Alger le 7 mai 2012.
Par Yahya Bounouar
Dans les quartiers populaires d’Alger, là ou bat le pouls du pays, là
ou éclatent les joies et les colères, les citoyens, jeunes et moins
jeunes vaquent à leurs occupations, en fait, à leurs préoccupations. Du
levé du jour à très tard dans la soirée, les algériens qui vivent en ces
lieux « courent » après un mieux survivre. Pour les jeunes, il s’agit
avant tout de gagner de quoi passer la journée. Une petite « bricole »
pour s’acheter ses cigarettes, boire son café avec les amis. Mohamed,
qui travaille dans une administration, quitte le bureau à 16h. « Avec un
salaire de 14000 dinars, je suis obligé d’aller faire un deuxième petit
boulot. J’aide de 16h à 21h, un parent qui tient un kiosque à sandwich
pour avoir un second salaire. Je suis le seul à travailler dans la
famille.» Autour de lui, ses amis, ses compagnons d’infortune qui
traînent à longueur de journée leur oisiveté. Le voisin de Mohamed,
Lias, ne travaille pas, n’a jamais travaillé. « Le matin, je pose un
étalage sur le trottoir pour vendre des produits, du cosmétique, des
vêtements féminins, des produits alimentaires et quand il n’y a rien, je
vends des cigarettes. Ça ne rapporte pas beaucoup, il faut faire
attention à la police mais au moins j’arrive à gagner de quoi meubler la
vie. » C’est ainsi pour tous les autres. Sur la vingtaine de jeunes,
seul Mohamed travaille, « un coup de chance, et un petit piston. Il n’y a
pas de travail pour nous, seulement la débrouille, les combines et
souvent des petits passages en prison.» « la situation s’est durcit »,
raconte Lias, « depuis plusieurs mois, les jeunes sont emprisonnés pour
un rien. Un mot de travers à un policier, un joint trouvé dans la poche
du blouson et c’est la prison, même pour ceux qui n’ont aucun antécédent
judiciaire. Tous les jeunes ou presque ont un casier judiciaire salit.
On comprend maintenant pourquoi le pouvoir construit des prisons un peu
partout. A leurs yeux, nous sommes des voyous, des « arrayas ». « On a
l’impression qu’on gène, que s’ils pouvaient se débarrasser de nous
définitivement, ils le feraient sans hésiter. » De Bab El Oued etla
Casbahà El Harrach et Badjarah, de Ain Naadja à Belouizdad à Oued
Ouchayah et Baraki, de Bordj El Kiffan et Ain Taya, à la vaste plaine
dela Mitidja, une autre Algérie, jeune, sans espoir, survit au jour le
jour. Aucune usine aux alentours pour donner du travail en dépit des
centaines de milliards de dollars, aucun réseau de petites et moyennes
entreprises pour embaucher cette jeunesse en désarroi. La seule
solution, « c’est la harga », reprennent en chœur, tous les jeunes. «
Un conteneur, une barque, une chaloupe, un vrai ou faux visa, qu’importe
le moyen, l’essentiel est de partir. » Partir pour espérer, seulement
espérer, tant leur pays n’offre que le désespoir.
Quand on évoque les élections du 10 mai, c’est le brouhaha immédiat.
« Voter, pourquoi voter ? Je n’ai jamais voté dit Mohamed et ça n’a
jamais gêné personne, alors pourquoi cette fois veulent –ils absolument
nous faire voter ? Qu’ils continuent à voler nos richesses mais qu’ils
ne viennent pas nous demander en plus notre bénédiction. De toute façon,
ici personne n’a de carte d’électeur et personne ne votera. Tout au
plus, les candidats et leurs familles». Comme une traînée de poudre, «
Manvotich » s’est répandu à travers tout Alger. On ne sait comment, ni
qui l’a lancé, mais c’est devenu le Mot de ralliement de cette ceinture
surpeuplé. « Dans notre quartier », poursuit Mohamed, il n’y aura pas
plus de 3 ou 4% et c’est pareil partout. »
Yahia Bounouar
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