Va-t-on laisser le pays aux Dalton ? (1)
Par Mohamed Benchicou
Auteur d'une blague de mauvais
goût sur les Chaouis qui aura fait sortir des Algériens dans la rue,
Abdelmalek Sellal vient de nous apprendre qu'il y a pire que de ne pas
avoir le sens de l'État : ne pas avoir le sens de l'humour ! La
plaisanterie dans la bouche d'un esprit moyen devient aussi dangereuse
qu'un revolver entre les mains d'un gamin. Dans son obstination à
vouloir coûte que coûte rivaliser avec Boubegra, Sellal nous rappelle
l'immensité de notre déchéance : nous dépendons de dirigeants qui ont
pour seule ambition de ressembler un jour à Kaci Tizi Ouzou. On a les
aspirations qu'on peut.
Du
reste, notre Premier ministre, promu directeur de campagne d'un
candidat impotent et aphasique, entend nous démontrer qu'il n'est pas
utile d'avoir d'autres prétentions dans cette Algérie dont il s'obstine à
répéter qu'elle est parfaitement gouvernable à partir d'un fauteuil
roulant. Abdelmalek Sellal surpasse, ce faisant, l'ancien ministre de
l'Intérieur Nourredine Zerhouni, autre imitateur de Boubegra et dont on
pensait la réputation de gaffeur inégalable.
Mais non ! Le clan présidentiel, c'est
comme le cirque Amar, il y a toujours un amuseur pour vous faire oublier
l'autre ! La Famille qui nous gouverne a des réserves désopilantes
aussi inépuisables que celle des Simpson. Le premier à avoir compris les
potentialités hilarantes qu'il y a dans chaque mafia, fut Charlie
Chaplin, dont on célèbre cette année le centenaire du début dans le
cinéma. S’il a pu tant nous faire rire en pastichant Al Capone, Bugsy
Siegel ou Lucky Luciano, c’est qu’il y avait, dans la guerre des gangs,
un côté burlesque tout à fait insoupçonnable que seuls savent capter les
artistes de talent. Aujourd’hui encore, Robert de Niro en campant dans
Mafia blues, le rôle d’un caïd de la pègre dépressif et Sylvester
Stallone, un parrain pas très dangereux aux prises avec les caprices de
sa fille dans Oscar, finissent de nous convaincre que la grande famille
du crime organisé pouvait, finalement, être aussi drôle que les Dalton.
C'est d'ailleurs en Dalton qu'ils
agissent. Une centaine de chefs d'entreprise, parmi les plus prospères
du pays, viennent de se faire braquer dans une salle d'Alger, à l'insu
de tous. Le pistolet sur la tempe, ils ont voté le soutien au quatrième
mandat, c'est-à-dire à l'homme qui les a réduits au silence et à
l'inertie durant 15 années. Il se raconte même que nos chers patrons, en
plus de s'être fait hara-kiri, se sont faits dindons de la farce, se
soulageant généreusement de la coquette somme de 20 milliards de
centimes à celui qui leur promet déjà cinq autres années de déclin,
voire de faillite pour certains. Il n'est un secret pour personne que
Bouteflika leur préfère les gros importateurs, les seigneurs de
l'informel qui n'ont rien de seigneurial, et contre lesquels les pauvres
chefs d'entreprise pestent le soir, autour d'un verre, dans leurs
villas cossues de Poirson, en veillant à n'être pas entendus par le
voisin.
C'est que nos chers patrons tremblent à
l'idée d'être exclus d'un marché public ou de recevoir l'inspecteur des
impôts pour un contrôle fiscal. Pas un d'entre eux ne commettrait la
folie de dire tout haut ce qu'il pense tout bas ou de passer des
annonces publicitaires dans le Matindz ! Surtout pas ! En cela, nos
chefs d'entreprise restent une force inorganisée, sans grande
consistance, sans influence, peut-être même sans stratégie du futur. À
peine entend-on quelques lamentations de l'équilibriste Reda Hamiani,
désolé que l'État « persiste à nous refuser le statut de vrais
partenaires », regrettant qu'il n'y ait pas « assez de symbiose entre
les pouvoirs politiques et économiques ». Tant pis pour eux et pour
nous. Que le diable nous emporte ! Le diable, la tempête, la misère, la
guerre civile, la famine et même la disparition de la carte de ce monde
qui n'est peut-être pas fait pour nous. Que le diable nous emporte,
peuple et nation, nous disent-ils, le regard cynique, la bouche avide,
eux les légionnaires du quatrième mandat, mercenaires sans scrupules au
service de leur seule ambition, gouverner encore et encore, hier
derrière un chef de clan, aujourd'hui derrière un homme invalide,
aphasique, sans doute même hémiplégique, gouverner pour piller, pour
falsifier, pour prospérer au milieu des désespoirs, gouverner pour
échapper au jugement des hommes et qu'importe si, pour cinq ans encore,
une éternité, un peuple tout entier sera livré au règne de l'absurde,
toujours à deux doigts de périr. Ils préfèrent notre anéantissement à
leur départ.
Qui ignore que le pays est au bord du
gouffre après 15 années de prédation ? Ceux qui côtoient les hauts
responsables des finances algériennes le savent : dans deux ou trois
ans, le Trésor algérien pourrait faillir dans le versement des retraites
et des prestations sociales ; dans deux ou trois ans, l'Algérie se
remettra à emprunter sur le marché international pour assurer la
nourriture...Qui ignore cela en dehors du milicien Sidi Saïd, chef de la
centrale syndicale, qui avait imprudemment promis une augmentation de
salaire pour le 24 février dernier, avant que les argentiers de l'État
ne s'y opposent à la dernière minute : les caisses sont vides ! Le
Bouteflika en pleine santé, avec un baril de pétrole à 140 $, a ruiné
l'Algérie : l'argent, 700 milliards de dollars, a été dépensé pour les
seules importations de biens de consommation qui enrichissent les
seigneurs de l'informel, financer la paix sociale, engraisser les
amis... Que fera le Bouteflika impotent, avec un baril de pétrole en
chute libre et des réserves qui s'épuisent ? Personne n'ose imaginer.
Mais alors, va-t-on laisser faire sous
prétexte qu'ils ont le gourdin et la prison et nous, notre seul cri de
désespoir ? Va-t-on s'abriter derrière ce mouvement « Barakat ! » dont
on mesure que son courage est à la hauteur de son impuissance ? Va-t-on
confier à quelques citoyens aussi courroucés que nous mais moins lâches,
la mission de sauver ce qui reste de notre honneur ? Personne n'aura le
privilège de dire qu'il ne savait pas. Si le quatrième mandat venait à
s'enclencher, nous aurons été tous complices de l'homicide national,
tous, patrons investisseurs qui auront préféré l'indignité du silence au
courage d'un dernier combat, intellectuels et journalistes qui auront
oublié de dire et d'écrire en une époque peut-être sans vertu mais pas
sans mémoire, soldats et officiers qui auront mis la force au service de
l'injustice, hommes politiques qui attendez la fin de cette nuit noire
pour reprendre à philosopher avec les bourreaux...
Non, personne ne pourra dire qu'il ne savait pas.
Enregistrer un commentaire