Internet est la mémoire des peuples, désormais
par Kamel Daoud
On gouverne les gens par leurs amnésies mais internet est
désormais la mémoire des peuples. Sur le Net algérien, une vidéo (retrouvée par
les Algériens qui auscultent tout maintenant) fait le buzz: celle qui montre
Medelci, l'ancien ministre des AE algérien, l'actuel président du Conseil
constitutionnel, dans une émission de la chaîne française LCP. On était en
2011, la vague des révoltes était au plus haut et le bonhomme avait été chargé
de vendre le slogan de «l'Algérie a déjà payé et elle n'est donc pas
concernée». Elkabbach, qui interrogeait son invité sur la possibilité d'un 4e
mandat de Bouteflika, s'est vu répondre par Medelci «C'est une blague».
Le verdict, après sa fameuse déclaration au procès Khalifa
1, vaut en double. Il est un mensonge au passé ou une lecture involontaire de
l'avenir. Car, au mieux, ce qui se trame actuellement est une blague faite à
l'Algérie et cet homme avait raison: le 4e mandat est une blague. Propos d'un
homme du clan, chargé de se prononcer aujourd'hui sur la validité de la blague
qu'il avait annoncée il y a trois ans.
Passons. Tout cela pour parler de la propagande et de son
vice: celui de tomber et retomber de plus en plus dans l'excès, sans sourciller
ni se sentir gêné. Aujourd'hui, un Sellal parle du multipartisme comme d'une
hérésie dont l'Algérie n'a pas besoin. Le président du Sénat lance des menaces
et Saadani ou Louiza Hanoune accusent ceux qui disent non d'être des harkis. Et
Benyounès utilise un langage de charretier du moyen-âge. La propagande
s'emballe, elle devient hystérique et bascule dans l'exagération. Et cet excès
est l'expression d'abord d'un amateurisme dans l'art de mener campagne, mais
aussi l'aveu qu'il y a violence, peu de conscience et logique de clan et pas
celle d'Etat. Les soutiens de Bouteflika parlent avec violence, agressivité,
parce que la loi qui prévaut n'est plus celle de convaincre et de laisser
l'adversité s'exprimer, mais celle d'imposer et bâillonner et de réagir avec émotion
et contrainte sur autrui. Les attaques contre le mouvement Barakat sont à
prendre comme un signe clinique de panique et de mépris. «Qui êtes-vous ?»,
avait lancé le Zenga-Zenga.
Cela annonce le pire pour après les élections malgré
l'unanimisme que l'on annonce et les chiffres que l'on pressent. L'Algérie de
l'Après-17 sera agitée, difficile, désunie, éparpillée entre fatalisme et
radicalisation. Le langage sera celui du «bras» et l'exclusion des élites qui
ne sont pas d'accord et des pans démographiques des jeunes se traduira par une
tension que n'achètera pas le chéquier malgré ce que l'on dit. La formule du 4e
mandat démarre sur une large suspicion des élites de soutien, un climat de peur
et de «chantage» alimentaire, un forcing et un encanaillement du langage
politique et des soutiens qui n'ont pas que des bonnes intentions pour ce pays.
Cela n'annonce pas le beau temps.
La propagande d'un régime est l'aveu de ce qu'il pense, ce
qu'il fait et ce qu'il croit et ce qu'il pense des autres et de son peuple.
Plus elle est grossière, plus la violence est grande et plus les moyens
utilisés pour faire passer la «solution» deviennent agressifs. La machine
dévorera non seulement les adversaires mais aussi son propre symbole. Le
bouteflikisme est déjà plus violent que ne l'avait été Bouteflika lui-même du
temps de sa santé. Ceux qui le défendent aujourd'hui défendent surtout une
question de leur survie ou de leur mort et pas seulement la personne de ce
candidat «indépendant». Ils sont autonomes, déjà.
C'est une «blague»
donc. Mais tragique. Medelci avait raison et internet n'oublie plus comme les
peuples.
Enregistrer un commentaire