ELWATAN-ALHABIB
dimanche 15 avril 2012
 
Après Toulouse ?
 
 
par Brahim Senouci
 
Le rideau est tombé sur les tueries de Toulouse et de Montauban.

Elles ont révulsé l'opinion, à juste titre. Leur auteur, Mohamed Merah, est mort. Après une valse-hésitation, il a fini par être inhumé à Toulouse. Ni la Garonne ni l'Algérie ne l'ont accueilli...

L'enterrer en terre toulousaine représentait pourtant un risque aux yeux des dirigeants français, celui que sa tombe devienne un lieu de pèlerinage. Des jeunes gens de son âge, ayant des «origines», pourraient être tentés de l'imiter.

C'est qu'il y a des précédents. L'un des plus récents concerne Israël. Dans le cimetière de Kyriat Arba, une colonie israélienne proche d'Hébron, il y a une tombe qui attire l'attention. Elle porte la mention : «Au saint Baruch Goldstein, qui donna sa vie pour le peuple juif, la Torah et la nation d'Israël». Le fait d'armes du saint homme ? Le massacre du Caveau des Patriarches du 25 février 1994, soit l'assassinant de 29 Palestiniens en prière dans la mosquée d'Abraham. Cette tombe fait depuis l'objet d'un véritable culte. Le massacre a été certes condamné par les autorités israéliennes. Elles ont fini par démolir, plus de cinq ans après les faits, le mausolée qui avait été érigé en l'honneur de l'assassin. Elles ont même accepté la présence d'observateurs internationaux rassemblés au sein d'une «Temporary International Presence in Hebron». Elles ont toutefois exigé et obtenu que ce corps d'observateurs soit indépendant de l'ONU. Par la suite, elles ont rogné sur son périmètre d'exercice et ont fini par le cantonner à la vieille ville. Ces observateurs se sont ainsi contentés pendant des années d'»observer» et d'adresser les comptes rendus de leurs observations à des tiroirs sans fond... La situation des Palestiniens a subi une dégradation croissante. Quelques centaines de colons, admirateurs de Goldstein, établis dans la ville sous la protection de 2.000 soldats israéliens, leur rendent la vie impossible…

POURQUOI CE RAPPEL ?

En France, plusieurs personnes interrogées par la presse ont répété, comme une incantation, qu'il y aurait un «avant» et un «après» Toulouse. Les habitants d'Hébron ont sans doute eu la même pensée, qui s'est trouvée largement infirmée par la suite : L'»après Goldstein» ressemblait à l'»avant Goldstein», en pire… Pour que le massacre fût le prélude à une ère nouvelle, il aurait fallu un changement fondamental de la politique israélienne, l'arrêt de la colonisation, la suppression des check points, de véritable négociations de paix entre partenaires égaux. En bref, il aurait fallu une transformation radicale de la matrice du mépris et de l'arrogance qui a produit Goldstein. Il n'en a rien été. Il aurait fallu une révolution copernicienne pour que les Israéliens considèrent les Palestiniens autrement que, au choix, «des cancrelats dans un bocal», selon Raphaël Eytan, ex-chef d'état-major de l'armée d'Israël, des gens qui «seront écrasés comme des sauterelles … leurs têtes éclatés contre les rochers et les murs», selon Yitzhak Shamir, premier ministre israélien … ().

REVENONS EN FRANCE…

Le Président de la République a eu les mots justes et émouvants en endossant la paternité symbolique des victimes de Toulouse et de Montauban, en particulier celle des trois enfants juifs. Il a été moins heureux en coupant court à toute tentative d'analyse du phénomène Merah en le décrétant «ignoble», ce en quoi il rejoignait l'écrasante majorité des commentateurs, mais aussi «inexplicable». L'expliquer serait le justifier, assène-t-il.

Peut-être préférerait-il que s'impose dans l'opinion l'image d'un monstre désincarné, surgi de nulle part ? Sans doute souhaite-t-il éviter à la société française une introspection douloureuse qui la conduirait à remettre en cause des pratiques de nature à favoriser l'émergence de nouveaux Merahs ?

Ainsi, la montée du racisme en général, de l'islamophobie en particulier, n'auraient aucun impact sur le vivre-ensemble ? Qui peut croire que les déclarations de bon nombre de responsables politiques soient sans aucun effet sur les populations qui peuvent à bon droit se sentir visées ?

Bien sûr, encore une fois, rien ne saurait justifier le crime. Des millions de musulmans subissent cette montée du discours raciste sans pour autant massacrer leurs voisins. Mais qui peut nier l'effet de ce discours sur des jeunes déstructurés, sans repères ?

En 2005, trois adolescents de Clichy-Sous-Bois, Zyed Benna, Bouna Traoré et Muhittin Altun, sont poursuivis par la police. Ils se réfugient dans un transformateur d'EdF. Ils sont électrocutés. Les deux premiers décèdent, le troisième est gravement blessé. Il y a eu des protestations bien sûr, d'une partie de la classe politique, l'autre partie se maintenant dans une neutralité de mauvais aloi ou prenant le parti d'une défense de la police. Il ne s'est trouvé personne à cette époque pour dire que ces enfants étaient ceux de la France et que le deuil devait être celui du pays tout entier…

Lady Ashton, en charge des affaires étrangères de l'Union Européenne, a condamné naturellement les assassinats, en particulier ceux d'enfants. Elle a, de manière heureuse et bienvenue, associé les enfants juifs de Toulouse aux enfants de Gaza morts sous les bombes de l'aviation israélienne durant l'hiver 2008/2009. Cela a suscité un tollé du gouvernement israélien qui a contraint l'honorable diplomate à présenter ses excuses.

On ne saurait mieux dire que tous les enfants ne sont pas logés à la même enseigne !

Quel dommage, quel gâchis. Imaginons un instant que les crimes de Toulouse et de Montauban aient constitué l'occasion de s'incliner devant toutes les morts injustes, particulièrement les morts d'enfants. Cela aurait sans nul doute rassuré les éternelles cibles du racisme et de l'islamophobie sur la place qu'elles tiennent dans le cœur de leurs dirigeants et de leur société. Non seulement cela ne s'est pas fait mais encore, les velléités du style de celle de Lady Ashton ont été condamnées et annulées.

TERRIBLE MESSAGE A DESTINATION DES BANLIEUES…

La justice, la citoyenneté, l'affection sont affectées d'un multiple standard. Les jeunes qui peuplent les quartiers de misère sont voués aux discriminations, à la méfiance, à la mésestime. Ils ne connaissent de la République que les injonctions à l'intégration qui deviennent en réalité des injonctions à la dissolution et à l'assimilation. Il ne s'agit plus d'appeler une communauté à participer à la vie de la société, tout en conservant sa liberté culturelle et cultuelle. On lui demande d'abandonner une altérité jugée insupportable.

Beaucoup de jeunes croient pouvoir établir un continuum entre la situation faite à leurs aïeux, colonisés, réduits en esclavage, massacrés, et celle qu'ils vivent. Ils le perçoivent d'autant plus facilement que l'esclavage et la colonisation n'ont jamais fait l'objet d'un véritable examen critique en France. Bien qu'abandonné, le projet de loi sur les bienfaits de la colonisation et les débats qu'il a occasionnés ont montré que la majorité de la société française et une grande partie de la classe politique, à droite et à gauche, est très loin d'avoir pris la mesure de la tragédie dont la France s'est rendue coupable.

Le mot d'ordre d'unité de la nation ne sera qu'un vœu pieux tant qu'il ne s'accompagne pas de gestes forts vis-à-vis d'une communauté meurtrie. Les pires blessures ont leur siège dans les imaginaires. Les insulter, c'est aggraver le fossé entre des mémoires antagoniques, forcément antagoniques. Les reconnaître, c'est créer les conditions de l'intégration des populations issues des pages noires de l'histoire, par l'insertion de ces pages dans le récit national
.
 
Commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]





<< Accueil
"Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs." Malcom X

Archives
février 2007 / mars 2007 / avril 2007 / mai 2007 / juin 2007 / juillet 2007 / août 2007 / septembre 2007 / octobre 2007 / novembre 2007 / décembre 2007 / janvier 2008 / février 2008 / mars 2008 / avril 2008 / mai 2008 / juin 2008 / septembre 2008 / octobre 2008 / novembre 2008 / décembre 2008 / janvier 2009 / février 2009 / mars 2009 / avril 2009 / mai 2009 / juin 2009 / juillet 2009 / août 2009 / septembre 2009 / octobre 2009 / novembre 2009 / décembre 2009 / janvier 2010 / février 2010 / mars 2010 / avril 2010 / mai 2010 / juin 2010 / juillet 2010 / août 2010 / septembre 2010 / octobre 2010 / novembre 2010 / décembre 2010 / janvier 2011 / février 2011 / mars 2011 / avril 2011 / mai 2011 / juin 2011 / juillet 2011 / août 2011 / septembre 2011 / octobre 2011 / novembre 2011 / décembre 2011 / janvier 2012 / février 2012 / mars 2012 / avril 2012 / mai 2012 / juin 2012 / juillet 2012 / août 2012 / septembre 2012 / octobre 2012 / novembre 2012 / décembre 2012 / janvier 2013 / février 2013 / mars 2013 / avril 2013 / mai 2013 / juin 2013 / juillet 2013 / août 2013 / septembre 2013 / octobre 2013 / novembre 2013 / décembre 2013 / janvier 2014 / février 2014 / mars 2014 / avril 2014 / mai 2014 / juin 2014 / juillet 2014 / août 2014 / septembre 2014 / octobre 2014 / novembre 2014 / décembre 2014 / janvier 2015 / février 2015 / mars 2015 / avril 2015 / mai 2015 / juin 2015 / juillet 2015 / août 2015 / septembre 2015 / octobre 2015 / novembre 2015 / décembre 2015 / janvier 2016 / février 2016 / mars 2016 / avril 2016 / mai 2016 / juin 2016 / juillet 2016 / août 2016 / septembre 2016 / octobre 2016 / novembre 2016 / décembre 2016 / janvier 2017 / février 2017 / mars 2017 / avril 2017 / mai 2017 / juin 2017 / juillet 2017 / août 2017 / septembre 2017 / octobre 2017 / novembre 2017 / décembre 2017 / janvier 2018 / février 2018 / mars 2018 / avril 2018 / mai 2018 / juin 2018 / juillet 2018 / août 2018 / septembre 2018 / octobre 2018 / novembre 2018 / décembre 2018 / janvier 2019 / février 2019 / mars 2019 / avril 2019 / mai 2019 / juin 2019 / juillet 2019 / août 2019 / septembre 2019 / octobre 2019 / novembre 2019 / décembre 2019 / janvier 2020 / février 2020 / mai 2020 /


Powered by Blogger

Abonnement
Articles [Atom]