ISLAMOPHOBIE : LE GRAND SILENCE
Devant
l'augmentation constante des actes anti-musulmans, les pouvoirs
médiatiques et politiques font preuve d'un étonnant mutisme…
L’islamophobie, ce ne sont pas seulement des mots.
Ce n’est pas seulement « la stigmatisation, généralement globale, des musulmans » par des considérations où peut certaines fois se dissimuler, derrière le large paravent du franc-parler, « une
simple remise au goût du jour du vieux racisme qui prend acte de ce
que, depuis bientôt trente ans, la composante religieuse semble primer
dans l’affirmation identitaire des “arabo-musulmans“ tout en relayant
l’idéologie du choc des civilisations et de leur incompatibilité » (1).
Ce n’est pas seulement la crâne proclamation, par un éditorialiste réputé, qu’il se sent « un peu islamophobe », et que ça ne le « gêne pas de le dire », et qu’il a « bien le droit », n’est-ce pas (personne, de fait, ne le lui conteste), « de penser que l’islam apporte une certaine débilité qui, en effet », le « rend islamophobe ».
Ce n’est pas seulement la non moins hardie prédiction, par l’un de ses non moins renommés pairs, qu’à trop se laisser « changer », la France comptera bientôt « deux minarets » pour une église.
Ce n’est pas seulement l’énoncé, comme d’une évidence, par un ministre d’État qui semble avoir pris le pli de piocher des bouts de sa dialectique dans le même sac où l’extrême droite serre sa propagande - et qui mettra un peu de temps à réajuster, à la baisse, cette extravagante statistique –, qu’« il y a » aujourd’hui « entre 5 et 10 millions » de « musulmans en France », et que cet « accroissement du nombre » des mahométans « pose problème » (2).
Ce n’est pas seulement l’affirmation surenchérie, par un philosophe de médias pleinement inscrit dans son époque – Michel Onfray, pour ne pas le nommer -, que : « C’est l’islam qui est un problème. »
Des paroles et des actes
L’islamophobie,
ce sont aussi des actes, où il est difficile de ne pas voir un peu
l’effet de cette libération, dans l’espace public, d’une désobligeante
logorrhée.
Ce
sont des agressions et des provocations, toujours plus nombreuses –
mais dont personne ou presque ne parle, et qui se perpètrent donc sous
la protection d’un grand silence.
Le 11 septembre 2011, par exemple, de courageux internautes anonymes ont appelé, sur Facebook, à « égorger » deux mois plus tard, pour l’Aïd el-Kebir, « les musulmans plutôt que des moutons ».
Le 18 septembre, trente tombes musulmanes du cimetière Saint-Michel de Carcassonne (Aude) ont été recouvertes d’inscriptions racistes et nazies.
Dans la nuit du 18 au 19 novembre, des graffitis de même nature ont été tracés sur les murs de la mosquée de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne),
où les profanateurs ont aussi tenté de mettre le feu : le Conseil
français du culte musulman (CFCM) a relevé, dans un communiqué, que
cette violation était la quatrième du genre « en l’espace de deux semaines »,
après celles qui avaient visé les mosquées de Roissy-en-Brie
(Seine-et-Marne) le 5 novembre, de Saint-amand-les-Eaux (Nord) le 6, et
de Montbéliard (Doubs) le 10, et demandé, « compte tenu de la forte augmentation des actes antimusulmans », la « mise en place d’une mission d’information parlementaire sur ce fléau »
- mais c’était prêcher dans le désert, et le gardien du cimetière
Saint-Michel de Carcassonne a découvert, le 27 décembre, que vingt-neuf
tombes musulmanes avaient de nouveau été souillées, comme trois mois
plus tôt, d’inscriptions racistes et nazies.
Croix gammées et couennes de porc pour profaner les tombes
Et ainsi de suite, ad nauseam, d’une année l’autre :
le 17 janvier dernier, une croix gammée d’un mètre de haut a été peinte
en rouge sur un mur de la future mosquée de Montigny-en-Ostrevent
(Nord), en même temps que des slogans nazis. Puis, trois jours après,
deux têtes de cochons ont été retrouvées sur le chantier de la nouvelle
mosquée de Nanterre (Hauts-de-Seine) : cette courte liste, on le devine,
est loin d’être exhaustive.
S’en émeut-on ? Le dit-on même ? Fort peu : la presse nationale, où « l’insécurité »
peut d’autre fois donner le motif d’assez longs développements, semble
avoir de la difficulté à correctement restituer, dans leur continuité,
ces incessantes exactions – cependant que leur sanction ne paraît pas
forcément être dans les priorités de l’heure.
Ce
double constat n’est pas nouveau : en 2010, déjà – pour n’envisager que
cette année-là -, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF)
relevait « sans grande surprise », dans son rapport annuel, que « les actes islamophobes » n’avaient « plus guère de place », alors que leur nombre explosait, « parmi les priorités publiques » - et concluait que leurs victimes étaient « peu reconnues », et « les tribunaux peu saisis ».
Confondu
par son ADN, un ancien sergent-chef d’un régiment de parachustistes
d’infanterie de marine qui avait profané au mois de janvier 2011 trois
tombes du carré musulman du cimetière de Castres (Tarn) – en y jetant
des couennes de porc – a ainsi expliqué, dans un premier temps (et avant
de se rendre à plus de contrition), qu’il avait souhaité, par ce geste,
réagir contre une « invasion arabo-musulmane » dont il tenait pour coresponsables « les islamo-gauchistes qui nous gouvernent » (3).
«Les incendiaires qui poussent avec les mots, et ceux qui les appliquent»
Ces
considérations n’étaient pas, dans la période actuelle, complètement
inédites – et le vice-procureur de Castres qui a requis contre l’ex-para
quatre mois de prison avec sursis y a entendu comme l’écho d’autres
déclamations : « Ce que nous avons à juger, c’est le résultat d’un
vent mauvais qui souffle sur notre pays depuis de nombreuses années, et
dont je crois pouvoir dire que les plus hautes autorités de l’État n’y
sont pas étrangères et alimentent ce climat, même si elles ne sont pas
les seules – il y a les incendiaires qui poussent avec les mots, et ceux
qui les appliquent », a-t-il expliqué (4).
Des propos qui sentent l'égoût
D'autres que lui semblent n'être pas d'un avis très différent :
c’est le cas, notamment, d’Abdallah Zekri, qui préside au CFCM
l’Observatoire national de l’islamophobie (où arrivent quotidiennement
des lettres d’insultes - incroyablement ordurières, voir ci dessous – et
de menaces, anonymes, évidemment), et qui estime, quant à lui, qu’« il n’est pas étonnant » qu’à force d’entendre des hommes politiques « tenir
des propos qui sentent l’égoût, certains se sentent en quelque sorte
encouragés à passer à l’acte – peut-être même se disent-ils que s’ils se
font prendre, la justice, par les temps qui courent, se montrera de
toute façon clémente ».
Sarko renvoie la balle à Guéant
Le 5 décembre dernier, cet attentif observateur de la constante augmentation « des attitudes, des comportements, des discours et des actes islamophobes » a demandé (5),
par écrit, à être reçu avec une délégation du CFCM par le président de
la République, à la fin de l’entretenir de cette envenimation : ils
souhaitaient lui dire, de vive voix, leur inquiétude et leur
préoccupation, « à l’approche des présidentielles », devant la montée de ce qu’ils appellent « une véritable “guerre des mots“, accompagnée d’agressions verbales ou physiques » contre les musulmans de France et leurs lieux de culte.
« À
l’heure où une grave crise économique et sociale frappe durement notre
pays, il est temps de dénoncer les discours réducteurs de certains
“terroristes intellectuels“ qui ne font qu’attiser et conceptualiser
politiquement la soif de haine et de xénophobie contre tout ce qui
s’apparente à l’islam », écrivait notamment Abdallah Zekri dans sa lettre au chef de l’État.
Le 10 janvier, il a reçu une réponse du chef de cabinet de Nicolas Sarkozy, qui lui assure que ce dernier « demeure
totalement à l’écoute à l’écoute des inquiétudes et des attentes
exprimées par les membres de la communauté musulmane de France » - mais que « ses nombreux engagements ne lui permettent pas » de recevoir une délégation du CFCM.
Toutefois – lot de consolation-, le courrier d’Abdallah Zekri a été signalé au « ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des collectivités territoriales et de l’immigration » (qui le tiendra « directement informé de la suite réservée » à son « intervention ») : à Claude Guéant, donc - le même, qui trouve problématique l’ « augmentation du nombre des musulmans »…
…Mais qui ne goûte guère que d’aucuns le soupçonnent de ne pas les « aimer ».
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