Un documentaire du style « Paris-Match » – fondé sur l’esthétique
de l’omission et la cosmétique de la généralisation à outrance – a été
diffusé sur France 2, dans la soirée du 11 mars. Le documentaire,
« Guerre d’Algérie, la déchirure », a été réalisé par des Français pour
un public français et on pourrait ajouter, sans l’ombre d’un doute,
d’abord pour une certaine France en mal de réhabilitation morale face à
sa « grande œuvre » algérienne. L’insertion de quelques images inédites
ne change rien au fait que cette énième compilation d’archives,
n’apporte rien de vraiment inédit ; la colorisation d’images donne
surtout l’impression qu’on a fait du neuf avec du vieux. Et osons le
dire, il ne choque même pas de ce côté de la Méditerranée. Bien entendu,
ce documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, respecte
strictement la ligne officielle. Nicolas Sarkozy, en campagne chez les
pieds noirs et les harkis à Nice, en a rappelé le principe essentiel :
« Il y a eu des abus. Des atrocités ont été commises, de part et
d'autre ». Et le tour est joué, victimes et bourreaux sont logés à la
même enseigne, en attendant de ces victimes qu’elles présentent des
excuses… Le documentaire relève bien de ce relativisme mensonger qui
conduit les historiens sérieux à prendre leurs distances avec Benjamin
Stora, spécialiste médiatique exclusif (embedded ?) de l’histoire de
l’Algérie. Ce documentaire, présumé historique, ne rentrera donc pas
dans l’Histoire. Mais, pour nous Algériens, il n’est pas totalement sans
utilité. Il révèle à quel point le régime algérien, à force de
s’éloigner des valeurs du mouvement national, en mettant en place un
système antidémocratique et brutal, a fait le lit du révisionnisme
néocolonial. La dictature, la torture, la corruption, le mépris du
peuple au nom de l’anti-populisme… font partie de l’hallucinant bilan du
cinquantenaire du régime. Et c’est cela qui permet, aujourd’hui à la
France officielle de solder, dans la fiction, l’histoire, tout en
s’érigeant en donneur de leçons. La commémoration du cinquantenaire, en
France, ne se rapporte pas à la réalité des faits avérés de l’ordre
colonial, des enfumades inaugurales au napalm de clôture en passant par
la dépossession et la clochardisation d’un peuple tout entier. Au
contraire, par occultation sélective et formulations sibyllines, les
faits sont systématiquement distordus. Pour aboutir à une authentique
forfaiture. Laquelle n’est rendue possible que par la faiblesse
politique et morale d’un régime algérien contraint d’aller au-delà des
conseils, de « modération » en matière de commémoration, énoncés par le
ministre français des affaires étrangères. Sans que cela ne choque
personne chez nos « gardiens de la patrie »… Ici, on ne célèbre rien, on
se contente de regarder passer silencieusement le train du
révisionnisme. Commémorer cinquante ans d’indépendance, c’est bien
entendu parler du combat des Algériens pendant un siècle et plus ; mais
c’est aussi immanquablement interpeller ceux qui ont confisqué le
pouvoir et mis la population sur la touche, sur l’usage qui a été fait
de l’indépendance, sur le respect des engagements et des valeurs du
mouvement national, sur la gestion privative du bien commun, sur la
reproduction de pratiques éhontées combattues, au prix fort, par les
militants de la liberté. C’est cela la génétique du révisionnisme,
parfois subtil, souvent grossier, qui s’exprime en France, là où le
cinquantenaire de l’indépendance est marqué «sans complexe » aucun, avec
la certitude que ceux qui sont en place, en Algérie, sont trop faibles
moralement et politiquement pour dire les choses avec l’éclat d’un Franz
FANON, ou la concision d’un Larbi BENMHIDI offrant d’échanger les
couffins des femmes d’Algérie contre quelques avions de la très
civilisée OTAN. Ces célébrations qui n’en sont qu’à leur début – et qui
in fine sont dans le droit fil de la théorie abjecte des « bienfaits de
la colonisation » - démontrent le niveau de nuisance atteint par le
système. Il ne se limite pas à détourner la rente pétrolière vers des
usages privatifs et à faire fuir, régulièrement, les compétences que le
pays forme. En portant atteinte à ce qui constitue la conscience
nationale, il permet une insidieuse dilapidation de l’histoire. Il offre
une opportunité, à un négationnisme de boutiquiers-historiens, de
s’exprimer sans crainte d’être contestés. Le documentaire de France 2 en
est une des plus éloquentes expressions. D’autres viendront, sans nul
doute, pour maquiller l’histoire et dénaturer le présent. Ici, on
« modère » comme l’a exigé Alain Juppé. Et pour ne pas se tromper dans
l’art de « modérer » l’expression, on se tait. On ne dit rien, de
crainte d’un retour de bâton. On laisse quelques-uns évoquer, de manière
approximative une curieuse « repentance » dont les Algériens n’ont que
faire. On est « modérés » donc on est silencieux. Et on laisse dire,
dans la veulerie, que la guerre d’Algérie, ce ne furent que des
violences et abus, de « part et d’autre ».
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