Avec la chute de l’Union soviétique, les Russes ont
réalisé que la course à l’armement les avait épuisés, surtout en
l’absence des approvisionnements d’énergie nécessaires à tout pays
industrialisé. Au contraire, les USA avaient pu se développer et décider
de la politique internationale sans trop de difficultés grâce à leur
présence dans les zones pétrolières depuis des décennies. C’est la
raison pour laquelle les Russes décidèrent à leur tour de se positionner
sur les sources d’énergie, aussi bien pétrole que gaz. Considérant que
le secteur pétrolier, vu sa répartition internationale, n’offrait pas de
perspectives, Moscou misa sur le gaz, sa production, son transport et
sa commercialisation à grande échelle.
Le coup d’envoi fut donné en 1995, lorsque Vladimir Poutine mis en
place la stratégie de Gazprom : partir des zones gazières de la Russie
vers l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, l’Iran (pour la commercialisation),
jusqu’au Proche-Orient. Il est certain que les projets Nord Stream et South Stream
témoigneront devant l’Histoire du mérite et des efforts de Vladimir
Poutine pour ramener la Russie dans l’arène internationale et peser sur
l’économie européenne puisqu’elle dépendra, durant des décennies à
venir, du gaz comme alternative ou complément du pétrole, avec
cependant une nette priorité pour le gaz. À partir de là, il devenait
urgent pour Washington de créer le projet concurrent Nabucco,
pour rivaliser avec les projets russes et espérer jouer un rôle dans ce
qui va déterminer la stratégie et la politique pour les cents prochaines
années.
Le fait est que le gaz sera la principale source d’énergie du 21ème
siècle, à la fois comme alternative à la baisse des réserves mondiales
de pétrole, et comme source d’énergie propre. Par conséquent, le
contrôle des zones gazières du monde par les anciennes et les nouvelles
puissance est à la base d’un conflit international dont les
manifestation sont régionales.
De toute évidence, la Russie a bien lu les cartes et a bien retenu la
leçon du passé, car c’est le manque de contrôle au niveau des
ressources énergétiques globales, indispensables à l’injection de
capital et d’énergie dans la structure industrielle, qui fut à l’origine
de l’effondrement de l’Union Soviétique. De même la Russie a assimilé
que le gaz serait la ressource énergétique du siècle à venir.
Historique du grand jeu gazier
- Vladimir Poutine et Alexei Miller, président de Gazprom.
Une première lecture de la carte du gaz révèle que celui-ci est
localisé dans les régions suivantes, en termes de gisements et d’accès
aux zones de consommation :
1. Russie : Vyborg et Beregvya
2. Annexé à la Russie : Turkménistan
3. Environs plus ou moins immédiats de la Russie : Azerbaïdjan et Iran
4. Pris à la Russie : Géorgie
5. Méditerranée orientale : Syrie et Liban
6. Qatar et Égypte.
Moscou s’est hâté de travailler sur deux axes stratégiques : le
premier est la mise en place d’un projet sino-russe à long terme
s’appuyant sur la croissance économique du Bloc de Shanghai ; le
deuxième visant à contrôler les ressources de gaz. C’est ainsi que
furent jetées les bases des projets South Stream et Nord Stream, faisant face au projet étasunien Nabucco,
soutenu par l’Union européenne, qui visait le gaz de la mer Noire et de
l’Azerbaïdjan. S’ensuivit entre ces deux initiatives une course
stratégique pour le contrôle de l’Europe et des ressources en gaz.
Pour la Russie :
Le projet Nord Stream relie directement la Russie à
l’Allemagne en passant à travers la mer Baltique jusqu’à Weinberg et
Sassnitz, sans passer par la Biélorussie.
Le projet South Stream commence en Russie, passe à travers la
la mer Noire jusqu’à la Bulgarie et se divise entre la Grèce et le sud
de l’Italie d’une part, et la Hongrie et l’Autriche d’autre part.
Pour les États-Unis :
Le projet Nabucco part d’Asie centrale et des environs de la
Mer Noire, passe par la Turquie où se situent les infrastructures de
stockage, puis parcours la Bulgarie, traverse la Roumanie, la Hongrie,
arrive en Autriche et de là se dirige vers la République Tchèque, la
Croatie, la Slovénie et l’Italie. Il devait à l’origine passer en Grèce,
mais cette idée avait été abandonnée sous la pression turque.
Nabucco était censé concurrencer les projets russes.
Initialement prévu pour 2014, il a dû être repoussé à 2017 en raison de
difficultés techniques. À partir de là, la bataille du gaz a tourné en
faveur du projet russe, mais chacun cherche toujours à étendre son
projet à de nouvelles zones.
Cela concerne d’une part le gaz iranien, que les États-Unis voulaient voir venir renforcer le projet Nabucco
en rejoignant le point de groupage de Erzurum, en Turquie ; et de
l’autre le gaz de la Méditerranée orientale : Syrie, Liban, Israël.
Or en juillet 2011, l’Iran a signé divers accords concernant le
transport de son gaz via l’Irak et la Syrie. Par conséquent, c’est
désormais la Syrie qui devient le principal centre de stockage et de
production, en liaison avec les réserves du Liban. C’est alors un tout
nouvel espace géographique, stratégique et énergétique qui s’ouvre,
comprenant l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban. Les entraves que ce
projet subit depuis plus d’un an donnent un aperçu du niveau d’intensité
de la lutte qui se joue pour le contrôle de la Syrie et du Liban. Elles
éclairent du même coup le rôle joué par la France, qui considère la
Méditerranée orientale comme sa zone d’influence historique, devant
éternellement servir ses intérêts, et où il lui faut rattraper son
absence depuis la Seconde Guerre mondiale. En d’autres termes, la
France veut jouer un rôle dans le monde du gaz où elle a acquis en
quelque sorte une « assurance maladie » en Libye et veut désormais une
« assurance-vie » à travers la Syrie et le Liban.
Quant à la Turquie, elle sent qu’elle sera exclue de cette guerre du gaz puisque le projet Nabucco est retardé et qu’elle ne fait partie d’aucun des deux projets South Stream et Nord Stream ; le gaz de la Méditerranée orientale semble lui échapper inexorablement à mesure qu’il s’éloigne de Nabucco.
L’axe Moscou-Berlin
- Gerhard
Schroeder et Aleksei Miller. Le 30 mars 2006, l’ancien chancelier
allemand était nommé à la tête du consortium chargé de construire North
Stream.
Pour ses deux projets, Moscou a créé la société Gazprom dans les
années 1990. L’Allemagne, qui voulait se libérer une fois pour toutes
des répercussions de la Seconde Guerre mondiale, se prépara à en être
partie prenante ; que ce soit en matière d’installations, de révision du
pipeline Nord, ou de lieux de stockage pour la ligne South Stream au sein de sa zone d’influence, particulièrement en Autriche.
La société Gazprom a été fondée avec la collaboration de Hans-Joachim
Gornig, un allemand proche de Moscou, ancien vice-président de la
compagnie allemande de pétrole et de gaz industriels qui a supervisé la
construction du réseau de gazoducs de la RDA. Elle a été dirigée
jusqu’en octobre 2011 par Vladimir Kotenev, ancien ambassadeur de Russie
en Allemagne.
Gazprom a signé nombre de transactions avec des entreprises allemandes, au premier rang desquelles celles coopérant avec Nord Stream,
tels les géants E.ON pour l’énergie et BASF pour les produits
chimiques ; avec pour E.ON des clauses garantissant des tarifs
préférentiels en cas de hausse des prix, ce qui revient en quelque sorte
à une subvention « politique » des entreprises du secteur énergétique
allemand par la Russie.
Moscou a profité de la libéralisation des marchés européens du gaz
pour les contraindre à déconnecter les réseaux de distribution des
installations de production. La page des affrontements entre la Russie
et Berlin étant tournée, débuta alors une phase de coopération
économique basée sur l’allégement du poids de l’énorme dette pesant sur
les épaules de l’Allemagne, celle d’une Europe surendettée par le joug
étasunien. Une Allemagne qui considère que l’espace germanique
(Allemagne, Autriche, République Tchèque, Suisse) est destiné à devenir
le cœur de l’Europe, mais n’a pas à supporter les conséquences du
vieillissement de tout un continent, ni celle de la chute d’une autre
superpuissance.
Les initiatives allemandes de Gazprom comprennent le joint-venture de
Wingas avec Wintershall, une filiale de BASF, qui est le plus grand
producteur de pétrole et de gaz d’Allemagne et contrôle 18 % du marché
du gaz. Gazprom a donné à ses principaux partenaires allemands des
participations inégalées dans ses actifs russes. Ainsi BASF et E.ON
contrôlent chacune près d’un quart des champs de gaz Loujno-Rousskoïé
qui alimenteront en grande partie Nord Stream ; et ce n’est donc
pas une simple coïncidence si l’homologue allemand de Gazprom, appelé
« le Gazprom germanique », ira jusqu’à posséder 40 % de la compagnie
autrichienne Austrian Centrex Co, spécialisée dans le stockage du gaz et
destinée à s’étendre vers Chypre.
Une expansion qui ne plait certainement pas à la Turquie qui a cruellement besoin de sa participation au projet Nabucco.
Elle consisterait à stocker, commercialiser, puis transférer 31 puis 40
milliards de m³ de gaz par an ; un projet qui fait qu’Ankara est de
plus en plus inféodé aux décisions de Washington et de l’OTAN, d’autant
plus que son adhésion à l’Union européenne a été rejetée à plusieurs
reprises.
Les liens stratégiques liés au gaz déterminent d’autant plus la
politique que Moscou exerce un lobbying sur le Parti social-démocrate
allemand en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, base industrielle majeure et
centre du conglomérat allemand RWE, fournisseur d’électricité et filiale
d’E.ON.
Cette influence a été reconnue par Hans-Joseph Fell, responsable des
politiques énergétiques chez les Verts. Selon lui quatre sociétés
allemandes liées à la Russie jouent un rôle majeur dans la définition de
la politique énergétique allemande. Elles s’appuient sur le Comité des
relations économiques de l’Europe de l’Est —c’est-à-dire sur des
entreprises en contact économique étroit avec la Russie et les pays de
l’ex Bloc soviétique—, qui dispose d’un réseau très complexe d’influence
sur les ministres et l’opinion publique. Mais en Allemagne, la
discrétion reste de mise quant à l’influence grandissante de la Russie,
partant du principe qu’il est hautement nécessaire d’améliorer la
« sécurité énergétique » de l’Europe.
Il est intéressant de souligner que l’Allemagne considère que la
politique de l’Union européenne pour résoudre la crise de l’euro
pourrait à terme gêner les investissements germano-russes. Cette raison,
parmi d’autres, explique pourquoi elle traine pour sauver l’euro plombé
par les dettes européennes, alors même que le bloc germanique
pourraient, à lui seul, supporter ces dettes. De plus, à chaque fois que
les Européens s’opposent à sa politique vis-à-vis de la Russie, elle
affirme que les plans utopiques de l’Europe ne sont pas réalisables et
pourraient pousser la Russie à vendre son gaz en Asie, mettant en péril
la sécurité énergétique européenne.
Ce mariage des intérêts germano-russes s’est appuyé sur l’héritage de
la Guerre froide, qui fait que trois millions de russophones vivent en
Allemagne, formant la deuxième plus importante communauté après les
Turcs. Poutine était également adepte de l’utilisation du réseau des
anciens responsables de la RDA, qui avaient pris soin des intérêts des
compagnies russes en Allemagne, sans parler du recrutement d’ex-agents
de la Stasi. Par exemple, les directeurs du personnel et des finances de
Gazprom Germania, ou encore le directeur des finances du Consortium
Nord Stream, Warnig Matthias qui, selon le Wall Street Journal,
aurait aidé Poutine à recruter des espions à Dresde lorsqu’il était
jeune agent du KGB. Mais il faut le reconnaitre, l’utilisation par la
Russie de ses anciennes relations n’a pas été préjudiciable à
l’Allemagne, car les intérêts des deux parties ont été servis sans que
l’une ne domine l’autre.
Le projet Nord Stream, le lien principal entre la Russie et
l’Allemagne, a été inauguré récemment par un pipeline qui a coûté 4,7
milliards d’euros. Bien que ce pipeline relie la Russie et l’Allemagne,
la reconnaissance par les Européens qu’un tel projet garantissait leur
sécurité énergétique a fait que la France et la Hollande se sont hâtées
de déclarer qu’il s’agissait bien là d’un projet « européen ». À cet
égard, il est bon de mentionner que M. Lindner, directeur exécutif du
Comité allemand pour les relations économiques avec les pays de l’Europe
de l’Est a déclaré, sans rire, que c’était bien « un projet européen
et non pas allemand, et qu’il n’enfermerait pas l’Allemagne dans une
plus grande dépendance vis-à-vis de la Russie ». Une telle déclaration
souligne l’inquiétude que suscite l’accroissement de l’influence Russe
en l’Allemagne ; il n’en demeure pas moins que le projet Nord Stream est structurellement un plan moscovite et non pas européen.
Les Russes peuvent paralyser la distribution de l’énergie en Pologne
dans plusieurs pays comme bon leur semblent, et seront en mesure de
vendre le gaz au plus offrant. Toutefois, l’importance de l’Allemagne
pour la Russie réside dans le fait qu’elle constitue la plate-forme à
partir de laquelle elle va pouvoir développer sa stratégie
continentale ; Gazprom Germania détenant des participations dans 25
projets croisés en Grande-Bretagne, Italie, Turquie, Hongrie et d’autres
pays. Cela nous amène à dire que Gazprom – après un certain temps – est
destinée à devenir l’une des plus importantes entreprises au monde,
sinon la plus importante.
Dessiner une nouvelle carte de l’Europe, puis du monde
- Les gazoducs North Stream, South stream et Nabucco.
Les dirigeants de Gazprom ont non seulement développé leur projet, mais ils ont aussi fait en sorte de contrer Nabucco.
Ainsi, Gazprom détient 30 % du projet consistant à construire un
deuxième pipeline vers l’Europe suivant à peu près le même trajet que Nabucco
ce qui est, de l’aveu même de ses partisans, un projet « politique »
destiné à montrer sa force en freinant, voire en bloquant le projet Nabucco.
D’ailleurs Moscou s’est empressé d’acheter du gaz en Asie centrale et
en mer Caspienne dans le but de l’étouffer, et de ridiculiser Washington
politiquement, économiquement et stratégiquement par la même occasion.
Gazprom exploite des installations gazières en Autriche, c’est-à-dire
dans les environs stratégiques de l’Allemagne, et loue aussi des
installations en Grande-Bretagne et en France. Toutefois, ce sont les
importantes installations de stockage en Autriche qui serviront à
redessiner la carte énergétique de l’Europe, puisqu’elles alimenteront
la Slovénie, la Slovaquie, la Croatie, la Hongrie, l’Italie et
l’Allemagne. À ces installations, il faut ajouter le centre de stokage
de Katrina, que Gazprom construit en coopération avec l’Allemagne, afin
de pouvoir exporter le gaz vers les grands centres de consommation de
l’Europe de l’ouest.
Gazprom a mis en place une installation commune de stockage avec la
Serbie afin de fournir du gaz à la Bosnie-Herzégovine et à la Serbie
elle-même. Des études de faisabilité ont été menées sur des modes de
stockage similaires en République Tchèque, Roumanie, Belgique,
Grande-Bretagne, Slovaquie, Turquie, Grèce et même en France. Gazprom
renforce ainsi la position de Moscou, fournisseur de 41 % des
approvisionnements gaziers européens. Ceci signifie un changement
substantiel dans les relations entre l’Orient et l’Occident à court,
moyen et long terme. Cela annonce également un déclin de l’influence
états-unienne, par boucliers antimissiles interposés, voyant
l’établissement d’une nouvelle organisation internationale, dont le gaz
sera le pilier principal. Enfin cela explique l’intensification du
combat pour le gaz de la côte Est de la Méditerranée au Proche-Orient.
Nabucco et la Turquie en difficulté
- Manquant de source d’approvisionnement et sans clients identifiés, Nabucco est sans cesse repoussé.
Nabucco devait acheminer du gaz sur 3 900 kilomètres de la
Turquie vers l’Autriche et était conçu pour fournir 31 milliards de
mètres cubes de gaz naturel par an depuis le Proche-Orient et le bassin
caspien vers les marchés européens. L’empressement de la coalition
Otan-États-unis-France à mettre fin aux obstacles qui s’élevaient
contre ses intérêts gaziers au Proche-Orient, en particulier en Syrie et
au Liban, réside dans le fait qu’il est nécessaire de s’assurer la
stabilité et la bienveillance de l’environnement lorsqu’il est question
d’infrastructures et d’investissement gaziers. La réponse syrienne fût
de signer un contrat pour transférer vers son territoire le gaz iranien
en passant par l’Irak. Ainsi, c’est bien sur le gaz syrien et libanais
que se focalise la bataille, alimentera t-il Nabucco ou South Stream ?
Le consortium Nabucco est constitué de plusieurs sociétés :
allemande (REW), autrichienne (OML), turque (Botas), bulgare (Energy
Company Holding), et roumaine (Transgaz). Il y a cinq ans, les coûts
initiaux du projet étaient estimées à 11,2 milliards de dollars, mais
ils pourraient atteindre 21,4 milliards de dollars d’ici 2017. Ceci
soulève de nombreuses questions quant à sa viabilité économique étant
donné que Gazprom a pu conclure des contrats avec différentes pays qui
devaient alimenter Nabucco, lequel ne pourrait plus compter que
sur les excédents du Turkménistan, surtout depuis les tentatives
infructueuses de mainmise sur le gaz iranien. C’est l’un des secrets
méconnus de la bataille pour l’Iran, qui a franchi la ligne rouge dans
son défi aux USA et à l’Europe, en choisissant l’Irak et la Syrie comme
trajets de transport d’une partie de son gaz.
Ainsi, le meilleur espoir de Nabucco demeure dans
l’approvisionnement en gaz d’Azerbaïdjan et le gisement Shah Deniz,
devenu presque la seule source d’approvisionnement d’un projet qui
semble avoir échoué avant même d’avoir débuté. C’est ce que révèle
l’accélération des signatures de contrats passés par Moscou pour le
rachat de sources initialement destinées à Nabucco, d’une part,
et les difficultés rencontrées pour imposer des changements
géopolitiques en Iran, en Syrie et au Liban d’autre part. Ceci au moment
où la Turquie s’empresse de réclamer sa part du projet Nabucco,
soit par la signature d’un contrat avec l’Azerbaïdjan pour l’achat de 6
milliards de mètres cubes de gaz en 2017, soit par l’annexion de la
Syrie et du Liban avec l’espoir de faire obstacle au transit du pétrole
iranien ou de recevoir une part de la richesse gazière libano-syrienne.
Apparemment une place dans le nouvel ordre mondial, celui du gaz ou
d’autre chose, passe par rendre un certain nombre de service, allant de
l’appui militaire jusqu’à l’hébergement du dispositif stratégique de
bouclier antimissiles.
Ce qui constitue peut-être la principale menace pour Nabucco,
c’est la tentative russe de le faire échouer en négociant des contrats
plus avantageux que les siens en faveur de Gazprom pour North Stream et South Stream ;
ce qui invaliderait les efforts des États-Unis et de l’Europe,
diminuerait leur influence, et bousculerait leur politique énergétique
en Iran et/ou en Méditerranée. En outre, Gazprom pourrait devenir l’un
des investisseurs ou exploitants majeurs des nouveaux gisements de gaz
en Syrie ou au Liban. Ce n’est pas par hasard que le 16 août 2011, le
ministère syrien du Pétrole à annoncé la découverte d’un puits de gaz à
Qara, près de Homs. Sa capacité de production serait de 400 000 mètres
cubes par jour (146 millions de mètres cubes par an), sans même parler
du gaz présent dans la Méditerranée.
Les projets Nord Stream et South Stream ont donc réduit
l’influence politique étasunienne, qui semble désormais à la traîne.
Les signes d’hostilité entre les États d’Europe centrale et la Russie se
sont atténués ; mais la Pologne et les États-Unis ne semblent pas
disposés à renoncer. En effet, fin octobre 2011, ils ont annoncé le
changement de leur politique énergétique suite à la découverte de
gisements de charbon européens qui devraient diminuer la dépendance
vis-à-vis de la Russie et du Proche-Orient. Cela semble être un objectif
ambitieux mais à long terme, en raison des nombreuses procédures
nécessaires avant commercialisation ; ce charbon correspondant à des
roches sédimentaires trouvées à des milliers de mètres sous terre et
nécessitant des techniques de fracturation hydraulique sous haute
pression pour libérer le gaz, sans compter les risques environnementaux.
Participation de la Chine
- L’Organisation
de coopération de Shanghai, qui regroupe la Russie, la Chine, le
Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.
La coopération sino-russe dans le domaine énergétique est le moteur
du partenariat stratégique entre les deux géants. Il s’agit, selon les
experts, de la « base » de leur double véto réitéré en faveur de la
Syrie.
Cette coopération ne concerne pas seulement l’approvisionnement de la
Chine à des conditions préférentielles. La Chine est amenée à
s’impliquer directement dans la distribution du gaz via l’acquisition
d’actifs et d’installations, en plus d’un projet de contrôle conjoint
des réseaux de distribution. Parallèlement, Moscou affiche sa souplesse
concernant le prix du gaz, sous réserve d’être autorisé à accéder au
très profitable marché intérieur chinois. Il a été convenu, par
conséquent, que les experts russes et chinois travailleraient ensemble
dans les domaines suivants : « La coordination des stratégies
énergétiques, la prévision et la prospection, le développement des
marchés, l’efficacité énergétique, et les sources d’énergie alternative ».
D’autres intérêts stratégiques communs concernent les risques
encourus face au projet du « bouclier antimissiles » US. Non seulement
Washington a impliqué le Japon et la Corée du Sud mais, début septembre
2011, l’Inde a aussi été invitée à en devenir partenaire. En
conséquence, les préoccupations des deux pays se croisent au moment où
Washington relance sa stratégie en Asie centrale, c’est-à-dire, sur la
Route de la soie. Cette stratégie est la même que celle lancée par
George Bush (projet de Grande Asie centrale) pour y faire reculer
l’influence de la Russie et de la Chine en collaboration avec la
Turquie, résoudre la situation en Afghanistan d’ici 2014, et imposer la
force militaire de l’OTAN dans toute la région. L’Ouzbékistan a déjà
laissé entendre qu’il pourrait accueillir l’OTAN, et Vladimir Poutine a
estimé que ce qui pourrait déjouer l’intrusion occidentale et empêcher
les USA de porter atteinte à la Russie serait l’expansion de l’espace
Russie-Kazakhtan-Biélorussie en coopération avec Pékin.
Cet aperçu des mécanismes de la lutte internationale actuelle permet
de se faire une idée du processus de formation du nouvel ordre
international, fondé sur la lutte pour la suprématie militaire et dont
la clé de voute est l’énergie, et en premier lieu le gaz.
Le gaz de la Syrie
- La « révolution syrienne » est un paravent médiatique masquant l’intervention militaire occidentale à la conquête du gaz.
Quand Israël a entrepris l’extraction de pétrole et de gaz à partir
de 2009, il était clair que le bassin Méditerranéen était entré dans le
jeu et que, soit la Syrie serait attaquée, soit toute la région
pourrait bénéficier de la paix, puisque le 21ème siècle est supposé être
celui de l’énergie propre.
Selon le Washington Institute for Near East Policy (WINEP, le think
tank de l’AIPAC), le bassin méditerranéen renferme les plus grandes
réserves de gaz et c’est en Syrie qu’il y aurait les plus importantes.
Ce même institut a aussi émis l’hypothèse que la bataille entre la
Turquie et Chypre allait s’intensifier du fait de l’incapacité Turque à
assumer la perte du projet Nabucco (malgré le contrat signé avec Moscou en décembre 2011 pour le transport d’une partie du gaz de South Stream via la Turquie).
La révélation du secret du gaz syrien fait prendre conscience de
l’énormité de l’enjeu à son sujet. Qui contrôle la Syrie pourrait
contrôler le Proche-Orient. Et à partir de la Syrie, porte de l’Asie, il
détiendra « la clé de la Maison Russie », comme l’affirmait la
Tsarine Catherine II, ainsi que celle de la Chine, via la Route de la
soie. Ainsi, il serait en capacité de dominer le monde, car ce siècle
est le Siècle du Gaz.
C’est pour cette raison que les signataires de l’accord de Damas,
permettant au gaz iranien de passer à travers l’Irak et d’accéder à la
Méditerranée, ouvrant un nouvel espace géopolitique et coupant la ligne
de vie de Nabucco, avaient déclaré « La Syrie est la clé de la nouvelle ère ».
Enregistrer un commentaire