Il faut toujours se réjouir quand des Algériens se
parlent, se rencontrent ou «convergent» plutôt que de se faire la guerre. A la
salle Harcha, vendredi, des hommes qui incarnent, à leur manière, la plongée
dans la violence du pays au cours des années 90 respiraient le même air. Mais
attention aux malentendus. S'il est légitime de s'exprimer en «commun» contre
un quatrième mandat - qui décidément ne «passe pas» -, cela ne fait pas une
perspective politique.
Bouteflika fait partie du régime, il n'est pas le
régime à lui tout seul. Etre contre le quatrième mandat ne constitue pas une
base pour une «convergence» politique. Et ce n'est pas regarder dans le
rétroviseur que de dire que ceux qui étaient réunis à Harcha ont un lourd
contentieux à apurer. Entre eux. Et avec leur société. Car si l'on reste dans
le non-dit - genre on ne parle pas du passé, on s'occupe de Boutef -, on
retombera rapidement dans le jeu dans lequel excelle le régime. Faire peur aux
«modernes» en relançant la «menace intégriste», une option qui fonctionne
parfaitement. Faire peur aux conservateurs sur le thème des «valeurs» menacées
par les «occidentalistes». Il s'agit de manière prosaïque d'attenter
systématiquement aux libertés des «autres» sous le prétexte qu'ils menaceraient
les «nôtres». Du coup, le régime aligne tout le monde sur «pas de libertés pour
tous» en se payant le luxe de paraître celui qui joue les modérateurs.
Dans les années 90, cette démarche «clivante» a
poussé des gens présumés de gauche jusqu'à conceptualiser une théorie absurde
de l'existence de «deux peuples» en Algérie, l'un «moderne» et l'autre
«intégriste». La situation politique actuelle avec ses côtés hallucinants qui
désolent et inquiètent des Algériens aux opinions très divergentes voire
conflictuelles sert de base pour une rencontre conjoncturelle. C'est déjà un
progrès en soi pour des gens qui trouvaient, il y a peu, «inimaginable» de se
rencontrer. Mais cette rencontre sera sans lendemain si les questions qui ont
fait avorter le processus démocratique tout en provoquant un terrible
traumatisme dans la société continuent d'être évacuées. La question du rejet de
la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir n'est pas une affaire
«théorique» dans le cas de l'Algérie. Le principe du «one man one vote» ne
l'est pas non plus puisqu'il a été contesté dans les années 90 au nom de l'idée
«moderne» qu'on ne doit «pas jouer avec des électeurs analphabètes».
L'amnésie officielle sur les violences des années 90
n'est pas une solution. Et les acteurs politiques qui aujourd'hui parlent de
«changer le régime» ne pourront pas progresser s'ils font semblant d'ignorer ce
qui a fait si douloureusement capoter le processus démocratique en Algérie. Si
on ne tire aucun enseignement politique de cette affreuse période, on
n'avancera pas. C'est pour cela que s'il faut se réjouir de la «rencontre» de
Harcha, il ne faut pas la surdimensionner. Il y a encore beaucoup de chemin à
faire pour reconstruire le «consensus national». Mais on peut déjà, si on veut
faire œuvre utile, prendre dans ce que les Tunisiens ont déjà réalisé.
Accepter, sans tergiverser, le principe de «liberté de conscience» serait par
exemple un grand pas. Et surtout discuter sans rien occulter.
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