ELWATAN-ALHABIB
dimanche 1 avril 2012
 
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 La Sécurité Militaire au coeur du pouvoir 
Quarante ans de répression impunie en Algérie ,1962-2001


Partie(II)
 Par Salah Eddine Sidhoum


Louiza Hanoune, militante trotskiste de l’Organisation socialiste des travailleurs (OST) est arrêtée à son domicile. Elle raconte son arrestation (12 )
(…) J’ai été arrêtée sans mandat d’amener le 18 décembre 1983 à 23 heures à Annaba, chez ma mère où j’étais allée passer les fêtes du Mouloud (fête qui célèbre dans les pays musulmans la naissance du prophète Mohamed). La première nuit, j’ai été interrogée par deux inspecteurs femmes, qui sont restées la nuit avec moi en cellule. Elles étaient chargées de me sonder. Le lendemain matin, j’ai été conduite à l’aéroport, menottes aux poignets, et j’ai été transférée à Alger, au commissariat du boulevard Amirouche.
Là, j’ai retrouvé d’autres militantes de notre organisation, qui m’apprendront que nous étions quatorze à avoir été arrêtés. Comme il y avait beaucoup de couples au commissariat, ils avaient décidé de garder les maris et de relâcher leurs femmes, à l’exception de Lila Benallègue, parce qu’elle était veuve, et de moi-même parce que j’étais célibataire. Ils nous garderont tous quinze jours, interrogés jour et nuit. Pendant ce temps, pour nous faire peur, les policiers organisaient dans d’autres cellules des simulacres de tortures sur les hommes de mon parti qui avaient été arrêtés en même temps que nous. Nous n’apprendrons que plus tard qu’ils n’avaient pas été torturés. Certaines d’entre nous ont été battues et humiliées. La seule fois que l’on m’a reproché de faire de la politique au lieu de faire des enfants, c’est bien dans ce commissariat. Tous nos appartements avaient été perquisitionnés en dehors de toute légalité et fouillés de fond en comble. Suite à une grève de la faim et de la soif de cinq jours, nous avons enfin été amenées devant un juge d’instruction, et ce n’est qu’à partir de là que nous avons légalement été arrêtées. C’est à ce moment que ma famille réussira à savoir ce que j’étais devenue. Avec Lila, nous avons été transférées à la prison de femmes d’El Harrach, et c’est là que nous avons retrouvé Fettouma Ouzegane, au quartier des politiques.
Nos arrestations avaient été rendues publiques, grâce à la mobilisation de militants à Alger et à une campagne internationale pour notre libération qui a immédiatement été déclenchée, notamment en France. Un comité s’était constitué avec des militants de mon parti et des personnalités françaises ou algériennes, comme l’historien Mohamed Harbi, pour la libération de tous les prisonniers politiques. Pour se débarrasser de cette campagne, le régime va nous proposer par le biais de nos avocats, qui s’étaient constitués spontanément en collectif – ils étaient treize – un marché : si nous acceptions d’être considérés comme des prisonniers de droit commun pour atteinte à l’ordre public, nous serions condamnés en correctionnelle aux trois mois couvrant notre détention et nous serions libérés. Nous, militants et militantes de l’OST, nous avons refusé et exigé le statut de prisonnier politique. Nous avons alors été transférés, les femmes à Médéa et les hommes à Berrouaghia, où se trouvaient déjà d’autres militants politiques (…)
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Année 1985.
Rebaïne Ali-Fewzi est fils de martyr. En 1985 et avec d’autres enfants de Martyrs, il crée une association de fils et de filles de chahid dénommée « AADH 54 « . Une demande d’agrément est déposée le 2 février 1985 à la wilaya d’Alger. Le 5 juillet de la même année, jour anniversaire de l’indépendance nationale, des enfants de martyrs décident de déposer des gerbes de fleurs sur les tombes de leurs parents tombés au champ d’honneur, en dehors des cérémonies officielles. Près de 200 personnes sont arrêtées dont quatre veuves de chahid. Parmi ces victimes de la répression, figure M. Rebaïne qui est inculpé avec d’autres pour atteinte à l’autorité de l’Etat, confection et distribution de tracts, constitution d’associations illégales et attroupement non armé ! ! ! ! ! ! Il sera condamné par le tribunal d’exception (dite Cour de sûreté de l’Etat) de Médéa à 3 ans de prison ferme et 5000 DA d’amende. (13) Audition de Rebaïne Ali-Fewzi devant la Cour de sûreté de l’Etat de Médéa le 15 décembre 1985. (Extraits).
Aujourd’hui, je suis heureux d’être devant la Cour de Sûreté de l’Etat parce que, pour la première fois depuis 23 ans, je peux parler.
Arrêté en 1983 par la Sécurité Militaire, je fus enlevé de mon domicile par des agents de la SM. On me conduisit à Bouzaréah muni d’une cagoule sur la tête, menottes aux poignets derrière le dos. Arrivé dans les locaux, on m’enleva la cagoule, j’étais dans une pièce noire. On me fit traverser un labyrinthe de miroirs d’où j’aboutis dans une autre pièce où deux individus m’ont réceptionné. Ils m’ont enlevé mes vêtements, j’étais nu. On m’enveloppa dans une combinaison et on m’enferma dans un cachot qui portait le n° 16. La pièce faisait environ un mètre sur deux. Il y avait un lit incliné à 45° environ, de telle sorte que le détenu ne pouvait s ‘allonger dessus sans basculer à terre. Je pensais que les pieds du lit étaient cassés. Après vérification, j’en conclus qu’il a été conçu à cet effet. J’ai passé environ un mois à Bouzaréah. Le minimum de décence humaine n’était pas respecté, les humiliations étaient quotidiennes. J’allais faire mes besoins au pas de course, parfois, on ne nous laissait même pas le temps de finir. Je mangeais sous les injures de mes gardiens. Le soir, il était strictement interdit d’appeler les gardiens pour les besoins les plus élémentaires : j’avais une bouteille en plastique, quand j’avais soif, il fallait attendre le lendemain. Je me souviens de mes diarrhées et de mon ulcère qui me faisait mal. Le cachot ne contenait aucune aération, j’étouffais à l’intérieur. Les interrogatoires se faisaient en présence de sept ou huit officiers de la Sécurité militaire qui m’entouraient. Je ne voyais pas d’où venaient les coups, mais je les sentais sur ma chair, c’était à qui me donnerait des coups de pieds, des coups de poings, des coups de bâton, des coups de tuyau. C’était des séances quotidiennes. Cet enfer a duré du 23 septembre au 29 octobre 1983. Un jour sur deux, on me tenait éveillé toute la nuit jusqu’à l’arrivée des officiers de la Sécurité Militaire et l’interrogatoire reprenait jusqu’au soir.
Quand je restais éveillé, c’était dans une pièce, nu. J’étais assis sur une chaise au milieu de la pièce et deux militaires me surveillaient. Il était interdit que je parle ou que je dorme. Ils se relayaient environ toutes des deux heures. Vers la fin de mon séjour, on m’a présenté une attestation sur l’honneur de bons traitements que je devais signer.
Le 5 juillet 1985, ces mêmes tortionnaires m’ont fait un interrogatoire continu de quatre jours. Ils m’ont d’abord isolé de mes camarades pendant toute cette période que j’ai passée au commissariat central d’Alger. On m’a menacé de me refaire en mieux ce que j’avais subi en 1983 à Bouzaréah et que, de toute manière, je finirai par signer comme je l’ai fait auparavant dans leurs locaux. Ils m’ont menacé de prendre les membres de ma famille à Bouzaréah, comme ils l’avaient déjà fait en 1983 : ma sœur et mes deux cousins. On me mit sous la main un PV de police que l’on me fit signer.
Ma participation à la constitution de l’association  » AAHD 54  » des fils de Martyrs de la wilaya d’Alger fut la raison principale de leur acharnement et mon arrestation le 5 juillet 1985 était due à la légèreté avec laquelle j’ai pris la clémence de l’Etat pour de la faiblesse. Car, pour l’Etat, j’étais en « liberté provisoire « .
Ma participation à cette association est dans le prolongement de la défense de la mémoire des Martyrs et des principes fondamentaux pour lesquels ils se sont sacrifiés, qui tout au long de ces vingt-trois années ont été trahis et bafoués.
On a assassiné au nom des Martyrs (Krim Belkacem et Khider).
On a torturé au nom des Martyrs et, si on se construit une maison, c’est aussi au nom des Martyrs. (…..)
(….) Aujourd’hui, nous avons décidé de nous prendre en charge car on a versé trop de mensonges et de mépris sur nous et sur nos mères dont on a sali la dignité. Nous sommes devenus une marchandise que le pouvoir consomme pour soigner son image de marque : tel jour à la télévision, c’est la distribution aux veuves d’une maison, tel autre jour, c’est le journal pour la distribution d’une licence de taxi. Nous sommes devenus des quémandeurs.
Où sont nos droits ?
Pour cela, nous avons décidé de prendre la parole et de recentrer la vérité et nous le disons tout haut. Tous les principes de Novembre ont été trahis sans exception aucune.
Dès lors, on nous traite d’éléments subversifs visant à renverser le régime, des faiseurs de coups d’Etats. Or, ces faiseurs de coups d’Etat sont connus : les Boumediène en 1965 et les Zbiri en 1967. Ils les ont faits avec les chars et les canons, pas avec une gerbe de fleurs.
De plus, c’est notre droit le plus absolu de vouloir commémorer la mémoire de nos pères, un 5 juillet, comme cela est un droit pour n’importe quel Algérien, sans distinction aucune.
D’autres associations se sont créées récemment avec la bénédiction de l’Etat. Alors, de quoi a peur le Pouvoir ? Des associations ou des enfants de Martyrs ?
Que l’on nous dise ouvertement, officiellement, que nous vivons dans un Etat dirigé par les services de police et de répression : il n’y a nulle honte à l’avouer, d’autres pays l’ont fait. Et que l’on nous divise en deux franges, celle qui accepte cet état de faits et qui pourra vivre « normalement  » et celle qui ne l’accepte pas : qu’elle soit dirigée directement vers les prisons ! C’est plus clair, c’est plus simple et l’on gagnera un temps précieux et on évitera la confection de dossiers pour la Cour de Sûreté de l’Etat.
Je n’ai pas peur de vos tortures ni de vos prisons. Si c’est le prix qu’il faut payer pour pouvoir penser, parler, s’associer librement, alors je le paierai. Nous le paierons sans ciller. Nos pères l’ont déjà fait.
Je suis né homme libre dans le sens plein du terme. Je le resterai.
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Année 1987.
Dans une lettre-témoignage adressée le 7 mars 1987 au ministre de la « justice « , un prisonnier d’opinion, Arezki Aït Larbi, jeune étudiant en médecine et militant du mouvement culturel amazigh, décrit les conditions inhumaines de détention dans l’ » Alcatraz sous-développé  » qu’est le bagne de Lambèse (Batna). Extraits de la lettre-témoignage. (14)
(…) Les faits sont têtus, les discours ne peuvent occulter indéfiniment la triste réalité d’un établissement voué à la destruction physique et morale de tous ceux qui refusent d’abdiquer leur citoyenneté.
Que diriez-vous des centaines de détenus qui avaient passé l’hiver 85-86 avec 3 couvertures pour toute literie, sans paillasse ni chauffage ?  » Nous n’avons pas les moyens !  » dira la direction de Lambèse. Ceci ne l’empêchera pas de procéder à la distribution de couvertures neuves à tous les détenus, à la veille de votre visite (reportée semble-t-il). Pour les décors de la mise en scène télévisée.
Que diriez-vous d’un parloir où les détenus s’entassent à plusieurs dizaines, séparés de leurs familles par un double grillage, entre lesquels circulent des gardiens qui ne se gênent pas pour s’immiscer de façon grossière, dans des tentatives de discussions strictement familiales ? (…)
Que diriez-vous de ces « gestionnaires » habitués à faire leur marché hebdomadaires dans les paniers ramenés par les familles de détenus ?Au mépris de toute réglementation, certaines denrées sont « saisies » en fonction des pénuries sur le marché (…)
Que diriez-vous de la main d’œuvre pénitentiaire utilisée dans des intérêts privés ? De somptueuses villas ont été construites par la sueur de prisonniers, sans aucune contre-partie. D’autres prisonniers sont employés comme domestiques dans les foyers de certains responsables.
Que pensez-vous de l’interdiction de l’usage de la langue berbère au parloir ? Pour avoir refusé de nous soumettre à cette nouvelle manifestation de haine et d’ostracisme, nos familles avaient été refoulées à deux reprises, en janvier 86, sans nous avoir vus. (…)
Que Diriez-vous de ce médecin de la prison (le Dr Lounés) qui ne se présente qu’une fois par semaine pour « examiner  » plus de 150 malades en moins de deux heures ? Que diriez-vous de médicaments périmés depuis longtemps, qu’on n’hésite pas à administrer aux malades, quand ils ont la chance d’accéder aux soins ?
A la vue des traces, encore visibles sur mon dos des sévices auxquels j’avais été soumis dès mon arrivée, le Dr Lounés me conseillera d’obéir à mes gardiens, pour éviter à l’avenir, pareille mésaventure, et refusera de me délivrer le certificat que je sollicitai. Pour avoir protesté contre ces pratiques contraires à la déontologie et à l’éthique médicales, on me prescrivit 5 jours de cachot de condamné à mort, tout nu, en janvier 86, avec un morceau de pain rassis et ½ litre d’eau par 24 heures, pour tout repas (…)
(…) Que diriez-vous du détenu Haroun Mohamed (condamné à perpétuité par la Cour de Sûreté de l’Etat en 1976) qui avait eu à subir toutes sortes d’humiliations et de traitements inhumains pour avoir, semble-t-il, fait parvenir une lettre à la presse internationale dans laquelle il aurait relaté ses conditions de détention ? Son dernier cauchemar a été un isolement total dans un cachot, durant 15 mois. Il en sortira malade mental en septembre 86.
Devant mes protestations pour une nécessaire prise en charge médicale et psychiatrique, on me répondra cyniquement dans un grognement :  » C’est ce qui arrive aux « têtes fortes » qui se mêlent de ce qui les regarde pas! Avis aux amateurs ! Car à Lambèse, ceux qui refusent de plier, on les brise « .
Que diriez-vous de ces malades qu’on laisse mourir la nuit, dans leur cellule, faute de soins ?C’est tout naturellement qu’un sergent, attiré par les cris d’un agonisant, lui conseillera « de ne pas oublier la chahada, pour mourir musulman ! « . Le lendemain matin, il était « musulman « . C’est-à-dire mort.
Devant mes protestations, on me répondra cyniquement que « c’est là le seul moyen de distinguer un vrai malade d’un simulateur ! ! « . Un autre  » simulateur, Boudellal Bouziane, diabétique pourtant connu, devait succomber dans l’indifférence générale, à la suite d’un coma hypoglycémique, sans avoir reçu le moindre soin.
Que diriez-vous de ces détenus qui ont dû succomber à leurs sévices ? Combien de véritables assassinats ont été déguisés en  » mort naturelle  » ou en  » suicide  » ? Il ne s’agit là que d’une rumeur insistante colportée par les prisonniers et confirmée par certains gardiens. Je n’ai malheureusement aucune preuve pour m’avancer là-dessus avec certitude.
Que diriez-vous de ce détenu – Aïssaoui Brahim – amputé des 2 pieds à la suite d’une gangrène consécutive à un long séjour dans un cachot humide, tout nu en février 86 ? (…)
Que diriez-vous d’un autre jeune détenu – Boudine Ahmed – démuni d’une partie de la boite crânienne, le cuir chevelu reposant directement sur les méninges, à la suite d’un coup de barre de fer asséné par un gardien du sinistre « comité d’accueil « . Comme son nom ne l’indique pas, le « comité d’accueil  » est le groupe de gardiens chargés de recevoir les prisonniers à leur arrivée, à coups de barre de fer et de tuyaux pour leur donner un avant-goût de ce que sera leur détention (…)
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Année 1987.
Assassinat d’Ali Mécili, avocat, militant des droits de l’homme et opposant au régime d’Alger. Il venait de réconcilier les deux « frères-ennemis « , Aït Ahmed et Ben Bella autour d’une plate-forme des libertés démocratiques en Algérie. Témoignage de Hocine Aït Ahmed. Extraits. (15)
A 22h 35, ce 7 avril 1987, le haut du boulevard Saint-Michel est presque désert. Ali Mécili actionne la commande de l’ouverture électronique de son immeuble et pénètre dans le hall, à deux cent mètres du jardin du Luxembourg. Immédiatement, un homme tenant un parapluie pliable noir à la main, fait irruption et lui emboîte le pas. Un choc, comme l’écho lointain d’une bagarre, puis des bruits de verre cassé. Porte-parole de l’opposition algérienne, Ali Mécili vient d’être abattu de trois balles de 7,65 en pleine tête.
Attirée par le fracas, C. revient sur ses pas. Elle avait raccompagné Ali jusqu’à sa porte et s’apprêtait à prendre son autobus. Sourire aux lèvres, l’homme au parapluie sort tranquillement de l’immeuble. Le temps de se dévisager mutuellement et il descend calmement, à pied, le boulevard Saint-Michel. C. se précipite à la vitre de la porte de l’immeuble : Ali gît dans une mare de sang, au milieu des débris de verre qui jonchent le sol à grand damier noir et blanc du hall. Déjà, Mme Puig, la concierge, qui habite juste au fond du couloir, appelle police secours par téléphone. (…).
(…) Arrêté le 10 juin par la brigade criminelle, un proxénète algérien, Abdelmalek Amellou, chargé par les services de sécurité algériens d’abattre Ali Mécili moyennant un contrat de 800 000 francs a été…. réexpédié à Alger dès la fin de sa garde à vue quatre jours plus tard ! Et l’auteur du « scoop « , Jean-Marie Pontaut, de fournir moult détails. C’est un « renseignement confidentiel et anonyme  » qui a amené les inspecteurs de la Criminelle à s’intéresser à ce petit truand. L’interpellation du suspect, dont les « liens avec la Sécurité militaire algérienne ont été formellement établis « , s’est faite dans « le plus grand secret « , poursuit le journaliste spécialisé dans les affaires de police et de terrorisme. Les raisons pour lesquelles Robert Pandraud a expulsé Amellou ? Il fallait se « débarrasser d’un personnage encombrant et éviter du même coup une crise majeure avec l’Algérie. (…)
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Année 1988.
Octobre. Arrestation par la sécurité militaire de Rabha Attaf, journaliste à Politis, qui couvrait les émeutes d’octobre. Extraits de son témoignage. (16)
C’était en pleine manifestation, le 8 octobre à Alger. On m’a arrêtée une première fois à l’entrée du quartier Belcourt. J’ai passée la nuit avec des soldats rongés par le doute alors que leurs copains tiraient. On m’a mise en résidence surveillée mais j’ai fait des fugues et c’est le jeudi 13 octobre que tout s’est aggravé.
Vers 10 heures, deux civils m’interpellent dans la rue et me demandent de les suivre. Ils m’encadrent et me font monter dans une 4L blanche. Le chauffeur démarre aussitôt. On fait le tour d’Alger. Je leur demande où ils m’emmènent. Réponse ; au ministère de l’Information. Mais je m’aperçois qu’ils n’en prennent pas du tout le chemin. Au niveau d’El Biar, on me rabat sur la banquette. Ma tête atterrit sur les genoux de mon voisin qui me la recouvre avec mon blouson noir. Je dis :  » Eh merde ! « . On roule. Parfois la voiture s’arrête puis repart. Mon coeur bat à cent à l’heure. Je suis prise au piège.
Quand la voiture s’immobilise définitivement, on me passe une cagoule noire sur la tête. On me prend par le bras. On me dit :  » Attention, il y a des escaliers ! « . La descente n’est pas longue mais j’ai l’horrible impression de descendre sous terre.
Je suis surprise d’arriver dans un bureau où on me retire la cagoule. Les murs sont nus et sales. Pour tout mobilier, un bureau et quelques chaises bancales. On me retire mes affaires : mes bijoux, ma montre, mon bracelet, mes boucles d’oreilles, mon sac.
On me laisse seule pour retirer mes habits et enfiler un bleu de travail dans lequel je nage. Je passe ensuite dans une autre pièce pour la photo : de face, de profil, avec une plaque devant moi sur laquelle sont inscrits mon nom et mon prénom. Je demande des explications et on me répond que je vais être déférée devant un juge.
Dans ma tête je pense « tribunal militaire « .
 » Pourquoi ? « .
Pas de réponse. J’ai des doutes sur l’endroit où je me trouve. Ce n’est pas un commissariat car ils sont tous en civil.
Quelqu’un me demande de le suivre. Je traverse un couloir où s’alignent des portes en fer numérotées. Au milieu, une lourde porte blindée qu’il ouvre avec une clé. Je monte un escalier éclairé par la lumière du jour. Arrivés en haut, on stoppe devant une autre porte blindée qu’il ouvre comme la première.
On me fait asseoir et on me laisse seule. Les volets sont fermés. Comme dans le premier bureau, la pièce comporte pour tout mobilier une table et des chaises, ainsi qu’une armoire en fer. Je remarque cependant la porte marron capitonnée, qui s’ouvre pour laisser passer un homme d’une quarantaine d’années, de taille moyenne qui s’assied en face de moi.
L’interrogatoire commence à partir de mes notes, confisquées depuis le samedi et qui ont été dépouillées.
- Qui vous a dit que les chars sont dans les rues d’Alger, ça veut dire que le pouvoir est coupé de la population ?
- Quelqu’un dans la rue.
- Qui précisément ?
- Quelqu’un que j’ai croisé et don’t je n’ai pas relevé le nom.
- Pour quel journal travaillez-vous ?
- Politis.
- Le nom du rédacteur en chef ?
- Jean-Paul Besset.
- Quels rapports avez-vous avec lui ?
- Des rapports de travail.
- Vous vous foutez de moi ou quoi ? Nous avons capté un message radio émis par les Frères musulmans qui vous recherchent parce que vous travaillez avec les juifs.
Je reste sans voix. Il délire ou quoi ? J’ai le pressentiment qu’on me monte une cabale.
Un autre membre de la sécurité militaire prend la relève. Il est plus jeune et plus détendu.
Il me pose des questions sur mon itinéraire, depuis mon arrivée à Alger. Le premier revient, toujours avec mes notes. Il me pose des questions sur celles qui sont entre guillemets. Il indique soudain un passage que j’avais encadré.
- Qui est Ali La Pointe ?
- Je ne l’ai pas trouvé.
- Vous vous rendez compte de ce que ça veut dire ? Vous êtes anti-algérienne !
- Je n’ai rien écrit de plus que ce qui est publié à Paris. Le monde entier est au courant de ce qui s’est passé à Alger.
- Quand ce sont des étrangers qui l’écrivent on s’en fout mais quand ce sont des nationaux, c’est grave.
Cet interrogatoire, égrené systématiquement des mêmes questions, se répétera pendant des heures. On me cuisine sur Mohamed Benyahia, un « opposant  » que j’ai interviewé au sujet de son livre La conjuration au pouvoir, dans lequel il révèle certains aspects sombres de l’histoire algérienne.
On me demande si je me souviens de sa voix. Puis on me fait entendre des bandes d’écoutes téléphoniques. Des gens qui appelaient des rédactions étrangères de façon anonyme. Je réponds par la négative.
Vers neuf heures du soir, un homme en costume d’alpaga bleu-pétrole, cravaté, imposant, pénètre dans la pièce. Il s’assied dans le fauteuil d’en face et demande à son collègue d’aller s’asseoir derrière le grand bureau.
 » Nous savons que vous avez un passeport bleu – c’est ainsi qu’ils appellent le passeport français qui, chacun le sait a changé de couleur en devenant européen. Nous savons que vous avez été deux fois en Israël  » lance-t-il d’un ton agressif et accusateur.
Je réponds aussitôt :
 » Je n’ai jamais eu de passeport bleu et je n’ai jamais été en Israël  » tandis que dans ma tête défilent les images de l’Aveu de Costra Gavras.
 » Rafraîchissez votre mémoire. Pour cela on peut vous garder vingt jours ou vingt ans « .
- Gardez-moi !
- Comment êtes-vous entrée à Politis ? Avec qui vous avez couché ?
- Je ne suis pas une putain.
- Qu’avez-vous fait depuis la fin de vos études ?
- J’ai travaillé comme pigiste pour plusieurs rédactions.
- Y a combien de juifs dans votre journal ?
- Je n’en sais rien Je ne me suis jamais posé la question. (…)
(…) Finalement, il me lance :  » Le vrai pouvoir en Algérie c’est nous. En France, on a le champ libre. Quand on veut éliminer quelqu’un, on n’a pas besoin de se salir les mains. Il y a des proxénètes  » ! ! !
Ca me fait penser à l’affaire Mécili, cet opposant algérien qui a été tué à Paris en 1987 sans qu’on ait jamais fini l’enquête en France.
Tout à coup, on me dit que je vais être remise dans le prochain avion. (…)
(…) Vers quatre heures, on m’emmène à l’aéroport et on m’accompagne jusqu’à la salle d’embarquement.
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Année 1988.
Khelout Nourreddine, dit « Ras El Kabous » est un citoyen sans profession, père d’un enfant, demeurant dans une cité populaire de Bab El Oued. Lors des émeutes du 5 octobre, il sera accusé par la police d’avoir pillé des magasins du quartier. Il sera arrêté et sauvagement torturé. Le 26 novembre 1988, je le présentais avec mon confrère. B. Lokmane à la délégation d’Amnesty International. Voici son témoignage. (17)
Deux jours après le discours de Chadli, soit le 12 octobre 1988, des policiers ont fait irruption à mon domicile, à la cité de Bab El Oued, près des Trois Horloges. Ils étaient armés de mitraillettes. Mon épouse et mon fils en bas âge ont eu peur en voyant des hommes armés entrer brutalement à la maison. On me mit les menottes et on me descendit dans la rue, sous le regard des voisins, pour me jeter dans leur véhicule, une 504 familiale.
La voiture se dirigea vers le Commissariat Central d’Alger. En arrivant, un des policiers me prit par le col et me poussa vers l’intérieur du commissariat. Un autre qui suivait, me donna un violent coup de crosse au dos et à l’épaule qui me coupa le souffle. Des coups de poing, de pieds et des insultes commençaient à pleuvoir. A l’intérieur, tout le monde me regardait avec étonnement, comme si j’étais Al Capone.
De suite, les policiers entrèrent dans le vif du sujet. Mes poignets étaient menottés. Ils me passèrent une corde sur tout le corps comme une saucisse. Ils m’accusèrent d’avoir pillé et saccagé des magasins à Bab El Oued. J’ai réfuté toutes ces accusations. Un policier m’envoya alors plusieurs coups de poings à la figure. Du sang coulait de ma bouche. J’ai craché alors plusieurs dents que les coups de poings avaient cassés. Puis ils m’enlevèrent la corde puis m’ôtèrent le pantalon malgré ma résistance. Ils se mirent à plusieurs. Ils s’amusèrent alors à me brûler mon sexe. C’était extrêmement douloureux. Puis ils m’emmenèrent vers une table et ouvrirent le tiroir. L’un des tortionnaires me prit le sexe et l’introduisit dans le tiroir puis referma violemment ce dernier. J’ai poussé un cri suite à la douleur atroce. Je pensais que mon sexe avait été cisaillé. Du sang coulait en abondance. Toutes mes jambes étaient tâchées de sang. De larges plaques rouges se dessinaient sur le sol. Les tortionnaires s’affolèrent en voyant ce sang. Ils commencèrent à se poser des questions puis décidèrent de m’emmener à la clinique des Glycines qui dépendait de la police. On me mit rapidement mon pantalon et on me jeta à nouveau dans la voiture. Je me tordais de douleurs. C’était horrible et atroce.
A la clinique, les médecins se parlaient entre eux. Je ne comprenais pas. Ils avaient l’air d’être dépassés Puis l’un d’eux me dit :  » On va t’envoyer à l’hôpital de Aïn Naâdja, c’est assez grave « . Le sang continuait de couler. Je commençais à avoir des vertiges. Mon coeur battait très fort.
A l’hôpital militaire, on m’examina rapidement. J’entendais les médecins parler d’opération et de bloc opératoire. Un infirmier vint me piquer et remplit plusieurs tubes de sang. Puis on me mit sur un chariot après m’avoir ôté mes vêtements et on me dirigea vers la salle d’opération.
Le lendemain matin, je me suis réveillé sur un lit d’hôpital avec un gros pansement sur mes parties génitales. J’avais toujours mal. Les pansements ont été refaits plusieurs fois. Mon sexe et les testicules étaient très enflés. J’urinais grâce à une sonde. Je suis resté ainsi hospitalisé durant 10 jours.
A ma sortie, je fus transféré au commissariat central dans une salle qui faisait fonction d’infirmerie. Même là et malgré ma faiblesse, je ne fus pas épargné par des policiers qui venaient à mon chevet pour continuer l’interrogatoire. On voulait me faire reconnaître des faits que je n’avais jamais commis. Ils confectionnèrent un procès-verbal et me demandèrent de le signer. J’ai catégoriquement refusé.
Le 3 novembre, en début de soirée, un policier vint me dire de me préparer à sortir. Comme si de rien n’était. On m’arrête arbitrairement, on me torture, on me mutile mon sexe et on m’invite à sortir ! ! J’étais libre, c’était l’essentiel. Il était presque minuit. J’ai fais le trajet à pied, du boulevard Amirouche jusqu’à Bab El Oued, malgré mon état de santé. Je fus accueilli dans mon quartier comme un héros. Les jeunes applaudissaient. Les femmes qui avaient entendu le bruit des jeunes ouvraient les fenêtres et poussaient des youyous stridents.
Dans les jours qui suivirent, j’ai raconté à tout le monde mes malheurs subis au commissariat central. Des amis sont alors partis chercher les journalistes de TF1 qui étaient intéressés par mon cas. Je leur ai tout raconté et montré les plaies occasionnées à mon appareil génital et les ordonnances de l’hôpital.
Quatre jours plus tard, après mon passage à la télévision française qui avait choqué beaucoup de personnes, je fus convoqué au commissariat central. Je fus reçu par le divisionnaire qui m’appela Si Nourreddine. Je n’étais plus le « voyou qui avait pillé et saccagé les magasins « . Sobhane Allah, comme les gens changent ! !
Il me reprocha mon témoignage à TF1 en essayant de me faire une leçon de morale et en me disant que le linge sale se lavait en famille et qu’il ne fallait pas que les étrangers se mêlent de nos affaires. Puis comme pour m’intimider, il me dira qu’il allait me présenter au tribunal. Effectivement, il appela ses subordonnés et leur intima l’ordre de me descendre au tribunal d’Alger. Devant le juge qui m’écoutait, je n’ai pas hésité à enlever mon pantalon et lui montrer les séquelles des tortures horribles que j’avais subies. Je lui ai tout raconté. Il avait l’air gêné. Finalement il m’accorda la liberté provisoire.
Mes malheurs m’ont rendu célèbre. Je fus sollicité par plusieurs chaînes TV étrangères. Je fus invité à un meeting sur la torture organisé à l’Université de Bab Ezzouar où j’ai parlé des atrocités subies. Une seule fois, j’ai refusé de participer. C’était avec un journal qui s’appelle Révolution africaine. Il y avait plusieurs invités. Le journaliste me demanda de ne pas parler de mon cas de torture mais des droits de l’homme en général ! ! ! ! Je me suis levé et je suis sorti.
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Année 1993.
Témoignage et appel à la conscience internationale d’une jeune algérienne (Famille Azizi d’El Harrach). Son père et son frère de 18 ans seront enlevés en 1993 par des policiers du commissariat de Bourouba. Ils seront portés disparus jusqu’à l’année 2000 où à la suite d’une lettre adressée par un officier de police (Rebaï) à Bouteflika et à la presse, on apprendra que M. Azizi Abdelkrim et son fils Abdessemad avaient été exécutés sommairement par l’officier de police qui avait procédé à l’arrestation, un certain O-A. Boualem.(17)
Je vais vous raconter l’histoire du drame d’une famille parmi tant de drames que vit l’Algérie.
Notre drame commença en 1992. Nous avons eu, comme la majorité des enfants de ce peuple, à subir les exactions des forces dites de sécurité.
Le premier drame dans ma famille eut lieu le 14 novembre 1992 à 8 heures. Nous avons été surpris par l’irruption des forces dites de sécurité qui ont encerclé notre domicile puis ont entrepris une fouille minutieuse de toute la maison durant une heure.
Mon père fut menacé d’indiquer où se trouvait mon frère, sinon il serait arrêté. Ils se sont alors dirigés vers le lycée où enseignait mon frère et l’arrêtèrent. Il fut transféré au centre de torture de Châteauneuf où il fut séquestré durant un mois, période durant laquelle il fut affreusement torturé.
Après un mois de séquestration et de tortures, il fut transféré à la prison d’El Harrach où il fut mis en isolement durant 15 jours avant d’être transféré vers la prison de Serkadji.
Après 9 mois de détention préventive dans cette dernière prison, il fut condamné par le tribunal d’Alger à 10 ans de prison. Il fut alors transféré au bagne de Berrouaghia où il demeure à ce jour, à la merci des exactions des gardiens.
Le mercredi 22 septembre 1993, furent arrêtés mon père avec mon autre frère à 1 heure du matin. Nous dormions quand subitement la porte d’entrée de notre domicile fut fracassée par les forces dites de sécurité qui envahirent la maison alors que nous étions dans nos lits. Ces policiers étaient dirigés par un certain Boualem Ould Ammi, du commissariat de Bourouba et un policier surnommé Boumenguoucha, il portait une croix comme boucle d’oreille.
Au moment de l’invasion, mon père dormait dans sa chambre. Il fut réveillé brutalement par les policiers qui firent irruption dans sa chambre. Il fut brutalisé et jeté à terre.
En quelques minutes, la maison se transforma en ruines. Mon frère, mes sœurs et ma mère furent isolés dans une chambre et mon père dans une autre.
Ils prirent mon jeune frère qui n’avait pas encore atteint 18 ans. Ma mère tenta d’intervenir pour dire que c’était un mineur et qu’ils ne devaient pas le prendre. Il lui fut répondu que c’était seulement pour quelque temps, le temps d’une enquête sur certains papiers. Nous le reverrons plus jamais.
Ils ont refermé la porte de la chambre sur nous. Avant cela, j’avais vu des policiers bander les yeux de mon père et le conduire à la salle de bains. Ils prirent des chiffons et des ustensiles dans la cuisine pour les utiliser comme moyen de torture contre mon père. Les policiers prenaient tout ce qui était à leur portée sans gène. Ils mangeaient tout ce qu’ils trouvaient dans la cuisine. L’un d’eux nous dit :  » Vous vivez dans tout ce luxe alors que nous, nous ne possédions rien !  »
Ils ne respectèrent même pas l’âge de mon père qui approchait la soixantaine. Ma mère fut insultée, sans aucun respect pour son âge. Mon père et ma mère avaient perdus leurs pères durant la guerre de libération en martyrs.
Puis un policier vint dans notre chambre. Il prit ma grande sœur pour un interrogatoire. Elle fut interrogée sur nous, mes frères, l’activité de mon père. Ils criaient et se moquaient d’elle. La maison fut envahie de fumée des cigarettes des policiers qui transformèrent la maison en fumoir.
Les policiers se mirent alors à torturer mon père dans la salle de bains. Ils lui pratiquèrent la technique du chiffon puis lui versèrent de la colle forte (Araldite) sur sa barbe et tentèrent de l’arracher. Nous entendions mon père crier de toutes ses forces.
Ma grande sœur ouvrit la porte de la chambre où nous étions isolés et se mis à supplier les policiers d’arrêter le supplice du père mais sans résultats. Elle fut violemment tirée par les cheveux et poussée dans la chambre puis jetée à terre.
Aux environs de 4 heures du matin, les policiers nous avertirent de ne pas ouvrir la porte de la chambre et qu’en cas de refus, ils allaient brûler la maison.
Ils descendirent alors au magasin de mon père, au rez-de-chaussée et raflèrent tout ce qui était à leur portée. Ils prirent les bijoux, l’argent, les produits alimentaires. Même nos papiers personnels furent volés. Nous sommes restés du jour au lendemain sans pièces ni documents d’identité. Puis ils partirent avec mon père et mon frère mineur. Mon père est sorti en pyjama.
Nous étions terrorisées même après leur départ. Nous nous sommes rendues dans la salle de bains. Les murs et le carrelage étaient tâchés du sang de notre père. La porte de l’extérieur était défoncée et fracturée. C’était un spectacle de désolation.
Ma mère est allée le lendemain au commissariat de la Cité La montagne (Bourouba). Elle a retrouvé les mêmes policiers qui avaient envahi durant la nuit la maison. Ils nièrent toute implication dans ce qui s’est passé la nuit chez nous la menaçant :  » Si tu reviens ici, tu verras ce qui t’attendra. Nous ne sommes pas fous d’arrêter un vieux et un enfant ! « . Extraordinaire ! ! Ils niaient les méfaits qui nous ont fait subir durant des heures alors que ma mère les avait formellement reconnus.
Le lendemain très tôt, elle revint au commissariat en insistant pour voir notre père et notre frère. Un des policiers lui dit de revenir à 10 heures. En retournant à 10 heures, comme promis, elle trouva un autre policier qui lui dit ironiquement :  » Celui qui t’a dit de revenir à 10 heures est mort  » ( ? ? ? ! ! !).
Nous avions adressé des lettres à toutes les autorités de ce pays, mais c’était un silence désolant qui nous répondait. Nous avons adressé même une plainte au président de la République. Aucune réponse.
Nos malheurs ne s’arrêtèrent pas là. Notre domicile était sujet régulièrement depuis à des perquisitions à tout moment, de jour comme de nuit, dans l’arbitraire le plus total. Personne ne pouvait et ne devait broncher. A chaque  » visite  » impromptue, les policiers raflaient tout ce qui les intéressait comme bijoux, argents, objets de valeur, aliments. Même nos invités qu’ils trouvaient à la maison étaient soumis à des coups et des injures.
Nous étions terrorisées par ces actes barbares impunis. Nous étions contraints de prendre ce qui nous restait comme effets et partir vers des cieux que nous croyions plus cléments.
Le 6 mai 1994, alors que nous nous dirigions en famille vers la prison de Berrouaghia pour rendre visite à notre frère, nous fumes surpris d’être arrêtés à un barrage à Baba Ali, à la sortie d’Alger. On nous ordonna de descendre de la voiture.
Ma mère, mon jeune frère, mon mari et moi fumes jetés dans un fourgon banalisé de type J5, après nous avoir bandé les yeux. Seul mon très jeune frère âgé à peine de 12 ans échappa à ce kidnapping après maintes supplications de ma mère. On nous conduisit vers une destination inconnue, les yeux bandés et allongés dans le fourgon.
A notre arrivée sur le lieu inconnu, je fus isolé avec ma mère et mon frère dans une pièce et ils emmenèrent mon mari. Au bout de quelques temps j’entendis les cris de mon mari qui était torturé.
Au bout d’une heure, je fus transféré avec ma mère et mon jeune frère dans un bureau où nous fumes interrogés sur notre filiation. Nous étions entourés par de nombreuses personnes. Un seule question revenait :  » Où est le mari de ta sœur « .
Peu de temps après, les individus qui nous ont arrêtés se sont dirigés vers la région de Boumerdès, à Ouled Moussa plus précisément, au domicile de ma sœur. Ils l’arrêtèrent ainsi que son mari et une autre sœur après avoir fouillé la maison et pris de nombreux objets. Mes deux sœurs n’eurent même pas le temps de s’habiller convenablement. Elles mirent un simple Khimar sur leurs chemises de nuit. Elles furent dirigées vers le centre de torture de Châteauneuf.
Nous avons été séquestrés durant 26 jours avant d’être libérés. Nous étions sans papiers d’identité ni domicile. Notre domicile a été fermé par la police. Nous ne pouvions rien faire que de errer.
Nous avions adressé de nouvelles lettres au président de la république, au tribunal, au ministre de la justice, mais en vain. Aucune justice.
Pour l’Amour de Dieu, nous ne voulons rien, ni argent, ni autre chose que la paix et la sécurité.
(…) Même en prison, les détenus sont humiliés et leur dignité rabaissée au plus bas niveau.
(…) En prison, aucun droit élémentaire de survie n’est accordé par les gardiens aux prisonniers politiques. Ils n’ont pas le droit de se plaindre. Toute plainte ou contestation est sévèrement punie par les gardiens. Les prisonniers sont alors déshabillés et sauvagement bastonnés.
Les couffins sont automatiquement « visités  » et toutes les friandises apportées par les familles à leurs enfants sont volées par les gardiens. Même le lait apporté par les familles dans le panier du prisonnier est interdit. Et gare à la plainte ou à la contestation de la victime ! C’est la bastonnade qui l’attend.
Nous n’avons même pas le droit de protester auprès de l’administration pénitentiaire contre ces vols organisés par les gardiens de prison. Car toute protestation de la famille entraînerait automatiquement la « punition  » du prisonnier qui consiste en son isolement dans les sous-sols durant un mois avec privation de parloir, de courrier et de couffin. Nous sommes alors contraints de nous taire et de diriger nos plaintes et nos prières à Dieu pour soulager la situation de nos frères arbitrairement privés de leur liberté.
Où est la justice, Messieurs de la justice ?
Mon frère a été condamné arbitrairement à dix années de prison. Il est privé de liberté et de ses droits civiques durant dix années, enfermé entre quatre murs d’une cellule humide sans lumière. Lui est condamné à l’intérieur de la prison, et nous, à l’extérieur.
Nous avons été témoin hier seulement d’une injustice parmi tant d’autres vécues quotidiennement par nos citoyens. C’est un exemple vivant de l’injustice que nous subissons.
Hier nous sommes allés rendre visite à notre frère détenu à la prison de Berrouaghia. Nous nous sommes déplacés difficilement à la prison malgré nos conditions matérielles déplorables et les conditions de vie et de terreur qui nous ont été imposées pour tenter de nous faire taire, alors que nous vivions auparavant aisément El Hamdou Lillah.
Après un long trajet en taxi, nous sommes arrivées à la prison et nous avions été surprises d’apprendre qu’il était « puni  » et qu’on n’avait pas le droit de le voir. Et il n’y a aucun recours devant cet arbitraire. Nous n’avions pas, dans l’intérêt de notre frère, à nous plaindre. Aucune raison ne nous a été fournie. Ce n’est que difficilement que nous avions pu approcher un officier de la prison qui ne nous a pas appris grand chose en dehors que notre frère a été puni pour un mois et que les raisons de cette « punition  » ne nous regardaient pas ( ! !?). Nous avions été reçues comme des êtres inférieurs, sans dignité par cet officier qui nous regardait d’un air hautain et méprisant.
A notre sortie les gardiens nous dirent qu’il n’était pas permis après cette « punition  » de rendre visite à notre frère pendant un mois et demi (soit 3 visites). De l’arbitraire !
Ce n’est pas la première fois que ces punitions sont infligées à nos frères. Un regard ou un comportement mal interprété par les gardiens, une simple protestation des conditions carcérales, le seul fait de faire la prière à haute voix ou psalmodier le Coran conduisait au cachot durant un mois, totalement déshabillé, dans l’isolement le plus total.
Même le courrier est réglementé. Le prisonnier n’a droit d’écrire à sa famille qu’une fois tous les quinze jours. Il n’a pas le droit de citer dans sa lettre un verset du Coran ou un Hadith du prophète. Il n’a pas le droit d’écrire sur les choses de la vie. Il doit seulement écrire :  » Je vais bien. Au revoir « . Sinon la lettre est saisie et détruite.
Le colis postal de friandises n’est autorisé qu’une fois toutes les trois semaines. Si le colis dépasse quatre kilos, il est automatiquement saisi par les gardiens.
Nous ne voulons rien d’autre comme je vous l’ai dit précédemment. J’apporte seulement ce témoignage à tous ceux qui ignorent ce qui se passe en Algérie. Pour que l’opinion connaisse l’autre versant du drame de ce pays ! Ce qu’endurent et subissent les femmes algériennes dignes et la famille algérienne comme terrorisme.
On nous traite de « terroristes « . Comment peut-on qualifier alors ce que nous subissons de la part de l’Etat depuis sept années ?
Ce témoignage n’est qu’une infime partie de ce que nous vivons depuis des années. Je ne vous ai pas raconté dans les détails toutes les perquisitions que nous avions subies presque quotidiennement. Mon frère lors de sa première arrestation avait été libéré sans papiers et durant le couvre-feu. Quel sens doit-on donner à cet acte ?
Nous vivons une situation surréaliste. Nous sommes sous l’emprise de la terreur et de la hantise des invasions policières, des arrestations arbitraires. On nous prive de vie décente, de dignité et même de sommeil. Nous sommes constamment sur le qui-vive. (…)
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Année 1995.
Témoignage d’une femme (Mme M. Fatma Zohra), torturée après qu’elle soit partie, accompagnée de ses enfants, à la recherche de son mari enlevé par la police politique (SM) la veille. (17)
Je suis une citoyenne algérienne demeurant à Alger.
Le 5 septembre 1995, des hommes armés en combinaisons noires ont fait irruption à notre domicile à 4 heures du matin après avoir défoncé la porte d’entrée. Ils étaient plus de dix, armés jusqu’aux dents. Ceux qui ont pénétré à la maison agissaient à visage découvert. Ceux qui sont restés à l’extérieur étaient cagoulés. Nous nous sommes réveillés en sursaut devant le fracas provoqué par leur entrée brutale. Ils sont restés jusqu’à l’aube, aux environs de 6 heures. Ils ont frappé puis jeté à terre mon mari, (professeur de langue arabe au lycée) qu’ils ont attaché, poignets au dos et les yeux bandés avec une serviette. Trois hommes le gardaient, pointant leurs kalachnikovs sur son dos et sur sa tête, tandis que les autres fouillaient l’appartement. Ils ont tout jeté à terre. Ni les livres ni la vaisselle n’ont échappé à leur furie. Ma fille âgée de 12 ans, en voyant son père frappé et jeté à terre s’est mise à hurler :  » Lâchez mon père, lâchez mon père ! « . Trois policiers se sont mis à la frapper. L’un la tira par les cheveux et un autre la frappa d’un coup de crosse à l’épaule.
Les policiers se mirent à casser la vaisselle et à vider les bidons d’eau que j’avais remplis du fait des coupures d’eau. Ils étaient excités à un point inimaginable. Ils se mirent à proférer des obscénités sans respect à la femme que j’étais et aux enfants. En fouillant, ils trouvèrent et prirent une somme de 4000 DA.
Mon mari fut alors traîné jusqu’à l’extérieur, poings liés au dos et les yeux bandés avec une serviette, sous les coups de crosse et de pieds des policiers. Il fut jeté alors dans la malle de l’un de leurs véhicules. Ils continuèrent en sortant à nous insulter avec des termes grossiers et à nous cracher dessus. Les enfants pleuraient. Ils étaient terrorisés par cette sauvagerie qui s’était abattue sur nous. A leur sortie, l’appartement ressemblait à un champs de bataille. Tout était à terre, livres, vaisselle cassée, vêtements éparpillés, eau coulant des bassines et des bidons.
Deux jours plus tard, j’ai pris trois de mes enfants dont le petit garçon de 4 ans, l’autre de 9 ans et la fillette de 12 ans et je me suis dirigée vers le centre de torture de Chateauneuf. A notre arrivée, j’ai reconnu quelques policiers qui avaient envahi deux jours plus tôt notre domicile. J’ai demandé à l’un d’eux de m’autoriser à voir mon mari. Dans un premier temps, il nia que mon mari soit détenu dans leur centre. Je lui dis par la suite qu’il faisait partie de la horde qui avait fait irruption chez moi. Hésitant et confus, il m’ordonna de rentrer et de le suivre avec mes trois enfants. Il m’enferma dans une pièce où il y avait un lit et sortit. Au bout d’un instant, il revint et m’attacha le poignet au sommier avec ses menottes et pris mes enfants.
Au bout de quelques instants entrèrent cinq policiers dans la salle. Ils se mirent à me lancer des obscénités ahurissantes que je ne peux rapporter ici. Ils me disaient si je regardais les films X de Canal +. J’ai subi leurs grossièretés durant près de deux heures.
En début de soirée, j’ai entendu des cris d’un homme qu’on torturait. J’ai reconnu la voix de mon mari. Un policier vint me chercher pour assister aux séances de torture de mon mari.
Je suis restée 20 jours au centre de torture. Il y avait de nombreuses femmes détenues avec moi.
Un fois un tortionnaire est rentré tout nu dans notre cellule. Une autre fois, ils nous ont ramené une bouteille de vin, nous forçant à boire.
On nous a fait boire une eau douteuse. Nous avons toutes été prises de vertiges. Ils ont essayé de nous toucher dans notre honneur, de nous violer.
Mon mari a été atrocement torturé. Il a subi plusieurs séances d’électricité puis de fallaqa à la plante des pieds. Ils l’ont tabassé avec un manche à balai qu’ils ont cassé sur son pied. Ils lui ont brûlé le corps avec des mégots de cigarettes et tous ces supplices devant moi.
Ils m’ont ramené une eau suspecte qu’ils m’ont faite boire ainsi qu’à mes enfants. J’avais les vertiges et je commençais à développer des hallucinations. Je voyais mon mari coupé et tranches. Puis je commençais à entendre la voix de mon mari qui me disait d’être patiente et qu’il était au Paradis. Je ne savais plus où j’étais. J’avais la chair de poule en entendant ces voix. Je continuais à entendre des voix. Cette fois-ci c’était celle de ma fille de 12 ans qui criait : « Vous m’avez brûlé « . Je vis alors dans mes hallucinations, un tortionnaire brûler ma fille au chalumeau puis la violer. La voix de mon mari disait :  » C’est un enfant, c’est un enfant, évitez-lui ces supplices ! « .
Puis je vis mon fils de 15 ans coupé avec une hache en tranches. J’entendais alors la voix de mon mari dire à mon fils :  » Patiente, patiente, mon fils tu me rejoindras au paradis « .
Je me suis alors mise à pousser des youyous. Les tortionnaires vinrent en courant et me versèrent de l’eau sur le corps. Je me réveillais en sursaut. C’était des hallucinations. On m’avait drogué.
Au bout de vingt jours je fus libérée avec mes trois enfants qui étaient totalement détraquées par ce qu’ils ont vécu et vu au centre de torture. Ils étaient hébétés. Mon mari fut incarcéré à la prison de Serkadji.
Une année après cet épisode, les mêmes hommes armés firent à nouveau irruption chez moi, à 2 heures du matin. J’étais avec mes enfants. Leur père était en prison. Ils nous terrorisèrent pendant près d’une heure et leur chef me dit de me présenter le lendemain au centre de Châteauneuf.
Dès le matin je me suis rendue à ce sinistre centre où j’avais passé auparavant des journées effroyables. On m’interrogea sur ma vie quotidienne et sur l’origine de nos moyens de subsistance. On m’intimida, me promettant de « nouvelles visites nocturnes « .
Que pouvais-je faire devant cette hogra ? Me remettre à Dieu et à Lui Seul.
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Année 1996.
Témoignage d’un brigadier de police (appelons-le Mohamed pour des raisons de sécurité) ayant fui les horreurs de cette guerre qu’il avait vécu au cœur du système répressif. (17)
Je suis brigadier de police et je crois bien que dire aux autres la vérité, c’est comme faire guérir quelqu’un qui souffre. C’est la raison pour laquelle je m’engage à illustrer le dossier des disparus.
Je suis prêt à témoigner devant une institution internationale contre les crimes commis par certaines personnes au niveau d’un organisme sécuritaire qui doit normalement veiller à la sécurité du peuple ainsi que de leurs biens. Je suis aussi, prêt à déterminer les causes de la disparition de certains jeunes, arrêtés par les services de police.
1. Disparus et exécutions :
Le 19 janvier 1993, au niveau de la cité Diar El Afia (Bourouba) en compagnie de deux voisins policiers, deux terroristes furent arrêtés par nos soins, les nommés Abzar et Berhoum. Les deux sont portés disparus (pièce jointe témoignage de satisfaction délivré par la DGSN).
Juin 1993. A la sûreté urbaine de Bordj El Kiffan, au cours d’un examen de situation, le nommé Tounsi Zerrouk, demeurant à la cité PLM (Bourouba) et son ami qui habite à la cité Diar El Djemaa (Bachdjarah) ont été arrêtés et livrés à notre brigade pour l’exploitation. Les deux ont été exécutés à la décharge TIMIT. Les corps ont été transférés à la morgue de l’hôpital Zemirli d’El Harrach.
Mai 1993. Un certain Alioui et son compagnon ont été capturés à la cité EJICO de Bachdjarah) par l’agent de l’ordre public, G. R., élément de la brigade GRS. Les deux ont été froidement abattus par le dit agent malgré qu’ils soient sans armes.
Un certain jeune Khadraoui Kamal, demeurant aux environs des Eucalyptus, arrêté à proximité de la cité Diar El Afia (Bourouba) pour examen de situation, fut gardé presque 6 mois dans les geôles de la 4e sûreté urbaine de Bourouba, puis fut transféré vers un endroit indéterminé. S’il est encore vivant, il peut donner beaucoup de renseignements à propos des disparus.
1994. Un groupe terroriste composé de 4 jeunes fut arrêté un jeudi vers 2h du matin. Il s’agissait de : Gouasmia Rachid, Gouasmia Hakim (15 ans), Saïbi Ouahab et Boudouani Chafik. Les quatre ont été dirigés à la 4e Sûreté urbaine (SU) de Bourouba pour exploitation. Ils furent exécutés à la prise d’eau d’El Harrach.
Le nommé Chekaba Mouloud, arrêté et dirigé à la 4e Sûreté urbaine de Bourouba. Ayant un problème cardiaque, il n’a pu résister à la torture. Il mourra et son corps sera jeté aux environs des Eucalyptus.
L’ex-agent de l’ordre public (AOP) Azzoug Salah, demeurant à la cité Diar El Afia (Bourouba) fut arrêté en compagnie de quatre jeunes à hauteur du cinéma Musset (Belcourt). Le groupe fut dirigé vers la 4e SU de Bourouba. Ils furent abattus puis dirigés vers la morgue de Bologhine.
L’ex- agent de l’ordre public (AOP) Merinas de la brigade spéciale d’El Hamiz, arrêté en compagnie de 4 jeunes, fut abattu par des éléments de la BMPJ de Bourouba.
Le nommé TRAD Moussa, arrêté à la cité Diar El Afia (Bourouba) fut dirigé à la 4e SU. Deux jours après, il fut dirigé vers un lieu indéterminé.
Habili Messaoud, arrêté par l’Inspecteur Habib, porté disparu.
Bacha, arrêté par l’inspecteur Habib, porté disparu.
Le jeune Ould Saâdi Boumediene, arrêté par la PJ centrale fut abattu et livré à sa famille.
Natéche, arrêté par la BMPJ de Bourouba chez sa grand-mère. Porté disparu.
Tousena, habitant cité Chérif Bidi, arrêté puis abattu à la prise d’eau d’El Harrach.
2. Personnes torturées :
Il s’agissait de deux personnes arrêtées par les éléments de la 4e Sûreté urbaine de Bourouba :
Bouda Khaled, 38 ans environ, commerçant, demeurant à la cité Chérif Bidi, arrêté par le groupe GRS sous l’indicatif Saker 101. Il a été violemment torturé (courant électrique et eau). Gardé dans la geôle presque 20 jours.
Aït Allaoua Sidali, artiste, demeurant à la cité Chérif Bidi, arrêté pour soi-disant appartenance et soutien à groupe terroriste. Torturé et gardé en geôle pendant 52 jours. Il est aujourd’hui vivant mais avec la cicatrice d’une mâchoire déformée.
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Année 1998.
Le citoyen H. Mohamed, 27 ans, marié et père d’un enfant, agent de sécurité dans une société et demeurant à Boumaâti (El Harrach) est arrêté le 16 octobre par des policiers en civils. Il raconte les affres de la torture subie au commissariat central d’Alger (17).
J’ai été arrêté à la sortie de la mosquée par des policiers en civil. Je fus gardé durant une nuit au commissariat d’El Harrach, puis transféré le lendemain au lieudit les 3 caves où se trouve la brigade dite « anti-terroriste « .
Le 18 octobre, ils décidèrent de me transférer au commissariat central d’Alger. Je fus alors interrogé dès le lendemain de mon transfert par un officier de police, un certain Djamel F. sur mes activités depuis 1994.
Dans mon récit de mes activités, j’ai rappelé à l’officier la hogra dont j’avais fait l’objet le 5 septembre 1994, lorsque des hommes armés venus à bord d’une Nissan de la police fracturèrent la porte de mon magasin et me subtilisèrent une marchandise d’une valeur de 32 millions de centimes. Je lui ai rappelé également les biens qui me furent volés le même jour à mon domicile par les mêmes personnes se réclamant de la police, d’une valeur de trois millions de centimes ainsi qu’un magnétoscope. Ils humilièrent ma mère et l’emmenèrent avec eux pour la relâcher à mi-chemin.
L’officier s’emporta quand j’ai eu le malheur d’accuser les policiers de vol. Il me descendit au sous-sol du commissariat central, me déshabilla totalement, m’allongea sur un banc en bois, tira une corde, et m’attacha avec, poignets derrière le dos. Six policiers se trouvaient dans la salle de torture dont une femme qui serait l’épouse de l’officier. Toute la panoplie de la torture y passera : technique du chiffon, brûlures par cigarette de la partie gauche de sa poitrine, bastonnades.
Le lendemain, la torture repris et l’officier utilisa un gros bâton pour me frapper aux testicules, me blessant gravement. J’ai uriné du sang. L’officier sortit sa verge devant les policiers et la femme présente et me menaça de me sodomiser. Il essaya alors d’introduire sa verge dans ma bouche. Un jeune policier, scandalisé par ces actes inhumains, s’accrocha verbalement avec son supérieur, lui demandant d’arrêter les coups. Devant mon corps ensanglanté et la révolte du jeune policier, le tortionnaire arrêtera son jeu de massacre. Le jeune policier m’accompagna alors à l’hôpital où je fus examiné au pavillon des urgences. Des analyses et une radiographie de l’appareil urinaire seront demandés par le praticien de garde. Un traitement médical me fut prescrit. Ni les analyses, ni les radiographies ne seront pratiquées, ni le traitement administré. Une infection se développera dans les jours qui suivront m’empêchant d’uriner normalement.
On me fera signer un procès-verbal sous la menace, sans être lu. Je fus ainsi inculpé pour « appartenance à groupe armé, terrorisant la population, créant un climat d’insécurité, crimes prémédités et soutien « .
Je fus ensuite présenté devant le juge et Incarcéré à la prison d’El Harrach.
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Année 2001.
Témoignage du père de GUERMAH Mohamed Massinissa dit Moumouh (20 ans) de Béni Douala (W. de Tizi-Ouzou), mort suite à des blessures par balles dans la brigade de gendarmerie. (18)
 » Ce jour-là, le 18 avril 2001, mon fils était en train d’étudier à la maison. Il était descendu prendre un peu d’air. Il avait un sujet de math dans la poche de son pantalon (Massinissa était lycéen en classe de terminale). Arrivé en bas de l’immeuble, deux gendarmes en civil et un chauffeur se sont approchés dans une voiture banalisée. Ils l’ont pris avec une rare brusquerie. Ils l’ont kidnappé. Les témoins du quartier les ont vus le tabasser à coup de poing, de pied et de crosse, avant de l’emmener dans le coffre de leur voiture.
J’imagine ce qu’ils ont pu lui faire dans leur véhicule pendant le trajet qui les a menés à la brigade de gendarmerie. En arrivant, mon fils ne pouvait pas tenir sur ses pieds. Il a été soutenu par deux gendarmes pour y entrer.
À peine cinq minutes après, une rafale retentit. Ils lui ont criblé les deux jambes de balles. Deux autres témoins parlent de deux rafales. Un gendarme a également été blessé ce jour-là.
Pour moi, il s’agit d’un assassinat volontaire. Ils se sont acharnés contre lui dès le début. Il a été évacué vers la clinique dans un véhicule civil. Il avait perdu beaucoup de sang déjà. Les médecins n’ont pas pu faire grand chose pour mon fils. Il a été transféré vers l’hôpital de Tizi-Ouzou, puis vers l’hôpital Mustapha à Alger. Le lendemain, j’ai été le voir, il était mourant. Il avait 5 à 6 de tension artérielle. À chaque fois qu’il se réveillait, il me demandait s’il allait perdre ses pieds. Il a succombé à ses blessures le matin du vendredi 20 avril.
En tuant Moumouh, ils m’ont tué. Ils m’ont brisé toute ma vie et celle de ma famille. Il a laissé un immense vide à la maison. Sa mère est comme une folle. Mon fils voulait vivre… (le père commence à pleurer – ndlr).
J’ai demandé que l’on pratique une autopsie du corps de mon fils. J’attends toujours les résultats.  »
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Année 2001.
Révolte à Tizi-Ouzou. Assassinat le 28 avril d’une citoyenne, Mme AÏT ABBA Nadia (33 ans), de Aïn El-Hammam, enseignante de langue arabe. Elle a été mortellement blessée, à l’intérieur d’une chambre, par deux balles au-dessous de l’épaule droite et au poignet droit. Témoignage de son beau-frère. (18)
 » Ma belle sœur a été blessée mortellement, le 28 avril, alors qu’elle se trouvait chez sa collègue, une voisine qui habite au 5e étage. Les gendarmes tiraient dans tous les sens, même en direction des fenêtres des immeubles. On a entendu crier : « Vous avez atteint une dame ! ». Nous sommes accourus pour la secourir et l’emmener vers le secteur sanitaire. À défaut d’un brancard, nous l’avons transportée dans une couverture portée par six jeunes. Une fois dehors, les gendarmes n’ont pas hésité à tirer en notre direction. Un des jeunes qui aidaient à la secourir, NAÏT AMARA Omar (26 ans), a été abattu.
Ce n’était pas fini car une fois la nuit tombée, les gendarmes sont entrés dans l’école où la défunte enseignait, ont saccagé plusieurs classes et inscrit sur son tablier « Vive la gendarmerie, à bas tamazight ».  »
Extraits du certificat médical descriptif :
 » … À l’arrivée à 13h30mn, la malade était en état de choc avancé avec tension artérielle imprenable et pâleur importante. Elle présente une plaie paravertébrale droite saignante abondamment de trois (03) cm de diamètre déchiqueté et un orifice de sortie à la face antérieure et supérieure de l’hémithorax droit large de huit (08) cm de diamètre déchiqueté très saignante. Par ailleurs, on trouve un autre orifice d’entrée au niveau de la face antérieure du poignet et un orifice de sortie à sa face postérieure large de deux (02) cm de diamètre avec une fracture comminutive et déformation du poignet. La malade a nécessité une réanimation intensive avec massage cardiaque externe pendant vingt (20) mn mais elle décède suite à ses blessures.
Fait à Aïn El-Hammam le 28 avril 2001.
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Année 2001 :
Témoignage de M. Djamal Roknia, demeurant à Khenchela au sujet des faits qui se sont déroulés entre le 9 et le 12 juin. (in Lettre ouverte au Président de la République. 13 juin 2001) (17)
(.) Détails des faits : (La goutte qui a fait déborder le vase).
Dans la soirée du samedi 9 juin 2001, un militaire a provoqué des jeunes de certains quartiers de la ville en allant opportuner une jeune fille. Et ce n’est pas la première fois que les militaires du centre d’instruction de Khenchela se comportent ainsi envers les filles. Ce comportement a provoqué le courroux de certains jeunes qui habitent le quartier populaire où se trouvent de nombreux locaux commerciaux. Et c’est ainsi qu’éclata une altercation entre les jeunes et le militaire. Des gens sages du quartier séparèrent les protagonistes et l’incident semblait clos. Quelques instants plus tard le militaire revint avec ses compagnons de la caserne et se mirent à agresser toutes les personnes se trouvant sur leur chemin. Non contents de cette expédition, le militaire et ses compagnons revinrent le lendemain. Les jeunes du quartier étaient alors décidés à en découdre avec eux. Ils tabassèrent violemment les militaires et saccagèrent le véhicule (de type Mercédès) de leur compagnon. Sans l’intervention d’habitants âgés et sages, les militaires auraient été tous tués.
Le lendemain, un groupe de jeunes citoyens décida d’aller voir le Wali pour l’informer de la gravité de la situation. Ce dernier, comme d’habitude, refusa de les recevoir, comptant toujours sur ses adjoints qui ne lui transmettent que les tromperies du milieu qui impose sa loi à Khenchela. Ce refus fut l’étincelle qui déclencha les émeutes. C’est ainsi que furent saccagés et brûlés la plupart des édifices publics. Des policiers et les brigades anti-émeutes intervinrent mais ne purent contenir la masse de manifestants en colère qui se déversait dans les rues par les grenades lacrymogènes. Ces événements durèrent pratiquement 48 heures sans interruption.
Au lendemain des émeutes et dans la soirée, le wali finira par recevoir une délégation de manifestants et leur fera des promesses sans consistance, ce qui provoqua à nouveau le courroux des manifestants qui se remirent à saccager et à brûler tout ce qu’ils trouvaient sur leur chemin. Les commerces étaient fermés et les marchés paralysés. Il n’y avait dans la ville que des colonnes de fumée qui s’élevaient dans le ciel et l’odeur des grenades lacrymogènes.
Après cette catastrophe, le parti Nahda, comme à ses habitudes, publia un communiqué dénonçant la représentation électorale frauduleuse. Puis certaines « personnalités » élues locales plus connues sous le terme de notables de Khenchela apparurent. Nous rejetons sur ces personnes toute la responsabilité de cette tragédie qui entraîna la mort de 3 personnes et plusieurs blessés, dont certains, dans un état grave. Ces personnes nous ont représentés comme ils ont voulu et qui n’ont pas bougé le petit doigt depuis leur participation aux élections et leur installation dans leurs fauteuils. Ils ne se consacrèrent qu’à courir derrière les intérêts personnels (avec preuves à l’appui). Ils ne descendent auprès du peuple qu’au moment des rendez-vous électoraux. A ce moment, quelques personnalités qui ont sucé le sang de Khenchela, vinrent illusionner le wali qu’ils pouvaient maîtriser la situation.
Le 12 juin à 13 heures, les jeunes ont organisé une marche pacifique, non encadrée et non autorisée, car ils savaient, par expérience, qu’ils ne pouvaient obtenir d’autorisation. (.).
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Références
1. Déclaration publique du Président Benyoucef Benkhedda, août 1962 in Etienne Mallarde. L’Algérie depuis. Editions La Table Ronde. 1975.
2. Mohamed Boudiaf. Où va l’Algérie ? Editions L’Etoile 1964.
3. Ferhat Abbas. L’indépendance confisquée. Editions Flammarion. 1984.
4. Abderrahmane Farès. La cruelle vérité. Editions Plon. 1982.
5. Hocine Aït Ahmed. Crimes et non-châtiment. Jeune Afrique Magazine. N° 37. Mai 1987.
6. Tahar Zbiri.  » Pourquoi j’ai voulu renverser Boumediène  » Propos recueillis par Yves-Guy Bergès. Le Figaro Magazine. 4 – 10 août 1969.
7. Mémoires du commandant Si Lakhdar Bouregaâ. Témoin de l’assassinat de la révolution. Editions Dar El Hikma. Alger. 2e édition. Mai 2000. En langue arabe.
8. Algeria-Watch. Site algérien des droits de l’Homme. Berlin. Juin 2001. http://www.algeria-watch.de/farticle/docu/pags_torture.htm
9. Amar Ouerdane. La question berbère dans le mouvement national algérien (1926 – 1980). Annexe 6. Editions Epigraphe/Editions Dar El Ijtihad. 1993.
10. Mohamed Benyahia. La conjuration au pouvoir. Editions Arcantère. 1988.
11. Oussedik Faouzi Ibn El Hachemi. Le Mouvement Islamique en Algérie. 1962-1988. Dar El Intifadha de diffusion et de distribution. Alger. 1992. En langue arabe.
12. Louisa Hanoune. Une autre voix pour l’Algérie. Entretiens avec Ghania Mouffok. La Découverte. 1996.
13. Coordination des Associations d’Enfants de Chouhada. Martyrs……Halte à la manipulation. Revue polycopiée. 1989.
14. Arezki Aït Larbi. Révélations d’un ancien détenu d’opinion. Témoignage. Hebdomadaire L’événement, n° 162. Semaine du 2 au 8 avril 1994.
15. Hocine Aït Ahmed. L’affaire Mécili. Editions La Découverte. 1989.
16. Rabha Attaf avec Antoinette Delafin. Il n’y a pas qu’Adjani qui se soit fait traiter de putain. Actuel. Décembre 1988.
17. Salah-Eddine Sidhoum. Archives personnelles. Droits de l’homme. 1988 – 2001
18. Mehdi Mohamed. Algeria-Watch. 1er juin 2001. http://www.algeria-watch.de/farticle/kabylie/mort_non_naturelle.htm
 
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