Non, personne ne pourra dire qu'il
ne savait pas, avions-nous conclu notre dernière chronique sur les
Dalton. Si le quatrième mandat venait à s'enclencher, nous aurions été
tous complices de l'homicide national. Homicide ? Le mot avait provoqué
l’indignation de la misérable garde prétorienne chargée de veiller aux «
intérêts moraux » de la bande qui dirige le pays depuis quinze ans.
Mais voilà que l’ancien président, Liamine Zéroual, que l’on ne saurait
soupçonner d’activité agitatrice lui qui ne s’est pas exprimé depuis 15
ans, fait irruption dans le débat national pour faire état de « ses
craintes » devant la « crise de confiance structurelle », le «
scepticisme exacerbé » de « l’opinion nationale exsangue » et appeler à «
offrir, enfin, à l’Algérie, la République qu’elle est en droit d’exiger
de son peuple et de son élite éclairée. » Autrement dit, celle que n’a
pu offrir Bouteflika en quinze années de règne.
Les
esprits aiguisés y auront vu la réponse d’un Chaoui à la bergère.
Peut-être. La lettre de Zéroual peut s’apprécier comme un camouflet à
ceux qui, dans son camp, avaient vendu leur âme pour un plat de
lentilles, à commencer par Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia. Il enlève
à ce dernier, notamment, la couverture du RND historique et sans doute
celle de l’Armée aussi. Mais le message de l’ancien président Liamine
Zéroual est, heureusement pour lui et pour nous, bien plus que cela.
C’est le cri déchiré d’un Algérien averti devant la catastrophe
nationale du quatrième mandat. Zéroual, qui dit vouloir « partager ses
craintes », le clame sans détour : « Il faut se garder de sous-estimer
la situation actuelle ». C’est, surtout, l’appel solennel d’un des plus
respectables chefs de l’Armée, visiblement tourmenté par l’urgence
d’éviter à ce pays en « crise de confiance structurelle », avec une «
opinion nationale au scepticisme exacerbé », les incalculables ravages
d’une effervescence citoyenne qui semble, selon lui, s’être installée
depuis un certain temps. Effervescence ! Le doux euphémisme est lâché !
Traduisez : colère populaire.
L’ancien président exprime, en fait, un
point de vue dominant dans les états-majors militaires, où l’on en est
venu à la conclusion que le pire est à envisager et que le pouvoir
serait à la merci de sa population. L’Armée redoute au plus haut point
d’avoir à se retrouver dans l’insoutenable obligation de sortir les
chars dans les rues. Ce serait le pire des scénarios y compris du strict
point de vue de l’intérêt de la hiérarchie militaire. Le pouvoir absolu
de Bouteflika n’est plus en mesure d’assurer la sécurité et la survie
du système politique algérien, donc des principales institutions qui le
composent, à leur tête l’armée et les services de sécurité. Le règne de
l’autocratie expose l’État aux plus gros risques du fait qu’il est
inapte à répondre à une demande démocratique.
Quand Zéroual écrit : « Il faut se
garder de croire que la grandeur du dessein national peut relever de la
seule volonté d’un homme serait-il providentiel ou de l’unique force
d’un parti politique serait-il majoritaire. », il parle de la bouche des
éléments les plus lucides au sein de la hiérarchie militaire et du DRS
qui sont arrivés à la conclusion que l’exercice du pouvoir personnel
semblable à celui que cherche à imposer Bouteflika, n’est plus une
solution à la décadence et au déclin d’un système.
Zéroual amplifie l’inquiétude des
officiers qui comprennent que le pouvoir de Bouteflika ne dispose plus
d’aucun moyen de redresser la situation ni même de perpétuer l’ancien
système ni encore moins de pouvoir survivre à une réaction populaire.
Ces officiers sont conscients que le mal vient de la perpétuation de
l’État-DRS depuis 1962 qui n'est plus opérationnel dans le contexte
d'aujourd'hui mais dont ils souhaitent contrôler la substitution par un
État plus démocratique, disons plus participatif, et qui calmerait les
pulsions émeutières. Zéroual relaye l’inquiétude de ceux parmi les plus
avisés des responsables militaires et les plus clairvoyants parmi les
décideurs dans les services de renseignement - constat qui se retrouve
dans les rapports des services secrets occidentaux – et selon lequel
l’État-Bouteflika, État faible parce que coupé de la société et parce
que ses possibilités de mobilisation de soutiens politiques sont
limitées, n’a pas les moyens de son autoritarisme.
D’où le remède préconisé par Zéroual :
pour redonner sa force à l’État, il faut l’ouvrir aux Algériens et non
le fermer au nez des Algériens. « L’alternance au pouvoir a pour
vocation de consolider la solidarité intergénérationnelle, de conforter
la cohésion nationale et d’instituer les bases structurantes d’une
stabilité durable », nous dit l'ancien chef de l'État dans son message.
C’est la nouvelle ligne directrice des chefs militaires : réformer,
lâcher du lest, démocratiser. La seule manière de préserver les
fragments de l’ancien système. Ce fut le crédo du général Nezzar,
formulé, il y a trois ans, lors des consultations de la commission
Bensalah. Pour lui, la prochaine Constitution doit garantir la pérennité
du caractère républicain et démocratique de l’État, l’organisation de
l’alternance au pouvoir, l’inviolabilité et la protection des droits de
l’opposition et de la minorité parlementaire dans un climat de paix
civile, le respect de la liberté d’expression et des libertés publiques,
le droit de manifester pacifiquement…
Curieusement, on retrouve ces doléances
sous la plume de Zéroual appelant à « engager l’Algérie sur la voie de
la transition véritable (…) œuvre nationale salutaire à la réalisation
de laquelle tous les Algériens doivent être associés. En effet, La
grandeur du dessein national est intimement liée à la grandeur du peuple
et à sa capacité d’œuvrer constamment à conquérir de nouveaux espaces
démocratiques. Dans cette perspective, notre pays est indéniablement
riche des potentialités et des capacités à même de lui permettre d’aller
vers ces nouvelles conquêtes. »
Zéroual rappelle que cette préconisation
de sortir de l’État de 1962 par l’ouverture démocratique et non par le
pouvoir absolu, avait constitué l'épine dorsale de son
programme-discipline du temps où il était chef de l’État. Retourner en
arrière, serait diablement instructif.
A suivre
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