Ils sont très nombreux les Algériens à être, plus
qu'atterrés, littéralement sidérés par la succession des événements à Ghardaïa.
Cette irrésistible rétrogradation par la violence que rien ne semble arrêter du
vivre en commun. Une violence abjecte qui ne trouve rien sur son chemin, pas
même les outils classiques de la préservation de l'ordre public, suscite des
interrogations. Manipulations liées aux élections ? L'explication n'est guère
convaincante, les Algériens de Ghardaïa et d'ailleurs n'ignorant pas que les
élections sont déjà courues.
Ceux de Ghardaïa, des deux communautés, ne
comprennent pas eux-mêmes ce qui arrive et comment le feu se rallume après des
brèves périodes de rémissions qu'on ne peut même pas appeler des trêves. Des
problèmes de foncier ? Il y en a probablement autant que dans le reste du pays
avec des distributions injustes liées à la proximité ou non avec le pouvoir.
Cela renvoie bien sûr à une incapacité à réaliser un aménagement du territoire
fondé sur l'approbation des populations. Et quand les modes d'affectations
régaliennes, par définition injustes, sont la règle, on crée des clientèles, on
ne suscite jamais l'adhésion raisonnée et responsable. Des Algériens, de plus
en plus pessimistes, commencent à s'alarmer. Et à voir dans ce qui arrive à
Ghardaïa, dans cette perte de contrôle des pouvoirs publics, dans l'incapacité
des élites traditionnelles à contrôler des jeunes «mis en guerre» pour
d'obscures raisons, un phénomène généralisable.
Il y a eu déjà en Kabylie, il y a quelques années,
une réaction régressive par les arouchs qui a durablement affecté toutes les
organisations militantes et partisanes qui inscrivaient leur action dans une
perspective démocratique nationale. Le pouvoir y a gagné des ralliements, un
affaiblissement de la contestation politique, mais l'Algérie y a beaucoup
perdu. Ce qui se déroule à Ghardaïa montre que le mouvement de la régression
poursuit sa marche. On a souvent tendance, par facilité de langage, à critiquer
«l'immobilisme» du régime. C'est une formulation impropre. L'Algérie, en dépit
du vieux discours du «spécifique», ne déroge pas aux lois de l'histoire. Une
société n'est jamais immobile, elle est en mouvement. Mais le cadre dans lequel
elle évolue influe sur la direction de ce mouvement. Cela peut être un
mouvement vers l'avant où la créativité et la solidarité des femmes et des
hommes s'expriment sur la base d'un patrimoine historique commun. Cela peut
également - et les exemples ne manquent pas - être un mouvement régressif où
l'idée nationale s'étiole au profit du «localisme» sans envergure de la tribu,
du arch, du douar voire du quartier.
L'Algérie est née d'une grande révolution inscrite
dans un mouvement mondial de libération et progrès. Les acteurs du mouvement
national et l'implication des Algériens dans la guerre de libération nous ont
légué un patrimoine que nous devions maintenir vivant. Par la citoyenneté
effective, par la participation, par les libertés, par la reddition des comptes
de ceux qui ont la charge de diriger le pays. Et cela comporte nécessairement
une exigence de résultat et de mise en concurrence des projets et des compétences.
Quand tout cela fait défaut, le pays ne se fige pas dans une impossible
immobilité - comme le rêvent ceux qui détiennent les leviers du pouvoir -, il
régresse. Et au rythme de la plongée dans la déshérence, ce pays peut revenir
très loin en arrière.
LE PLUS GRAVE EST QUE GHARDAÏA N'EST PROBABLEMENT PAS
UNE CONSPIRATION, MAIS L'EXPRESSION DE LA REGRESSION DE L'ETAT ET DE LA
SOCIETE. A GHARDAÏA, LES CLIENTELES TRADITIONNELLES ET LES NOTABILITES NE SONT
PLUS EN MESURE D'INFLUER SUR LE COURS D'UNE SITUATION TELLEMENT DETERIOREE QUE
CE SONT LES PLUS VIOLENTS PARMI LES JEUNES QUI MENENT CE JEU DE LA MORT. LE
MOUVEMENT DE LA REGRESSION IMPRIME PAR LE SYSTEME ALGERIEN S'ACCELERE. GHARDAÏA
N'EST PROBABLEMENT PAS UN COMPLOT. GHARDAÏA EST UN REFLET D'UNE IRREPRESSIBLE
DERIVE. GHARDAÏA EST, AVEC CERTITUDE, UN REVELATEUR DES MENACES QUI PESENT SUR
LA COHESION DE CE PAYS ET L'IDEE MEME DE NATION. C'EST UN GRAVE AVERTISSEMENT !
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