, il insiste sur la création de
l'alliance, patronnée par Washington, entre la Georgie, l'Ukraine,
l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan et la Moldavie, en réponse aux accords
entre la Russie et la Biélorussie. Il ne se lasse pas de répéter que
l'Ukraine constitue l'enjeu essentiel dans le refoulement (roll-back) de
la Russie, la nouvelle stratégie qui doit remplacer celle de
l'endiguement (containment), développée par George Kennan en 1947 et
pratiquée pendant près d'un demi-siècle de guerre froide.
N'ayant pour but que d'affaiblir la Russie, de la couper de toute sa
partie méridionale et de la mer Noire , de la refouler en définitive
dans les limites d'avant Pierre le Grand et Catherine II, la doctrine de
Brzezinski ne repose point sur des données géographiques, historiques
et ethniques. Il ignore délibérément l'épopée de la Russie kiévienne
durant le Xe et XIe siècles, avec les souverains Rurikides, tels que
Vladimir le Grand qui fit baptiser la Russie en 988, Iaroslav le Sage
qui, après Charlemagne, promulgua le premier code des lois en Europe, la
fameuse Rousskaïa Pravda , Vladimir le Monomaque, guerrier infatigable
qui mena victorieusement quatre-vingt-cinq expéditions défensives et qui
porta l'empire de Kiev à son apogée, avant que celui-ci soit détruit
par les Mongols. Pour le stratège de la perdition de la Russie au profit
des Etats-Unis, la bataille de Koulikovo en 1380 où Dimitri Donskoï
défit les Tatares et initia la libération de la Russie du joug mongol,
n'aurait jamais eu lieu ! Pas plus que l'insurrection cosaque conduite
par Bogdan Khmelnitski en 1646 afin de libérer l'Ukraine de la féroce
oppression polonaise. Mouvement qui aboutit à la création de l'Assemblée
(la Rada) de Pereslavl en 1654, qui demanda au tsar Alexis
Mikhaïlovitch la protection de toute la partie du pays à l'est du fleuve
Dniepr, et qui l'accepta. Nulle trace également dans l'argumentaire de
Brzezinski de la bataille de Poltava en 1709 où Pierre le Grand écrasa
au cœur même de l'Ukraine, l'armée de Charles XII et celle de son allié,
le traître hetman Mazeppa, mettant ainsi fin, après trente ans, à la
guerre du Nord et à l'impérialisme suédois ! Les guerres libératrices de
Catherine II, celle de 1769-1774 et celle de 1787-1791, qui
affranchirent de l'esclavage turc toute la Russie méridionale, ainsi que
la Bessarabie et la Moldavie, et permirent la fondation d'Odessa et de
Sébastopol en Crimée, ne se seraient, non plus, jamais déroulées ! Les
Ukrainiens auraient été tellement oppressés par les Russes que les
grands hommes d'État comme Grégory Potemkine et Alexandre Bezborodko,
originaires d'Ukraine, n'auraient jamais administré l'empire de
Russie. ! Enfin, Gogol, l'un des géants de la littérature russe et
universelle, né à Poltava, ne serait qu'un auteur purement ukrainien !
En réalité, en l'amputant de l'Ukraine, on veut non seulement dépouiller
la Russie de ses territoires et de ses biens, mais aussi de son
histoire et de sa civilisation !
C'est que la seule donnée absolue concernant l'Ukraine qui compte
dans l'esprit de Brzezinski, et qui l'emporte sur toutes les autres, sur
la géographie, l'histoire, l'ethnographie et l'étymologie, est la
chimère polonaise de la nation ukrainienne qui fut reprise et élaborée
principalement par Pantéleïmon Koulich, homme des lettres, et Mikhaïl
Grouchevski, historien, puis par les bolcheviks qui se servirent de ce
dernier. Ils donnèrent à la fiction la réalité sous forme d'une
république ukrainienne en usurpant de vastes territoires de la Vieille
Russie centrale, alors que le mot oukraïna en russe, kraïna en serbe, ne
signifie que les confins, en occurrence ceux de la Pologne face aux
Tatares se partageant longuement avec celle-ci les terres russes
méridionales.
Cependant pour ce féroce anticommuniste qu'est Brzezinski, les
bolcheviks et leurs suiveurs ont, certes, misérablement échoué dans tous
les domaines, hormis dans un seul : la création de nombreuses
républiques, en particulier celle de l'Ukraine, sur les ruines de la
Russie impériale, où ils auraient réussi à merveille. En fait,
Brzezinski ne voit l'Ukraine qu'à travers ses fantasmes polonais
anti-russes habillés en une logique apparemment solide et mise au
service de la pénétration américaine au cœur de la Russie.
Depuis plus d'une décennie que ce programme a été élaboré, il n'a
cessé d'être appliqué pour connaître sa pleine réalisation colorée en
automne dernier à Kiev, grâce à l'engagement de tels promoteurs de la
démocratie que sont le milliardaire George Soros avec son Open Society
Institute, l'ancien patron de la CIA James Woolsey avec son Freedom
House, l'ex-Secrétaire d'État la précitée Madeleine Albright avec son
National Democratic Institute, ainsi que The National Endowment for
Democracy qui est l'une des multiples ramifications de la CIA. Il faut,
sans être complet, ajouter à ces organisations, qui ont toutes fait
leurs preuves lors des révolutions dites de velours en Serbie en 2000 et
en Géorgie en 2003, l'agence USAID directement liée au gouvernement
américain.
Evidemment Brzezinski est loin de limiter sa stratégie à la seule
Ukraine , puisqu'il va jusqu'à prôner la dislocation de la Fédération
russe elle-même par le biais de la décentralisation pour laisser le
champ libre aux Etats-Unis sur le grand échiquier, the grand chessboard,
qu'est l'Eurasie. " Une Russie plus décentralisée aurait moins de
visées impérialistes. Une confédération plus ouverte, qui comprendrait
une Russie européenne, une république de Sibérie, et une république
extrême-orientale, aurait plus de facilités ", écrit-il. En même temps
il vante les mérites démocratiques de la Turquie, en dépit de la
politique répressive de celle-ci envers les Kurdes et salue le retour de
son influence dans le Caucase ; il continue de jouer au protecteur des
fanatiques islamistes tchétchènes et de gesticuler homme de paix entre
eux et les Russes ; il donne des clins d'œil à la Chine communiste au
sujet de la Sibérie ; il invite l'Union européenne à se joindre aux
Etats-Unis dans leur action visant le dépérissement de la Russie ; il
reconnaît que le fameux partenariat stratégique responsable, proposé par
Washington à Moscou afin de conduire ensemble les affaires du monde,
n'était qu'un leurre destiné à duper les dirigeants russes, aussi bien
les nationalistes que les occidentalistes Eltsine en tête. " Jamais il
n'était entré dans les intentions des Etats-Unis de partager leur
prééminence mondiale et, quand bien même ils l'auraient envisagé, leur
alter ego n'était guère en mesure de l'assumer ", écrit-il en se
délectant de multiples handicaps de la Russie dont l'incapacité des
anciens dirigeants de mener une politique qu'exigeait la nouvelle
situation. Et le redoutable stratège de la perdition de la Russie de
poursuivre non sans cynisme : " Dès que sont apparus les premiers
différends entre les " partenaires stratégiques responsables ", les
disparités à tous les niveaux - puissance politique, poids financier,
capacité d'innovation technologique, pouvoir d'attraction culturelle -
ont montré l'inanité de ce concept. Il n'en fallait pas plus pour que de
nombreux Russes tire la conclusion que ce slogan, forgé par les
Américains, avait pour la seule fonction de les égarer ".
Si cette tactique fonctionnait à merveille du temps de Eltsine, les
Etats-Unis avec leurs complices de l'Union européenne jouant sur deux
atouts majeurs pour assurer la descente de la Russie aux enfers, la
démocratie et la dipsomanie du personnage alliée à l'ignorance, les
choses commencèrent à changer avec l'arrivée de Poutine. Ses tentatives
d'arrêter le désastre, se traduisant par des mesures telles que le
redressement de l'État, le frein à la puissance des oligarques et la
récupération des biens nationaux usurpés par eux, la limitation de
pouvoir des gouverneurs des régions au bénéfice du pouvoir central afin
d'éviter la balkanisation de la Russie, firent qualifiées par
l'establishment de l'Ouest comme autant des dérives autoritaires de
Poutine.
La lettre ouverte aux chefs d'États et des gouvernements de l'Union
européenne et de l'Otan, que se fendirent les 115 atlantistes
inconditionnels au lendemain de la tragédie de Beslan en septembre 2004,
exhortant les responsables occidentaux de cesser d'embrasser Poutine,
n'est que trop révélatrice de la russophobie actuelle à l'Ouest. Plus
précisément de la hantise de voir le géant russe, qui n'a passé que trop
de temps à genoux, se redresser enfin sur ses jambes. On peut trouver
la liste exhaustive des signataires, parmi lesquels de tels coryphées
d'humanisme et de démocratie que sont Vaclav Havel, Richard Holbrooke,
James Woolsey, José Maria Aznar, André Glucksman, Bernard Kouchner, sur
le site du Réseau Voltaire qui, par son non-conformisme, par son
intelligence et par l'esprit de vérité qui l'anime, justifie
parfaitement le nom qu'il porte.
Cependant, le plus extraordinaire, c'est que, le monstre froid,
l'oracle de la nouvelle emprise esclavagiste sur le monde, Brzezinski,
perdit les nerfs, se fâcha jusqu'à traiter, dans Wall Street Journal du
20 septembre 2004, le président Poutine de Mussolini et comparer la
Russie actuelle à l'Italie fasciste, en écrivant : " Le régime de
M. Poutine ressemble à maints égards au fascisme de Mussolini. Le Duce a
" fait rouler les trains à temps ". Il a centralisé le pouvoir
politique au nom du chauvinisme. Il a imposé le contrôle politique sur
l'économie sans la nationaliser... Le régime fasciste a évoqué la
grandeur nationale, la discipline et a exalté le mythe d'un passé
prétendument glorieux ". Et ainsi de suite, le tout relevant de la
logique perverse d'après laquelle un Polonais américanisé au nom
inarticulable pour la plupart de ses concitoyens qu'ils abrègent en
Zbig, peut être un grand patriote états-unien et même s'en ériger en
foudre, alors que le président de la Russie ne peut l'être dans son
propre pays ! En même temps, il continue dans son dernier ouvrage, Le
Vrai choix, de flatter, tel le tentateur de Faust, les démons impériaux
de l'Amérique et de la monter dangereusement contre la Russie et le
reste du monde.
Evidemment la Russie doit en être consciente et, passant outre les
récriminations et les calomnies grotesques dont fait l'objet, continuer
de prendre les mesures appropriées, politiques, économiques, militaires
et autres, afin de pouvoir faire face, comme à l'époque de Nevsky et de
Donskoï, aux nouveaux croisés et aux nouveaux Tatares, ceux de la
démocratie qui l'assaillent et la menacent dans son existence même.
KOMNEN BECIROVIC
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