Une centaine de blessés, des commerces incendiés
Ghardaïa, de nouveau l’embrasement…
Les démons de la violence se sont réveillés, mercredi soir, dans tous
les quartiers de Ghardaïa pour ne plus s’arrêter, au grand
désappointement des populations locales. Des dizaines de magasins
incendiés et plusieurs blessés dont deux gravement atteints suite à une
violence brutale. Une escarmouche, puis un café vandalisé par de jeunes
Mozabites du ksar Bounoura ont mis le feu aux poudres, générant en
retour une vendetta et des saccages en règle.
Les démons de la violence se sont réveillés, mercredi soir, pour ne
plus s’arrêter à Ghardaïa. Pis, ils se sont étendus brusquement à tous
les quartiers de la ville. Prenant comme étincelle le quartier de Sidi
Abbaz, dans la commune de Bounoura, où le célèbre café kiosque La Cabane
a été vandalisé et incendié, les violences ne vont plus cesser. Des
dizaines de magasins sur les grands boulevards de Ghardaïa, 1er
Novembre, Didouche Mourad, 5 Juillet et même dans la vieille ville au
niveau du vieux marché de Ghardaïa, sont incendiés tour à tour. Les
éléments de la Protection civile, malgré toute leur bonne volonté, n’ont
pu faire face à l’ampleur des incendies et à leur étendue dans les deux
communes de Ghardaïa et de Bounoura.
Des colonnes de fumée montaient de toutes parts vers le ciel,
témoignant ainsi de l’ampleur des dégâts. Mais ce qui a plus retenu
l’attention des citoyens, c’est l’absence totale de réaction des
autorités locales devant la gravité de la situation. «Où sont les
responsables de cette wilaya ? Que font-ils pour nous protéger ? Nous
sommes tous en danger de mort», crie de toutes ses forces une femme du
quartier de Haï El Moudjahidine, qui a déjà subi, en janvier et février,
des dégâts inestimables, où plus de quarante maisons avaient été
incendiées et leurs habitants réduits à l’état de sinistrés. Tous les
quartiers, que ce soit Theniet El Makhzen, Merrakchi, Sidi Abbaz,
Bounoura, Beni Izguène, Haï El Moudjahidine, Hadj Messaoud Mélika, Aïn
Lebeau, El Hoffra, Souk Lahttab ou Châabet Ennichène, se sont levés en
même temps dans une spirale de violence que personne n’attendait. Les
forces antiémeute, en nombre insuffisant après que le gros des troupes
ait été déployé à Ghardaïa, puis déplacé ailleurs, ne pouvaient en aucun
cas faire face à l’intensité des affrontements. Il est même arrivé que
des policiers se retrouvent dans une sale situation, ce qui a fait plus
de 20 blessés parmi eux. Mêmes les élèves ont été privés de cours dans
les 3 paliers jeudi, leurs responsables d’établissement leur ont fait
rebrousser chemin, à cause du manque de sécurité.
Des administrations et des établissements publics ont aussi gardé les
portes closes et les effectifs n’ont pu rejoindre leurs postes. Des
dizaines de blessés ont été dénombrés parmi les jeunes des deux
communautés, dont deux gravement atteints ont été admis aux urgences
médico-chirurgicales de l’hôpital Docteur Tirichine de Sidi Abbaz. Une
quinzaine de policiers ont aussi été touchés à divers degrés, mais sans
gravité, nous assure une source sécuritaire sous le sceau de l’anonymat.
Mais le pic de violence a été atteint hier, lorsque des jeunes se sont
attaqués à des fidèles en pleine prière du vendredi dans la mosquée.
Cette atteinte au sacré a fait sortir de leurs gonds les habitants du
quartier et l’on n’arrivait plus à démêler l’écheveau de réactions et
contre-réactions dans une spirale qui n’en finit pas. Beaucoup de plaies
et du sang a coulé dans des batailles rangées avec jets de pierres et
de toutes sortes d’objets hétéroclites. Des maisons et des commerces
dans cette zone ont aussi fait les frais de la fureur des jeunes qui ont
tout saccagé sur leur passage. Même les tirs de grenades lacrymogènes
n’ont pu dissuader les foules d’émeutiers prêtes à en découdre.
Ce n’est qu’avec l’arrivée de deux escadrons des forces antiémeute de
la gendarmerie que les antagonistes ont pu être séparés, mais pour un
temps seulement. Sitôt les forces antiémeute appelées sur un autre lieu,
les affrontements reprenaient de plus belle. «Et ne nous dites surtout
pas que les soi-disant sages ou notables peuvent intervenir. Le mal est
trop profond et les ressentiments bien exacerbés», lâche, avec amertume,
un avocat bien connu, qui enfonce le clou : «Pour moi, la
responsabilité de l’Etat est entière dans ces événements. Lui et lui
seul est en mesure et a les moyens de faire respecter la loi. Il a
l’obligation de protéger ses citoyens et leurs biens. Mais
malheureusement dans cette affaire, l’Etat fait tout le contraire de ce
qui lui incombe. Je ne comprends rien à cette inconsciente posture.»
Pour Mustapha, sociologue, «c’est le rôle des autorités locales, et à
leur tête le wali, qui me désarçonne dans cette affaire. Sont-ils
conscients des enjeux de cette région dans la stratégie nationale ?
Honnêtement, j’en doute. Leur mutisme me conforte dans mes doutes».
La nuit risque d’être longue, même si des renforts impressionnants de
gendarmes sont arrivés dans la vallée. Hier, en début de soirée, ils ont
commencé à prendre position dans certaines parties de la ville,
notamment sur les terrasses de la vieille ville, s’interposant entre les
quartiers mozabites et arabes de Beni Merzoug. Entre temps, sur toutes
les terrasses dans différents quartiers, des jeunes s’organisent pour
veiller sur leurs biens et se défendre en cas d’attaque. C’est dire que
le climat délétère s’installe, frisant la paranoïa. Les ménagères ne
sont pas en reste, elles prennent leurs dispositions pour constituer des
stocks de nourriture en cas de pénurie, compte tenu que la majorité des
magasins d’alimentation générale ont été incendiés. Mustapha Sioussiou,
responsable de la commune de Ghardaïa de l’Union générale des
commerçants et artisans algériens (UGCAA), a appelé notre bureau local
pour «dénoncer la série d’incendies des magasins et faire porter
l’entière responsabilité au wali et aux autorités locales qui ont failli
à leur mission de protection des biens
et des personnes», ajoutant : «Pourtant, nous avons rencontré, mardi
passé, le wali et nous l’avons mis en garde contre la levée du
dispositif de sécurité et il nous avait affirmé que toutes les
dispositions ont été prises pour protéger tous les commerces, et voilà
le résultat.»
K. Nazim
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