La Tunisie n'est pas morte, c'est l'Algérie qui a mal vieilli
par Kamel Daoud
De Tunis. Sous le ciel gris, la mer
avec une couleur étrange. Qui mêle argile et bleu. La Méditerranée semble
renoncer à venir à terre, de tout son poids se rétracter, et se tourne vers le
ciel. Deux éléments s'agitent sous le vent puissant. En bas, les murs blancs et
les fenêtres bleues de Sidi Boussaïd. C'est donc Tunis. Ce petit pays qui a
déclenché le domino dit « arabe » et qu'on essaye de faire oublier. Vu de loin,
l'Algérie, le pays semble condamné à une mort par rides et vieillissement. De
notre côté, rien ne change : les gens sont morts, un mort gouverne et on mange
le pétrole en attendant le jugement dernier. Pour nous faire peur, on nous
parle de la Syrie, de l'Egypte, de la Libye et du Chaos, pas de la Tunisie. Ce
petit pays a gêné les régimes « arabes » au début des révolutions, les gêne
encore par sa lente réussite vers la démocratie. On préfère nous parler du
cauchemar, pas du rêve.
Et
ce petit pays a servi à tout : on a dit qu'il est en ruine, qu'il est Kaboul,
qu'il va mal, qu'il n'existe plus, qu'il est l'exemple à ne pas suivre et à
éviter. Et pourtant ce petit pays est là, avec ses murs, ses touristes, ses
problèmes et son avenir encore flou mais affronté avec convictions par les
siens.
On
s'y promène, et on ne peut pas éviter de revenir vers son pays à soi. Au notre.
Comparer sans cesse, se souvenir et s'interroger sur notre drame à nous. La
Tunisie est donc encore vivante. Plus que nous qui nous plaisons à nous
raconter le mythe de notre guerre de Libération et à pérorer sur l'expérience
algérienne, ses puits, sa position stratégique assise et sur notre fierté
nationale comme sentiment collectif. Ce petit pays est sciemment ignoré par la
propagande chez nous, pour bien faire peur aux gens. Leur planter dans la tête
que l'idée du changement est un crime et un suicide et qu'il vaut mieux
vieillir et mourir avec un vieux qui meurt que de rajeunir et changer. La
Tunisie est donc là, on peut la toucher, la suivre et écouter ce qui l'agite et
la hante encore aujourd'hui après la chute de Benali et son épouse. Etrange
contraste avec notre pays qui se dirige vers un mélange mou : du bourguibisme
mythico-médical, un retour de la police comme instrument de pouvoir et pas
moyen d'ordre, montée d'un clan Tarabelsi derrière la chaise roulante et une
sensation de peur alimentaire qui se généralise.
C'est
peut-être la bonne image : La Tunisie est une Algérie où 92 aurait mené à la
démocratie et pas à la guerre et où le poids de l'armée ne pèse pas sur le
politique et où la classe moyenne n'a pas fui les massacres et où l'économie ne
repose pas sur la toxine du pétrole et ses milices, pilleurs et contrebandiers.
Et
l'Algérie ? C'est aujourd'hui une Tunisie où Bourguiba refuse de mourir, où
Benali est son frère, et où les Trabelsi sont plusieurs ministres et où les
islamistes sont des imbéciles et où la meilleure solution est de partir pour
les classes moyennes et où Khalifa est l'ami de Saïd et le patron du FCE. On
peut pousser le jeu au plus loin, il est fascinant.
Ici
Benali a fui. Là-bas, c'est nous qui fuyons.
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