Peau noire, Alger blanche
par Kamel Daoud
Comment
reconnaître un chômeur algérien qui ne veut pas être chômeur ? A la couleur de
la peau. Selon des témoignages, les premières arrestations contre les chômeurs
qui voulaient organiser un sit-in devant la Présidence, avant-hier,
ont visé les Algériens dont la peau était noire. Explication facile : le
mouvement des chômeurs a sa capitale à Ouargla ou Hassi
Messaoud, là où il y a deux choses qui font mal : le
pétrole et le vide. Fatalement, pour pouvoir les arrêter dans une foule de 36
millions de désœuvrés inoffensifs, des consignes ont été données : vous les
reconnaîtrez à Alger la blanche par leur peau noire. Un chômeur est donc
transparent jusqu'à ce qu'il devienne noir, habite le sud, monte vers la
capitale et veut sa part de travail et du pays et du puits. Tant qu'il fait du
bruit au sud, on ne le touche pas, mais qu'il monte au nord, il faut l'arrêter
et le refouler. Donc, hier, les chômeurs algériens n'ont pas pu dire ce qu'ils
avaient à dire au président de la République du nord ou du nord ouest.
recours au faciès
pour identifier le manifestant commence donc à se généraliser. Il a été
pratiqué à l'époque du Fis où, pour arrêter un homme, on regarde sa barbe. Il a
été aussi pratiqué pour stopper les marches de la Kabylie vers Alger : tout ce
qui était blanc, blond, parlait le français avec un accent pas français, avait
la peau claire, était arrêté entre Bougie et Alger. A l'occasion de la marche
des gardes communaux, c'était autre chose : tous ceux qui étaient bruns, brulés par le soleil, maigres et avec une mauvaise
dentition étaient supposés gardes communaux, et donc arrêtés et refoulés aux
portes d'Alger. On a fait de même pour la marche des médecins résidents : on
frappe la blouse blanche, la peau claire, les cheveux soignés, les gens trop
polis et tout ce qui ressemble à un Tlemcénien, sauf
quelques ministres et quelques autres.
A
qui appartient Alger ? Pas à tous, à l'évidence. C'est un pays à part. Peut-on
marcher ailleurs ? Oui et non. Réellement non. On peut tourner en rond. Comment
reconnaître un Algérien dans la foule de beaucoup d'Algériens ?
Selon un signalement spécifique génétique. La
meilleure couleur qu'aime le Pouvoir c'est quand l'Algérien est invisible et
transparent. Là, il l'adore et lui donne une carte d'identité en plus.
Où
va finir cette histoire de peau, de bus arrêtés aux portes d'Alger selon les
immatriculations, de chasse au Kabyle, au noir, au vert ? Nulle part. Elle est
ridicule, tragique, fourbe et malheureuse. Ce qu'on appelle « la baisse du
niveau pédagogique » touche aujourd'hui même la répression des manifestants. Tout
ce que le colon a fait, certains le refont
.
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