Le ras-le-bol mondialisé est une réalité. Si les médias aux ordres
ont soigneusement étouffé les révoltes des sans-voix mais pas sans
droits dans les pays occidentaux, nous voulons à travers cette
contribution amplifier, malgré l’étouffement, cette rumeur qui enfle
pour un ordre plus juste. C’est d’ailleurs un juste échange de bons
procédés. Pendant près de neuf mois, les médias aux ordres se sont
occupés des Arabes - poussant la sollicitude à donner un nom à des
jacqueries savamment entretenues, le vocable de printemps arabe- avec
l’affection d’une Alma mater, en entretenant çà et là le feu de la
discorde allant jusqu’à créer des informations imaginaires. Nous allons
pour notre part, par respect pour celles et ceux qui galèrent dans les
pays occidentaux leur souhaiter un printemps pour les révoltes légitimes
qu’ils mènent.
On se souvient que Stephane Hessel, humaniste résistant, ambassadeur,
rédacteur de la Déclaration des Droits de l’homme, s’était indigné et
l’avait fait savoir dans un petit fascicule : « Indignez-vous ! » Tiré à
des dizaines de milliers d’exemplaires, il a fait mouche car devant
l’anomie du monde, les motifs d’indignation ne manquent pas. Avec le
philosophe Edgar Morin, il vient de « récidiver » dans un petit ouvrage.
Stéphane Hessel et Edgar Morin marient leur ardeur juvénile et leurs
réflexions dans un manifeste, Le chemin de l’espérance, qui préconise
insurrection des consciences et exigence citoyenne, socles selon eux
d’une « politique du bien-vivre ».
« L’ouvrage écrit à deux, est un manifeste d’indignation de
« dénoncer le cours pervers d’une politique aveugle qui conduit au
désastre, d’énoncer une voie politique de salut public et d’annoncer une
nouvelle espérance », soulignent ces deux symboles de la Résistance et
amis de longue date. « Nous ne proposons pas de pacte aux partis
existants », insistent-ils. « Nous souhaitons contribuer à la formation
d’un puissant mouvement citoyen, d’une insurrection des consciences qui
puisse engendrer une politique à la hauteur de ces exigences ». Ils
appellent à dépasser les clivages idéologiques pour trouver des
solutions. Ils définissent ainsi quatre sources pour « alimenter la
gauche : la source libertaire, la source socialiste, qui se concentre
sur l’amélioration de la société ; la source communiste, qui se
concentre sur la fraternité communautaire. Ajoutons-y la source
écologique, qui nous restitue notre lien et notre interdépendance avec
la nature et plus profondément notre Terre-mère, et qui reconnaît en
notre Soleil la source de toutes les énergies vivantes. » (1)
Ces combats pour la survie
On pensait naïvement dans les pays du Sud que les citoyens du Sud
avaient le « monopole de la détresse ». En fait, il n’en n’est rien. La
détresse, en un mot, la mal-vie, est mondialisée. A contrario, justement
dans les pays du Sud, il y a des super-citoyens qui n’ont rien à envier
aux citoyens des pays riches très riches, voire très riches. Je dis
souvent à mes élèves ingénieurs que la consommation algérienne est
faible (1000 kWh/hab /an) mais dans certaines villes, voire dans
certains quartiers, la consommation est dix fois plus importante, elle
n’a rien à envier à celle des pays européens. La mal-vie est telle en
Occident, que de plus en plus, les citoyens protestent contre cette
mondialisation-laminoir qui fait par exemple cadeau aux banques qui sont
renflouées avec l’argent des contribuables en mutualisant les pertes,
privatisent leurs profits au profit d’une oligarchie de sangsues qui
pensent être éternels intouchables, voire prendre avec eux leurs
fortunes le jour du grand départ...
A ce sujet, le professeur Jules Dufour écrit : « Un examen attentif
de l’ensemble des activités planétaires, en 2011, nous fait saisir assez
rapidement que l’ordre mondial imposé par les forces impérialistes
dicte de plus en plus la conduite des affaires mondiales et a dépassé
les limites du tolérable pour être maintenant qualifié comme celui
correspondant à un système injuste et infâme généralisé. En effet, les
conséquences économiques et sociales de la crise financière qui affecte
l’économie des États-Nations partout dans le monde se caractérise par
une diminution marquée des avoirs collectifs, un affaiblissement des
institutions nationales et une gouvernance de plus en plus orientée et
dominée par les plus puissants. Le pouvoir des peuples s’effrite jour
après jour et le droit et la justice sont remplacés peu à peu par la
répression économique, la violence armée et l’imposition de la loi des
plus forts. La gestion de la crise économique et financière en Europe en
est la plus parfaite illustration avec l’application du processus d’une
soumission totale aux impératifs du « Marché ». (2)
La réponse aux attaques des grands pouvoirs financiers contre les
peuples prend forme peu à peu dans tous les pays gravement affectés en
Amérique du Nord et dans la plupart des pays de l’Union européenne. Les
peuples se lèvent sous tous les azimuts. Le déploiement de
manifestations publiques organisées dans la mouvance du mouvement des
« Indignados » dans les rues des grandes agglomérations urbaines comme
Lisbonne, Rome, Madrid et Athènes prend de l’ampleur et pourrait ouvrir
la voie à un soulèvement massif des populations appauvries, déshéritées
et de plus en plus vulnérables de l’ensemble de la planète, sans oublier
les émeutes de la faim. Devant cette ruée vers la justice, la réplique
des forces impériales ne s’est pas fait attendre en appliquant une
répression sanglante avec des arrestations arbitraires, des violences
féroces contre les manifestants, notamment à Athènes, et
l’emprisonnement de milliers de citoyens innocents. Il faut sans cesse
avoir à la mémoire les dommages considérables infligés depuis des
siècles à l’humanité par les protagonistes qui édifient et font
prospérer les empires. (...) L’unanimité recherchée par l’Occident dans
l’édification d’un monde unipolaire stable et soumis sera de plus en
plus difficile à obtenir. Le bloc Russie-Chine semble se manifester de
façon plus nette et on observe une fermeté de plus en plus affirmée de
plusieurs pays contre l’imposture institutionnalisée de l’hégémonie d’un
capitalisme mondialisé, système qui veut contrôler l’agenda des
activités économiques et politiques de tous. (...) Selon Gray, le bloc
Russie-Chine pourrait d’ici quelques années se poser comme puissance
alternative à l’hégémonie américaine. » (2)
A juste titre, Jules Dufour fait un constat d’échec concernant les
organisations internationales : « Les organismes onusiens et les
organisations non gouvernementales sont souvent placés dans un contexte
qui ne leur permet pas d’exercer une action déterminante pour le
développement d’un monde juste et solidaire. (...) La marche et le siège
des « indignés » dans les villes européennes sont, pour nous, une
indication que les peuples de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne et de
l’Italie commencent à comprendre que leur avenir et l’avenir de leurs
enfants sont sérieusement compromis et menacés. » (2)
Les indignés de par le monde
On dit que dans plus de soixante dix pays, les « citoyens d’en bas »
s’indignent et le font savoir. Ainsi les citoyens de Russie, confrontés
eux aussi à la "rapacité" et à la "corruption" des élites, sont
concernés par la mobilisation du 15 octobre, estime un expert en
économie. Selon lui, leur "passivité" est un mythe. "Occupy Wall Street
est un mouvement de résistance de gens de diverses couleurs, sexes et
convictions politiques, sans meneurs. La seule chose que nous avons tous
en commun, c’est d’être ces 99% qui se refusent à tolérer plus
longtemps la rapacité et la corruption des 1% restant. Nous employons la
tactique révolutionnaire du printemps arabe pour atteindre nos
objectifs et prônons la non-violence afin d’assurer une sécurité maximum
de tous les participants". Voilà ce que veulent et ce qui distingue les
manifestants new-yorkais. (3)
« (…) Il s’agit, poursuit Alexeï Mikhaïlov, d’un mouvement de
protestation contre l’aide publique accordée aux grandes entreprises et
aux banques, avec de l’argent prélevé sur le budget de l’Etat ou émis
par le biais d’obligations qui vont engendrer de l’inflation. Ces gens
sentent bien que quelque chose ne tourne pas rond. Les banquiers
touchent à nouveau d’énormes bonus, tandis que le citoyen ordinaire ne
se sort toujours pas de ses problèmes d’emploi, de salaire, de
remboursements de crédits avec leurs taux d’intérêts qui grimpent. Ils
veulent que le personnel politique et les banquiers entendent cette idée
simple : "Ça ne peut plus durer". Quant à indiquer des solutions, ce
n’est pas le problème du mouvement. Il se contente de faire du bruit et
d’exprimer des revendications ». (3)
En France, le député socialiste propose une solution : Arnaud
Montebourg propose une mise sous tutelle des banques : au centre de son
projet : la démondialisation. « La mondialisation c’est la mise en
concurrence, la démondialisation c’est le contraire », simplifiait le
candidat lors de l’un de ses derniers meetings avant le premier tour.
Cette prise de conscience planétaire touche l’Europe dans son ensemble
et les Etats-Unis. Ainsi, les militants "anti-Wall Street" entament leur
4e semaine d’occupation d’une place au coeur du quartier financier de
New York au moment où ce mouvement de protestation hétéroclite
s’enracine également dans d’autres villes américaines. Selon le site
"Occupons ensemble", qui se présente comme un site "informel" recensant
aux Etats-Unis les actions similaires à celle lancée à New York, des
occupations avaient lieu dans quelque 68 villes du pays samedi, dont
Washington, Los Angeles, Chicago, Miami ou Dallas. Après trois semaines
de protestation à New York, les manifestants ont étonné les sceptiques
et réussi à attirer l’attention du président américain Barack Obama et
de ses opposants républicains grâce à leur sens de l’organisation, leur
persévérance et leur capacité à étendre le mouvement. Branchés sur les
nouveaux réseaux sociaux sur Internet, ils se sont avérés capables de
lever des milliers de dollars pour approvisionner leur campement et
d’éviter d’importants débordements lors de leurs manifestations
régulières. (4)
La nature du « printemps » occidental ?
On dit que l’indignation occidentale a commencé à Seattle en 1999,
elle a été catalysée par la débâcle financière de 2008 qui a laminé les
espérances de millions d’européens notamment les restrictions « les
douze travaux d’Hercule » imposés à chaque grec (que) en vain, le ras le
bol des Espagnols dès le 15 avril qui ont pris exemple sur la place
Tahrir en Egypte.
Avec perspicacité, une contribution sur le forum des démocrates met
en exergue le « printemps occidental ». L’éclatement de la bulle
immobilière américaine en 2008 impose aux Etats européens d’adopter des
plans de rigueur et ce, qu’ils appartiennent ou non à l’Union
européenne, ou non à la zone euro. Preuve que la Grèce n’est pas le seul
mauvais élève. Chacun constate également que la « théorie des
dominos », rejetée au 1er trimestre 2010, crainte au second, est
aujourd’hui fondée tant pour les Etats que pour les banques. Ainsi, la
théorie de l’interdépendance des Etats nous confirme que tout pays
confronté à une crise financière impose à ses partenaires économiques
les répercussions de ses propres difficultés.
« Oui, nous vivons dans un monde globalisé où nos économies dépendent
les unes des autres. La première limite de cette proposition réside
dans le fait que toute politique d’allongement des cycles d’austérité
(pour les rendre moins violents) signifierait que le Politique accepte,
officiellement, de sacrifier une génération. Mais n’est-ce-pas ce que
constatent de nombreux jeunes à travers l’Europe avec l’expression des
« Indignés ». Et plus largement, n’est-ce-pas ce que constatent
l’ensemble des générations confrontées à la crise... l’échec de la
mondialisation. La deuxième limite réside dans le fait que l’économie ne
peut, seule, répondre à la crise morale imposée par ceux qui placent
l’argent et non l’Homme au centre de leurs préoccupations. (...) En
2011, chacun peut se demander quelle sera la nature de notre
« printemps » occidental ? » (5)
Il en est de même de l’indignation en Italie : « Vous voulez des
esclaves, vous aurez des rebelles », tel est le slogan des manifestants.
Le succès des manifestations contre le plan d’austérité du gouvernement
Berlusconi, le 6 septembre, révèle une volonté populaire de changement,
estime le quotidien d’inspiration communiste. On apprend que la Grèce
faisait face à une nouvelle vague de mouvements sociaux alors que le
gouvernement venait d’achever les discussions avec la troïka
(UE-BCE-FMI) . Avec une dette de 350 milliards d’euros, la Grèce est
virtuellement en cessation de paiement même si on lui réduit une partie
de la dette avec des agios à 20%. Pour Russia Today la Grèce est
« l’agneau sacrificiel » de la zone euro.
Jules Dufour conclut sur le rôle négatif des médias au service des
lobbys qui font dans la diversion : « Les médias ont, quant à eux,
cherché à minimiser ce phénomène en le considérant comme étant la
manifestation d’une certaine frustration ou d’un mécontentement. Il nous
semble évident qu’il s’agit de la première phase d’une révolte ou d’une
insurrection appréhendée qui pourrait se produire dans un avenir
rapproché si les tendances lourdes de la dégradation ou de la
détérioration de l’économie mondiale continuent de se développer. » (2)
Le rôle diabolique des médias contre les faibles
Il est curieux de constater que les « médias main stream » si
promptes à juger à dénoncer les pays où l’information n’est pas libre –
croisades par exemple de reporters sans frontières- font preuve d’un
silence assourdissant s’agissant de rapporter simplement les faits
concernant les dérives des pouvoirs occidentaux en terme de liberté de
la presse , obéissant ce faisant aux injonctions sans appel des
pouvoirs. Nous l’avons vu avec les répressions des émeutes au Royaume
Uni, émeutes qui décrivaient un ras le bol, nous l’avons vu Espagne
berceau de l’indignation du « printemps occidental », nous le voyons
toujours comme un fait divers réduit àsa plus simple expression aux
Etats-Unis, à telle enseigne que les médias « organiques » minimisent la
portée symbolique de ce ras le bol planétaire faisant mine de ne pas
comprendre les raisons de ces soulèvements. Nous lisons : « Les médias
ne comprennent rien à "Occupons Wall Street." Les journalistes portent
un regard rempli de mépris sur les "indignés" américains qui manifestent
à New York. Preuve qu’ils ne comprennent rien à l’époque, estime un
théoricien des médias. Depuis le début [le 17 septembre] du mouvement
anticapitaliste d’occupation de Liberty Plaza, à proximité de Wall
Street, les journalistes de télévision semblent déterminés à présenter
la réalité comme le fait d’une génération de « cinglés paresseux et
incapables de tenir un discours cohérent ». Des propos aussi
condescendants que réducteurs. (...) Certains journalistes se croient
néanmoins obligés de faire remarquer que ces gamins dénoncent en effet
les grands groupes américains tout en tweetant depuis leur iPhone. Quand
on déplore les excès des entreprises, on serait censé couper tout lien
avec les biens que produisent les grands groupes - quel raisonnement
simpliste ! (...) » (6)
Pour Ahmed Halfaoui, pointant lui aussi, le rôle négatif des médias,
le printemps pousse partout même si les médias n’en rendent pas compte.
Ecoutons-le : « Des Arabes et assimilés, dans ce conglomérat
politico-idéologique en perdition, on n’invoque plus cette année que ce
« printemps » comme nécessité quasi biologique. (...) D’ailleurs, il y a
des « printemps » qui poussent sous le givre, du Pacifique à l’Oural,
et dont on parle le moins possible. Ceux-là, ils sont indésirables.
(...) Il n’a pas beaucoup de chance de s’accomplir, mais il a le mérite
de désigner l’amont du glacier. Wall Street, ce quartier d’où partent
toutes les influences qui déterminent la famine ici, le chômage à côté
ou la faillite là-bas. Ce qui n’a pas manqué c’est que « Occupy Wall
Street » se transforme en « Occupy Together » en s’étendant à des
dizaines de villes des Etats-Unis, dont les banques sont devenues des
centres de convergence. Malheureusement, les tabassages et les
arrestations ne trouvent personne pour les dénoncer comme il se doit,
comme on a pris l’habitude de voir. Les maîtres du monde ne tolèrent pas
que chez eux on fasse comme chez les « Arabes ». On ne joue pas avec
ça. Les insurgés de Grande-Bretagne l’ont su à leur détriment, ceux de
Grèce l’apprennent tous les jours et les travailleurs forcés de Hongrie
n’y pensent même pas (...) » (7)
Le Monde nous apprend que « Les "Indignés" de la planète manifestent
samedi 15 octobre. De la City de Londresà Wall Street en passant par la
Puerta del Sol de Madrid, des milliers de personnes vont exprimer leur
mécontentement et demander de nouveau la "démocratie réelle" dans plus
de 700 villes. Aujourd’hui, les revendications des "Indignés" sont les
mêmes à l’échelle de la planète. Tous exigent une société "éthique",
"plus démocratique" et où les préoccupations des sans grade seraient
mieux prises en compte par les différents pouvoirs. De nationales, les
revendications des "Indignés" sont devenues globales. Retour sur un
mouvement qui ne cesse de prendre de l’ampleur. (…) A l’image du
printemps arabe, le mouvement des "Indignés" se structure surInternet.
On ne compte plus les sites recensant la moindre action. Mais, rançon de
son esprit démocratique, égalitaire et international, les "Indignés"
peinent à faire émerger un leader, véritable caisse de résonnance de
leurs revendications ». (8)
En définitive, comment ne pas donner crédit à un rapport secret « le
rapport Lugano », conçu par des experts américains. Dans cette
apocalypse annoncée et qui selon le juste mot de Susan George, les
experts sont les légionnaires de la mondialisation, il est recommandé
aux grands de ce monde, de favoriser dans les pays vulnérables
l’émiettement identitaire et la fragmentation, de telle façon « à ce que
les intéressés passent plus de temps à se demander ce qu’ils sont que
de se mettre au travail ». (9)
Le retour de manivelle est brutal, le mal touche en profondeur les
couches vulnérables des pays occidentaux qui vivent à leur façon « leurs
printemps ». Il est a espérer que l’immense coordination- protestation
qui aura lieu ce samedi pourra enfin, faire entendre aux grands de ce
monde, que les peuples n’en peuvent plus et qu’un autre monde, où
l’homme retrouve sa dignité ,est possible. Il y va de la survie de
l’humanité.
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
Enregistrer un commentaire