De la Place Al-Tahrir à Alger, entre le sabre et le goupillon
Ahmed Selmane
Mardi 20 Décembre 2011
In lanation.info
Une jeune fille à terre à moitié dénudée entourée de soldats la
tabassant avec entrain et y prenant un plaisir très visible. L’image de
cette femme en soutien gorge bleu massacrée à grands coups de rangers,
la fameuse « Guezma », des soudards d’Egypte et d’ailleurs, est déjà
entrée dans l’histoire. Mais comment s’écrira-t-elle, quelle légende
accompagnera de manière définitive cette scène radicalement indigne?
De la Place Al-Tahrir à Alger, entre le sabre et le goupillon
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Elle sera, c’est une certitude, une image forte de plus dans l’histoire
effroyable des appareils de répression d’Egypte. Des appareils dont les
éléments, triés sur le volet de la voyoucratie, fonctionnent en meute de
psychopathes dont la jouissance courante se nourrit de la souffrance
des plus vulnérables. Ces appareils et la mentalité qui y règne sont
bien l’un des pires aspects de « l’ordre » arabe à changer. Une image de
plus donc sur ces appareils de répression où la notion de droit, de
citoyens, n’existe pas et où seule la servilité envers les maitres de
l’heure est l’unique référence et l’aiguillon unique. Mais en termes de
répression, on est, à l’heure du portable et de Twitter (où le
milliardaire saoudien Talal Ben Salmane vient de « placer » 300 millions
de dollars et cela n’a rien d’anodin) suffisamment édifié sur les
pratiques de l’Arabistan autoritaire. L’image terrible de cette jeune
fille mise au sol, cernée par des brutes n’est, malheureusement, qu’une
illustration de plus au musée des horreurs des régimes arabes. Elle ne
sera certainement pas la dernière. L’Histoire retiendra peut-être –
accordons-nous une petite marge d’incertitude pour la forme – de cette
image le symbole de l’écrasement par la répression bestiale du
romantisme révolutionnaire, vaguement libertaire, assurément libéral, un
tantinet islamiste, qui a élu domicile à la Place Al-Tahrir. Sur
Facebook et Twitter, les jeunes de la Place Al-Tahrir ont gagné, aux
points, la bataille de l’information face aux militaires. Mais cette
bataille n’a pas été gagnée sur le front, décisif, de l’opinion
égyptienne.
Soviet informel et phobie de l’organisation
A la suite des affrontements qui ont fait 13 morts depuis vendredi, les
militaires se sont lancés dans une vaste campagne de propagande et
d’action psychologique. L’incendie de l’Institut d’Egypte, centre
scientifique, fondé en 1798 lors de l’expédition Bonaparte en Egypte et
dont le bâtiment actuel datait du début du XXe siècle, constitue la
référence argumentaire des militaires. Pour dénoncer pêle-mêle les
actions « d’infiltrés », de « délinquants », « d’enfants des rues » et
de « toxicomanes » et l’existence d’un plan « avec des parties internes
et externes » pour détruire l’Etat égyptien. Grosse ficelle et
artillerie lourde qui suscitent les commentaires ironiques des personnes
éduquées qui surfent sur le net mais qui a un impact réel auprès de la
majorité des égyptiens. La Place Al-Tahrir, sorte de soviet « pur » et
informel, défenseur de la révolution, exigeant le démantèlement, du
régime est probablement en instance de perdre la partie. Le romantisme
lyrique de Place Al-Tahrir aura, on n’en doute pas, d’importantes
retombées littéraires. Son influence politique dans le domaine des
idées, dont celle du recours à la Place Al-Tahrir comme espace de
contestation « hors cadre », est indéniable. Mais l’impact politique de
ce mouvement est très incertain. Ce « soviet » informel qui se méfie de
toutes les organisations politiques au point de se refuser à toute forme
de structuration est dans une logique de recul face aux deux forces
organisées du pays, l’armée et les Frères Musulmans.
Deux forces organisées avec l’appui du « Centre »
Ces deux forces, qui ont des intérêts communs objectifs, sont dans une
alliance de fait pour « stabiliser » la situation. Elles ont l’appui du «
Centre » américain qui œuvre à maintenir l’Egypte dans son rôle de
pièce-maitresse dans le dispositif proche-oriental fondé par les accords
de Camp David. La Place Al-Tahrir ne doit pas s’illusionner des
remarques des Occidentaux quant à « l’usage disproportionné » de la
force par les militaires, ces derniers sont clairement soutenus et
chargés de préserver l’ordre américain. Les occidentaux tiennent compte
des images et adaptent leur discours aux effets médias et immédiats mais
leur politique ne se fait ni sur Facebook ni via Twitter. L’acceptation
de la tenue d’élections indéniablement libres qui confirment, selon les
prévisions, le poids dominant des Frères Musulmans fait partie de ce
deal de stabilisation. Les « FM » ont envoyé des signaux clairs sur la
non-remise en cause de Camp David et du rôle vassalisé de l’Egypte qu’il
implique. La situation égyptienne est sans l’ombre d’un doute la clé de
l’explication de la disponibilité, inédite, des occidentaux à accepter
un fonctionnement par les urnes ouvrant la voie à des gouvernements
dirigés par des islamistes. Outre le fait qu’ils ne remettent pas en
question – pour l’instant au moins – les accords de Camp David, les FM
sont un courant ultraconservateur qui se satisfait pleinement du système
économique et social en place. Leur utilité est d’autant plus grande
qu’ils encadrent, après la désertion générale des mouvements de gauche,
l’immense peuple des laissés pour compte. L’action caritative sur fond
de religiosité politique assure à « l’Organisation » des FM un ancrage
social réel qui leur permet de prétendre valablement à une place à la
table du pouvoir.
Des murs sur la Place
Le Conseil Suprême des Forces Armées érige des murs pour interdire
l’accès à la Place Al-Tahrir. « Les Frères » organisés dans le Parti de
la Justice et de la Liberté, talonnés par les Salafistes et non pas les
libéraux où la gauche, sont en voie d’obtenir l’onction électorale pour
conforter la fermeture de cet espace emblématique de liberté. Ils
peuvent mettre sur la table de la négociation leur capacité à contrôler
et à encadrer la masse immense des déshérités égyptiens, ces classes
éminemment dangereuses qu’il faut tenir et empêcher de songer à
chambouler l’ordre social. L’Egypte est actuellement sur le chemin de
l’alliance, victorieuse, de deux organisations de pouvoir contre la «
rue ». Cette rue turbulente qui commence à être présentée, avec un
certain succès auprès de nombreux égyptiens dont la préoccupation
permanente est la survie, comme une source de nuisance. Malheur à ceux
qui ne sont pas organisés ! De quoi effectivement revenir aux classiques
sur l’importance majeure de l’organisation. Au « Que faire ?» de Lénine
et à la critique du spontanéisme révolutionnaire. Au travail dans le
réel que ni Facebook ni ses équivalents virtuels ne peuvent remplacer.
Algérie, la fraude permanente
En Algérie, la fraude est la forme d’organisation structurelle du
régime. Ce système de pouvoir prépare des élections législatives après
avoir procédé à un ravalement cosmétique des lois et annoncé une très
vague ouverture des médias audiovisuels. Cerise sur le gâteau et
démonstration ultime de la pureté de ses intentions, il convie les
«observateurs internationaux » à venir assister au scrutin. Rien de neuf
sous le soleil des intrigues : la méthode a été éprouvée dans un passé
récent. Et des observateurs européens, biens sous tout rapport, sont
arrivés, n’ont rien vu et ont pourtant témoigné. A la dernière élection
présidentielle où le malheureux Ali Benflis, a cru qu’il était autre
chose qu’un simple lièvre et où quelques journaux très « éclairants »
ont scénarisé un leurre et ont tout fait pour l’accréditer, des
observateurs européens ont débarqués quelques jours-heures avant le
début du scrutin. Ces experts, formidablement perspicaces et d’une
innocence immaculée, en sont partis quelques heures après et livré un
rapport laudateur qui a du combler d’aise à tous les étages du système
algérien : les élections se sont déroulées selon les « standards
européens ». Ce que des observateurs européens ou d’ailleurs ne peuvent
voir quand ils arrivent à quelques jours du début du scrutin, ce sont
les années et les mois qui précèdent. La permanence d’une réalité où la
Ligue des droits de l’homme ne peut même pas louer un hôtel pour
organiser une rencontre. Ce qu’ils ne peuvent voir ce sont des années de
travail systématique d’entraves à toute forme d’organisation
élémentaire et autonome des algériens, l’œuvre de sape contre les
organisations survivantes et le monopole nord-coréen des hommes du
régime sur la télévision publique. Tout cela continue de plus belle.
L’administration gère, comme elle l’entend, le contact des partis avec
la population et en l’occurrence, elle l’interdit. Le pouvoir continue
d’occuper exclusivement les écrans. Et cela ne changera pas jusqu’aux
élections ni même après. A quelques semaines du jour fatidique, on «
ouvrira » le champ à une campagne électorale où ceux qui interviennent
paraissent être subitement tombés d’un ciel improbable. Avec zéro
organisation et des moyens dérisoires pour des faire-valoir confrontés à
une administration, des services de sécurité, des partis et une
télévision à disposition, le pouvoir n’a pas de difficulté à organiser
des élections « propres » que des européens enthousiastes entérineront.
La fraude continue avec la bénédiction des démocrates du nord. Ceux qui
recherchent un changement démocratique pacifique ne doivent pas attendre
que les manœuvres se déploient tranquillement. Ils doivent là dénoncer
dès maintenant avant que des « témoins qui n’ont rien vu » ne viennent
apporter leur très blanche et très civilisée onction.
Ahmed Selmane
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