L’Agence Internationale de l’Energie Atomique n’a pas besoin de
faire de grands efforts pour contrôler l’activité de l’Algérie dans le
domaine du nucléaire. La CIA n’a pas non plus besoin d’envoyer ses Rambo
surveiller ce qui se passe dans les centres nucléaires de Draria et
Birine, ni au Commissariat à l’Energie atomique. Un schéma iranien est
donc exclu en Algérie, parce qu’ici, tout est public, tout est dans la
rue. Des dossiers les plus anodins, comme le statut des gardes
communaux, aux plus complexes, comme la maitrise de la technologie
nucléaire. Il suffit de suivre les manifestants pour tout savoir, et se
rendre compte que les physiciens algériens parlent de statut, de point
indiciaire et de liberté syndicale plus que d’atome, de recherche ou
d’innovation.
Et quand les meilleurs spécialistes algériens
du nucléaire, ou ceux supposés tels, descendent dans la rue, ce n’est
pas pour manifester pour ou contre le nucléaire civil ou militaire, ni
pour vanter les mérites respectifs de l’énergie nucléaire et solaire, ni
pour défendre le droit de l’Algérie à accéder à cette technologie. Ils
manifestent pour protester contre ce qu’ils appellent la
marginalisation, contre le mépris de la tutelle, et demandent une
révision des points indiciaires et des primes.
Une de leurs
dernières actions de protestation a été organisée à une centaine de
mètres du Ministère de la défense ! Le 25 avril, les chercheurs se sont
mêlés aux employés pour appeler le Commissariat à l’Energie atomique à
prendre en compte leurs recommandations. Ils se sont également plaints
du silence du Ministère de l’Energie, supposé être leur tutelle, un
ministère qui observe un mutisme total malgré les grèves à répétition.
La lecture d’un des communiqués les plus récents des protestataires
montre qu’ils ont beaucoup progressé dans la rédaction de plateformes de
revendications, à défaut de progrès dans la maitrise de l’atome. Ils
demandent en effet « l'ouverture des canaux de dialogue » en vue de les
« rétablir dans leurs droits et bannir, à jamais, une situation plus que
préjudiciable » pour l’Algérie. Les problèmes auxquels ils sont
confrontés doivent être résolus « d’une manière structurelle et
institutionnelle », affirment-ils.
Un autre mouvement de
protestation avait été organisé le 11 avril, et un autre encore en
janvier. Toujours sans résultat autre que celui d’amener un personnel
supposé ultra-spécialisé, ultra-protégé, à manifester dans la rue, à
manier des banderoles, sous le regard moqueur des passants et sous la
surveillance impavide des bureaucrates.
On imaginait le
Commissariat à l’Energie Atomique impliqué dans des opérations de haut
vol, devant mener l’Algérie à remplacer progressivement l’énergie
fossile par l’énergie nucléaire, et maitriser progressivement ces
techniques, avec toutes leurs retombées technologiques et financières.
On imaginait ces chercheurs, peut-être sous l’effet du modèle iranien,
travailler pour donner à l’Algérie une certaine autonomie dans un
domaine dont les grandes puissances refusent désormais l’accès aux pays
du sud, et particulièrement aux pays arabes et musulmans. On les
imaginait penchés sur des machines sophistiquées ou enfermés dans des
labos ultrasecrets. On les retrouve usés avant l’âge, englués dans une
anarchie telle qu’ils sont contraints de multiplier les actes de
protestation pour survivre. Le procès intenté par le Commissariat à
l’Energie Atomique aux syndicats du secteur absorbe plus d’énergie que
celle découverte par les chercheurs. Et quand l’administration licencie
un chercheur qui a protesté, celui-ci est nommé inspecteur à l’Agence
Internationale de l’Energie Atomique !
Comment en est-on
arrivé là ? Comment en est-on arrivé à cette situation où l’Algérie se
désarme elle-même, dans un domaine aussi sensible ? Comment fait-on pour
qu’il soit possible d’aller dans la rue établir la liste des physiciens
du nucléaire algérien, alors qu’ailleurs, en Iran, en Israël, au
Pakistan, des agences de renseignements de l’envergure de la CIA et du
Mossad travaillent pendant des années pour trouver les noms de quelques
personnes faisant partie du réseau nucléaire ?
Il serait
facile de céder à la thèse du complot et de la manipulation, pour dire
que ce qui se passe relèverait d’une machination menée par un quelconque
pouvoir inféodé à l’étranger, ou qu’une main étrangère aurait réussi à
faire imploser l’Algérie pour l’amener à s’autodétruire. Ces
explications sont trop faciles. Elles disculpent, en fait, les vrais
coupables, car elles insinueraient que ce qui se passe ne relèverait pas
de la faute des pauvres Algériens, confrontés à un complot qui les
dépasserait. Ils n’auraient ni les moyens, ni l’énergie, pour affronter
un monstre qui aurait décidé de les détruire.
Non. Cette
explication ne peut suffire. Par contre, il y en a une autre, qu’il
faudra affronter, tôt ou tard : l’Algérie, avec son pouvoir, ne se rend
même pas compte de sa propre déliquescence. Le pays s’est laissé
glisser, abandonnant certains domaines par paliers, cédant du terrain
sur certaines exigences, allant de dérive en dérive, pour arriver à une
situation telle qu’il ne se rend même plus compte de ce qu’il fait et où
il en est. Obnubilé par sa survie, le pouvoir se bat pour maitriser des
partis qu’il a lui-même crées au lieu de se battre pour le savoir. Il
dépense une énergie incroyable pour construire une fausse démocratie,
alors qu’il serait si simple d’accompagner la société dans l’édification
d’une vraie démocratie, qui aurait le culte de la science et de la
recherche.
Qu’ils en soient la face visible ou qu’ils
détiennent un vrai pouvoir, Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia,
Abdelaziz Belkhadem et tous les autres portent la responsabilité de
cette dérive. Et ces dirigeants, qui passent leur temps à nous parler de
patriotisme, à nous rappeler ce qu’ils ont fait pour préserver
l’Algérie, gèrent un pays qui méprise ses hommes de science et les
poussent à battre le pavé alors qu’il devrait leur assurer une
protection meilleure que celles des plus grands dirigeants!
On peut encore voter pour ces dirigeants le 10 mai prochain. On aura
alors un autre résultat dans cinq ans : on retrouvera les spécialistes
algériens du nucléaire faisant la chaine devant les ambassades
étrangères pour vendre les documents relatifs à leur travail. Cela
n’offusquera plus personne.
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