Les images de Syrie supposées montrer le résultat des bombardements
par l'armée syrienne montrent en réalité les destructions commises par
l'opposition
Le
texte que je vous propose est une analyse serrée d’images présentées
sur la chaîne de télévision américaine CNN et supposées apporter la
preuve de la réalité des bombardements de zones urbaines par
l’artillerie lourde syrienne. Les images montrent en effet des immeubles
détruits ou endommagés ainsi que des cratères d’impact dans des rues où
il n’y a plus aucune circulation automobile.
Le
problème, ainsi que le démontre Sharmine Narwani qui nous donne tous
les éléments pour contrôler son raisonnement, c’est que les zones
dévastées ne sont pas celles tenues par les forces d’opposition mais au
contraire les quartiers réputés fidèles au gouvernement.
par Sharmine Narwani , Alakhabr (Liban) 14 février 2012 traduit de l'anglais par Djazaïri
Ce
qui avait sûrement été conçu pour présenter de manière élaborée des
documents visuels adaptés aux media afin d’illustrer la violence du
régime syrien à Homs a au contraire soulevé plus de questions qu’apporté
de réponses.
[Sharmine
Narwani évoque les photos satellite postées par l’ambassadeur US en
Syrie Robert Ford et pat le Département d’Etat ; je vous ai présenté ce
dossier ici]
Les
affirmations discutables de l’ambassadeur US ne se limitent cependant
pas aux images satellite. Dans son post sur Facebook, Ford note avec
insistance ; « Il n’y a aucune preuve que l’opposition – même ces
membres de l’opposition qui ont fait défection de l’armée – dispose ou
s’est servi de telles armes lourdes ». Il entend par là «l’artillerie»
utilisée pour « pilonner de loin des immeubles d’habitation et des
maisons. »
Mais alors pourquoi y-a-t-il des preuves photographiques de destructions dans des secteurs alaouites favorable au régime?
Passons
tout de suite au journaliste vedette de CNN, Jonathan King, qui a
présenté des images satellite de Homs le 9 février, la veille de la
diffusion par le Département d’Etat de ses propres images sur le web.
Les images de Homs présentées par King sont datées du 5 février, deux
jours après le début de la flambée de violence dans cette ville, qui se
concentre fortement sur le quartier de Baba Amr où les combattants de
l’opposition sont censés être présents :
La
présentation par King des «bombardements, des incendies et des dégâts» à
Homs montre des destructions du bâti cohérentes avec l’usage d’armes
lourdes : « C’est comme une ville fantôme – pas une seule voiture, il y a
des dégâts sur les routes et énormément de dégâts sur les toits des
immeubles.»
Zoomant
sur trois différentes parties du même quartier d’Homs pour montrer des
images d’avant et après les destructions, King a expliqué : « Bous ne
sommes bien sûr pas sur place, mais ces images satellite très précises
tendent à étayer les récits des militants selon lesquels il y a beaucoup
de bombardements et des combats en cours dans la ville, ainsi que de
nombreux incendies.»
Il
n’y a qu’un problème avec ce qu’il dit. La plupart des supposés
combats, bombardements, destructions et tueries rapportés largement par
la presse internationale se sont déroulés dans le quartier de Baba Amr à
Homs, qui se trouve au sud-ouest de la ville et est un bastion de
l’opposition au régime.
Mais
les trois images satellite montrées par King ont été prises dans le
quartier al-Zahra, une zone favorable au régime peuplée principalement
d’Alaouites qui appartiennent à la même secte musulmane minoritaire que
le président Syrien Bachar al-Assad.
Voilà
une révélation stupéfiante. Des civils pro régime à Homs et dans
d’autres coins de la Syrie se plaignent depuis des mois maintenant
d’agressions, d’enlèvements et d’assassinats perpétrés par des groups
armés d’opposition, sans recevoir beaucoup d’attention de la part des
media étrangers.
Et
elle remet complètement en cause l’affirmation de Ford selon laquelle :
«Il n’y a aucune preuve que l’opposition…dispose ou s’est servi de
telles armes lourdes»
Voyons
certaines captures d’écran de la présentation par CNN et comparons là à
des images de Google Maps. La première capture est celle où King
désigne les trois zones en surbrillance verte concernées par les
destructions à Homs :
Les
images satellite de CNN ont été présentées à l’écran avec un
basculement de 90° dans le sens des aiguilles d’une montre ; dans la
capture qui suit, nous avons orienté leurs images pour que le nord se
trouve en haut pour faciliter la comparaison avec nos images qui sont au
format habituel nord sud. Ce qui simplifiera les choses pour les
lecteurs qui se sentiront obligés de faire leur propre recherche
internet sur le secteur considéré.
Quand
on zoome sur un secteur en surbrillance où ont eu lieu des
destructions, vous pouvez constater que les deux photos – celle de CNN
et la nôtre – correspondent exactement. Au nord d’une route qui passe à
l’horizontale se trouve un périmètre avec un grand arbre à sa limite
gauche. Au sud de cette même route, des constructions sont positionnées à
un angle diagonal distinct. Cette zone se trouve dans le quartier
al-Zahra d’Homs.
La
capture d’écran qui suit est un zoom qui vous permet de voir
l’emplacement des trois secteurs touchés par des destructions qui ont
été présentés par CNN - tous trois se trouvent clairement à l’intérieur
du quartier d’al-Zahra qui est délimité par un cercle rouge. En bas à
gauche de l’image, se trouve un lieu circulaire que nous avons inclus
afin d’aider les lecteurs à repérer l’emplacement d’al-Zahra au milieu
des autres quartiers de Homs. C’est là qu’est située la citadelle de
Homs.
La
dernière capture d’écran représente Homs dans son ensemble, ce qui
permet de coir la distance entre Bab Amr (cercle bleu) à gauche de
l’image, et al-Zahra à droite. La citadelle de la capture précédente se
trouve entre les deux quartiers.
Une image ne vaut plus mieux qu’un long discours
Des
photos et des vidéos montrant des scènes de violence n’ont cessé de
nous parvenir d’Homs depuis les premières informations sur les violents
combats à partir du 3 février. Il est difficile d’en tirer des
conclusions parce que nous n’avons pas assez d’informations dans les
images ou les vidéos pour confirmer l’origine des tirs ou des
bombardements. Les images satellite postées par le Département d’Etat le
6 février – d’après le blog Moon of Alabama – ne montrent en réalité
pas l’armée syrienne engagée dans une bataille ainsi que le donne à
comprendre l’ambassadeur Ford quand il soutient que :
“Des
photos satellite ont saisi à la fois le carnage et ceux qui l’ont
provoqué – l’artillerie est clairement sur place, il est évident qu’elle
bombarde des quartiers entiers.”
Mais
sa déclaration sur l’incapacité de l’opposition à frapper à distance
faute d’armement adéquat est maintenant sujette à caution compte tenu
des images de CNN où on voit des bâtiments endommagés et des « cratères
d’impact » sur la route – pourtant, même cela n’est pas concluant de
manière définitive.
Si
vous ne faites plus confiance à une photo, que dire d’allégations du
genre de celles énoncées par Ford? Une des quelques vidéos que je trouve
crédibles – parce qu’on y voit la mort non contestée d’une personne
«connue» - est la séquence concernant Gilles Jacquier, le cameraman de
France 2 tué alors qu’il participait à une visite à Homs sous les
auspices du gouvernement. Jacquier a été tué dans le quartier favorable
au régime d’Akrama, qui abrite essentiellement un mélange d’Alaouites et
de Chrétiens venus à l’origine de zones rurales. Le journaliste
pro-opposition Omar Idlibi avait une fois surnommé ce quartier «le
château du régime.»
Tandis
que des informations contradictoires circulaient sur l’origine du
projectile qui a étué jacquier et huit autres personnes ce jour là, les
observateurs de la Ligue Arabe sur le terrain en Syrie ont enquêté et
conclu ainsi : « les informations de la mission à Homs indiquent que le
journaliste Fraçais a été tué par des obus de mortier de l’opposition. »
La
Syrie a détruit en moi toute confiance en des images auxquelles
j’accordais foi auparavant. Les deux parties au conflit manipulent les
documents visuels pour faire de la propagande en fonction de leurs
objectifs politiques. Le problème posé est que de nombreux récits
authentiques sont maintenant déconsidérés du fait du scepticisme de
lecteurs comme moi-même.
Les
gouvernements et les media mis devant leurs responsabilités pour leur
complicité dans la dissémination de fausses informations. Des vies
humaines sont en jeu, après tout – ces mêmes vies qui sont la cause de
leur lamentable «indignation».
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